1917, l’année de tous les dangers ? (Université d’été 2017) Compte rendu / Musée de la Grande Guerre à Meaux

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Par Hubert Tison. [1]

Compte rendu de l’Université d’été du Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux [2], 7 et 8 juillet 2017, en partenariat avec l’APHG.

"Révolutions russes, entrée en guerre des États-Unis, offensive du Chemin des Dames, déroute italienne de Caporetto, reprise des grèves, mutineries, rupture de l’Union sacrée et crises gouvernementales en France… L’année 1917 n’est pas avare en événements. Elle marque aussi la lassitude des sociétés face à une guerre dont on ne perçoit pas l’issue. C’est à cette année de doutes que le musée de la Grande Guerre consacre sa cinquième université d’été. Animées par des historiens et des professionnels du patrimoine, les conférences et tables rondes feront le point sur cette année charnière".

Le thème était l’année 1917. Dirigée et animée par le Professeur François Cochet, elle aborda le vendredi les acteurs de la Révolution de février et d’octobre.

François Cochet a présenté les grands traits de l’année 17. En décembre 1917, Joffre est remplacé par Nivelle. Il s’agit d’une affaire franco-française bien que la grand-mère de Nivelle était anglaise et qu’il parlait couramment l’anglais. Les plans prévus par Joffre sont appliqués. Nivelle était auréolé d’une grande notoriété publique et avait repris, avec le général Mangin, les forts de Douaumont et de Vaux. C’est l’association étroite entre l’artillerie et l’infanterie : « Avancer après une préparation d’artillerie de 100 m toutes les 3 minutes sous un feu roulant » et « Nous tenons la méthode et nous avons le chef ».

2ème événement majeur début 1917 : la 1ère Révolution russe, inattendue. Lénine avait dit : « Nous les vieux, nous ne verrons jamais la Révolution russe ». Le gouvernement russe a perdu la confiance du peuple après l’amputation de la part polonaise de l’Empire. La pénurie s’installe, les transports sont paralysés, les revendications salariales s’expriment. Il faut trouver des hommes. Les pertes se montent à 1 700 000 hommes depuis 1914.

Le 10 mars, la police tire sur la foule. Certains soldats refusent de tirer. Qu’advint-il ensuite ? Milioukov et Kerenski veillent à continuer la guerre. Les bolcheviks ont compris que le peuple veut la paix. La situation militaire se délite. Kerenski ne contrôle plus la situation. Il faut souligner le rôle de déserteurs armés.

3ème événement : l’entrée en guerre des Etats-Unis. La neutralité est la règle. En 1912 Wilson est élu président. Son électorat est composite :

  • l’élément germano américaine : 9 millions sur 92 millions
  • la composante Irlando-américaine. Après la crise de la pomme de terre de 1842, plusieurs millions d’Irlandais s’installent aux Etats-Unis. La côte Est est défavorable aux Anglais.
  • La population juive venant de l’Europe de l’Est, fuyant les pogroms, est hostile à Nicolas II.

Wilson, ancien gouverneur d’Etat appartient à un courant progressiste, s’intéresse à la lutte contre les trusts et à la régulation du capitalisme. Les Etats-Unis ne sont pas neutres en matière économique. Début 1915, les grandes banques investissent en Grande Bretagne et en France. En novembre 1916, Wilson est encore partisan de la paix. Tout bascule en janvier 1917. Deux faits l’expliquent. C’est d’abord le télégramme de Zimmerman, le ministre des Affaires étrangères allemand à l’ambassadeur du Mexique aux Etats-Unis pour appeler les Mexicains à la révolte. Les services secrets britanniques s’en saisissent. Il faut rappeler que le général Pershing avait mené une répression contre le Mexique. Sept Etats d’Amérique Latine le suivent. L’armée américaine est alors une armée de papier. Autre fait : c’est la déclaration de l’amirauté allemande de « guerre maritime à outrance ». Le 4 avril 1917, le Sénat américain se déclare pour la guerre, le 6 avril, c’est la Chambre des Représentants. Des oppositions chez les féministes de gauche, pacifistes. Un Etat, le Montana, a accordé le droit de vote aux femmes. En 1919, il est étendu à toutes les femmes.

Les Afro-américains sont hostiles à l’entrée en guerre. Des camps de formation spécifiques vont être organisés. En France, des unités noires vont servir sous le drapeau français. Les Noirs ne sont pas versés dans des unités combattantes américaines.

4 évènements :

Les mutineries

Il faut les replacer dans la continuité. Dès 1914, il y a eu des refus d’obéissance (cf. l’attitude de soldats au moment des assauts).
Quelles questions ?

  • Quelle a eu l’importance des mutineries ? Bien plus que Guy Pedroncini l’avait dit dans son fameux livre (Les mutineries de 1917, 1967).
  • La nature des mutineries, lassitude ou politique ?
  • Conséquence des mutineries. Changent-elles quelque chose ? 154 condamnations à mort, 45 exécutées (voir les travaux du général Bach).

Bilan opérationnel en 1917

Les Français n’ont pas percé sur le Chemin des Dames. Les austro-allemands ont percé à Caporetto. Fin 1917, une autre méthode, celle de Pétain remplace celle de Nivelle : limiter les combats, user de l’artillerie. Ce sont les Allemands qui ont percé à trois reprises en 1918. François Cochet rappelle le nombre de morts par jour :

1914 1969 morts / jour
1915 1956 morts / jour
1916 699 morts / jour
1917 448 morts / jour
1918 786 morts / jour

En 1917, les généraux sont plus précautionneux de leurs offensives.

A l’Est du nouveau les Révolutions russes

Fréderic Guelton fait le point sur les deux calendriers : le calendrier julien (moins 13 jours sur le calendrier grégorien). Le sujet est complexe. Il faut dire que les bolcheviks, parti d’extrême-gauche, sont minoritaires dans les soviets de soldats, d’ouvriers et de paysans. Une scission a eu lieu avec les mencheviks en 1902. Quand commence la révolution russe en 1917, en 1914, en 1905 ? Pour François Furet, la Révolution de 1917 est à l’origine d’un cauchemar totalitaire plus durable et plus meurtrier. Pour Marc Ferro, ses travaux sont vilipendés dans les années 1970 par les communistes, les trotskystes, les partisans de droite. Il porte un regard critique sur les historiens soviétiques qui entendent démasquer les falsifications bourgeoises sur la Révolution russe. Le 7 décembre, c’est la création de la Tchéka , la police secrète des bolcheviks.

Les débuts de la Révolution en 1905 se poursuivent en 1917. Le cycle révolutionnaire se termine par un coup d’Etat en octobre 1917. La Constituante est dispersée par la force en janvier 1918. Rappelons que de l’Ouest de Varsovie à Vladivostok, on compte 10 000 km ; 3 000 km à 4 000 km de large. L’Alaska a été vendue aux Américains. La centralité de la Révolution est importante jusqu’aux périphéries et allogènes. Le recensement de 1897 compte 123 millions de sujets dont 55% sont non russophones. Le pouvoir central est assuré par le tsar Nicolas II, autocrate de droit divin. En 1721, Pierre le Grand avait supprimé le Patriarcat, remplacé par le Saint Synode.

L’empereur est soit adoré, soit haï. En dessous, l’administration impériale est incompétente dès la fin du XIXème siècle. Les fonctions locales sont exercées par de petits potentats. A la suite de l’assassinat d’Alexandre II est crée en 1881 la police secrète, l’Okrana.

Une table ronde sur « les Révolutions russes vues d’ailleurs », Arndt Weinrich chargé de recherche, Directeur du groupe de recherche de la Première Guerre mondiale à l’Institut Historique allemand, François Cochet, Président de l’université d’été, Remy Porte, Docteur en histoire, officier référent pour l’armée de terre.

Le 9 avril 1917, Lénine part pour la Russie en wagon plombé, il traverse l’Allemagne Le gouvernement allemand l’a autorisé. Après l’échec de l’armée russe en juillet 1917, c’est la fin de la guerre. Les choses bougent en Allemagne. Jean-Jacques Becker a écrit « 1917, l’année Terrible ». Mais pas en Allemagne, car il souffle un vent d’optimisme à l’Etat-Major. Les Allemands réfléchissent à leurs objectifs de paix : créer une Mitteleuropa composée d’Etats satellites : Pologne, Pays Baltes, Ukraine. C’est la conquête d’un espace colonial, c’est ainsi échapper à la pénurie, libérer les troupes allemandes du Front de l’Est pour les reporter à l’Ouest. C’est un vrai tournant pour l’Allemagne : vaincre la Russie, briser l’encerclement. La perspective de 1918 : c’est la victoire absolue.

Le musée de Blérancourt par Claire Gragez, conservatrice du Musée

1957, c’est la date d’ouverture du Musée. Il contient des archives du service américain de distribution « American Holders for Refiugiees », « American Food for French ». Miss Morgan débarque en Picardie en 1915. L’hôpital américain de Neuilly va jouer un rôle essentiel. 200 Américains servent déjà en France dans La Légion étrangère. [3]

Des traces en France : Pershing débarque à Boulogne le 13 juin 1917 avec quelques dizaines d’officiers. Les bases américaines s’ouvrent à Saint Nazaire, Brest et des bases de transit à Châteauroux et à Tours. L’escadrille La Fayette se constitue. Les loisirs sont organisés : les concerts de jazz, le rag, les sports : football, basket, cinéma … La conservatrice invite à visiter le musée et son parc.

Rémy Portes à propos de Wilson

Le Président entre en guerre avec l’idée de peser sur la paix future. La déposition du pouvoir tsariste satisfait Wilson. Il a tendance à idéaliser les débuts de la Révolution jusqu’au coup d’Etat bolchevik. La démocratisation de la Russie va en faire une grande nation. Le colonel House, le conseiller diplomatique de Wilson va prôner la reconnaissance de l’Etat russe. Dès février 1917 est constituée une mission idéologique, économique, financière, religieuse. Paradoxe : au fur et à mesure que la situation évolue, la répression des menées socialistes sur le sol américain augmente. Une rupture progressive va s’établir.

Du côté français la société française est sous le choc. La 1ère Révolution est vécue comme une résurrection de l’Union sacrée. En 1917, l’opinion est lasse mais est sensible au respect du contrat des gouvernants russes : continuer à faire la guerre. La famille socialiste française est de plus en plus intéressée par l’évènement. Le journal d’Albert Thomas, ministre de l’Armement en témoigne. Marcel Cachin se rend à Moscou. Albert Thomas entend encourager les Russes à continuer le combat, contre les tsars de Berlin, de Vienne. La poursuite de la guerre doit servir la cause de la démocratie et du socialisme européen. L’objectif de l’Allemagne impériale est de profiter de la poursuite de la guerre. Pour les Bolcheviks, c’est une catastrophe. Car l’objectif de Kerenski est aussi d’écraser les révolutionnaires.

Questions de la salle

Que disent les soldats en 1917 dans leurs lettres ? C’est le citoyen-soldat qui s’exprime. Certains soldats ne sont pas forcément au courant de la situation. La censure existe. La résolution du Reichstag demande « Une paix sans annexion, sans contribution ».

Lénine par Frédéric Guelton

Né en 1870 à Simbirsk (aujourd’hui Oulianov), il appartient à une famille anobli. Son père est enseignant, inspecteur des écoles de province pour l’Education, conseiller d’Etat sous Nicolas II jusqu’au début du XXème siècle. Vladimir vit dans l’aisance. Son frère Alexandre prépare un attentat à Saint-Pétersbourg pour le 1er mars. Il est pendu publiquement (mai 1887). Vladimir entame des études de droit. Il passe ses examens d’avocat à Saint-Pétersbourg. Il se familiarise avec les écrits de Karl Marx et d’Engels et les fait siens. En février 1897, il est condamné à 3 ans de relégation en Sibérie orientale. Il va se marier en 1898 avec Nadedeja Kroupskaïa qui va être sa conseillère, passionnée d’éducation populaire. Il s’est marié à l’église orthodoxe. Il est exilé en Sibérie, mais s’y rend en toute liberté et ne vit pas dans un camp. Il va quitter la Sibérie pour l’Europe, la France, puis la Suisse. Il vit bien en France, à Longjumeau où il crée une école de cadres pour le parti bolchevik. Gorki fait la même chose à Capri. Lénine rentre pour développer ses thèses d’avril.

Après-midi

Après la visite des salles du Musée de la Grande Guerre, la séance de l’après-midi est consacrée à la mondialisation du conflit. Une table ronde est organisée sur Les pays belligérants face à l’entrée en guerre des Etats–Unis. Arndt Weinrich explique pourquoi les Allemands se décident à reprendre la guerre marine à outrance. En février 1915, elle avait été lancée. Il y a eu le torpillage du Lusitania le 7 mars 1915 qui entraîne la mort de 128 ressortissants américains. Devant les protestations de Wilson, l’amirauté allemande décide de revenir à la pratique antérieure : les sommations doivent être faites avant l’attaque. Entre 1915 et 1917, qu’est-ce qui change ?

D’abord les Allemands pensent ne plus profiter de la neutralité américaine, ensuite la situation antérieure est marquée par une pénurie alimentaire difficile à supporter à cause du blocus. Les Allemands sacrifient la neutralité américaine en pensant soumettre la Grande-Bretagne. Mais ils ont sous-estimé la capacité américaine à construire des cargos. Lloyd George impose les convois protégés.

Alexandre Lafon (Mission du Centenaire de la Grande Guerre) intervient pour le retour à la chronologie. Le mémoriel entretient le mythe du soldat américain : l’image libératrice. Rémy Porte : Les premières unités américaines sont versées dans un secteur calme. Les Allemands en face déploient de grandes banderoles « Préparez-vous à rentrer chez vous ». Au Bois Belleau, les troupes américaines montent à l’assaut sans artillerie et caissons. François Cochet : il faut procéder à une relecture de l’intervention américaine pour dégonfler le mythe américain. A Saint-Mihiel, la logistique est française. En 1918, les manuels d’instruction américaine ne tiennent pas compte de l’artillerie, ni des mitrailleuses. Le colonel Guelton intervient sur la participation de 20 000 russes. Il rappelle que la France crée une armée polonaise avec drapeau polonais. En décembre 1917, c’est la création d’une armée tchécoslovaque. Alexandre Lafon souligne que le mémoriel ce n’est pas de l’histoire. Sur les Russes, la Mission a essayé de valoriser le Chemin des Dames.

© Les services de la rédaction de la revue Historiens & Géographes. Le 14 août 2017. Tous droits réservés.

Notes

[1Secrétaire général de l’APHG. Directeur de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes. Compte rendu rédigé le 17 juillet 2017. Notes prises le vendredi 7 juillet 2017 par les services de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes. Pour lire les interventions de l’université, notamment celles du samedi, consulter le site du Musée.

[2Site internet du Musée de la Grande Guerre Pays de Meaux : http://edu.museedelagrandeguerre.eu/theme/338

[3Site internet du Musée franco-américain : http://museefrancoamericain.fr/