A comme... Association Par Jacques Portes

- [Télécharger l'article au format PDF]

Ce texte a été publié en tête du numéro spécial de la revue Historiens & Géographes consacré au Centenaire de l’APHG en novembre 2010 (n°412).

Jacques Portes est Professeur émérite à l’Université de Paris VIII- Vincennes. Il a présidé l’APHG de 2007 à 2011. Il est Président d’Honneur de l’Association.

Jacques Portes, Président d’Honneur de l’APHG

Alexis de Tocqueville, en 1835, dans la Démocratie en Amérique, insistait sur la vitalité du tissu associatif américain, qui expliquait en partie, selon lui, le dynamisme de la société et les promesses de la démocratie :

« Il n’y a rien, suivant moi, qui mérite plus d’attirer nos regards que les associations intellectuelles et morales de l’Amérique (...) elles sont (...) nécessaires au peuple américain. Dans les pays démocratiques, la science de l’association est la science-mère ; le progrès de toutes les autres dépend des progrès de celle-là (...) Pour que les hommes restent civilisés ou le deviennent, il faut que parmi eux l’art de s’associer se développe et se perfectionne dans le même rapport que l’égalité des conditions s’accroît. » [1]

Le jugement du brillant analyste s’adapte tout à fait bien à la loi du 1er juillet 1901, qui, en France, a donné naissance officielle aux associations.

« L’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations » (Journal Officiel).

Les progrès de la République et l’affirmation de sa laïcité, au moment des lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, expliquent cette loi libérale, dont les effets sont considérables ; elle a abouti à la rapide éclosion de dizaines de milliers d’associations diverses et y a ancré certains des principes de base de la démocratie. En 2010, existent en France 1,1 millions d’associations selon la loi de 1901.

La Société des Professeurs d’Histoire et de Géographie a choisi le mode associatif en 1910, car cela était désormais possible.

Le statut souple des associations a été le gage de leurs succès, grâce à lui, l’APHG a pu garder sa totale indépendance et sa neutralité, elle n’a eu besoin ni de s’associer à un parti politique ni de dépendre du ministère de l’Education, dont la configuration a été maintes fois modifiée. Elle a d’ailleurs été suspendue durant le régime de Vichy.

Elle peut assurer un travail de secrétariat et, sans faire de bénéfice, agir comme une petite entreprise. Son organisation régionale lui assure stabilité et représentativité.

Toutefois, Tocqueville considérait les associations comme un moyen pour les humbles de se réunir en nombre suffisant afin de faire masse et de se faire entendre aux dépens de l’élite qui conservait le monopole de la parole. En France, mais aussi aux Etats-Unis, les associations n’assument pas vraiment ce rôle ; la plupart servent à rassembler des membres qui partagent des valeurs, des modes, des pratiques ou des spécialités les plus diverses ; leur activité primordiale consiste à valoriser et renforcer le groupe. Ce n’est qu’accessoirement que ces associations cherchent à imposer leurs points de vue ou à regrouper le plus de monde possible afin de se faire entendre à l’extérieur.

Les associations existent avant tout pour elles-mêmes, bien qu’elles aient comme but une action ou des propositions à réaliser au-delà du groupe. La cohésion interne est indispensable pour atteindre leurs objectifs.

La conséquence de ce type d’attitude conditionne le fonctionnement des associations comme la nôtre ; sans doute, les statuts prévoient-ils des élections régulières afin de choisir le bureau, issu d’une assemblée générale des membres, qui constitue le peuple des citoyens. Mais, cette démocratie de type parlementaire n’est, le plus souvent, qu’une apparence. La survie du groupe nécessite des candidats le plus souvent cooptés par le bureau, ou quelques-uns de ces membres, ce qui permet de constituer une liste sans réelle concurrence. Afin d’éviter les divisions internes, les scrutins qui suivent sont de type soviétique, quelle que soit l’orientation politique de l’association : président et bureau sont le plus souvent élus à la quasi-unanimité.

Tocqueville voyait dans les associations une école de démocratie, mais il écrivait en un temps où celle-ci était encore contestée ; depuis 1901, et surtout dans le dernier demi-siècle, les institutions démocratiques sont relativement solides et les associations peuvent mener leur existence à leur façon, sans interférence.

Elles n’en représentent pas moins un élément capital du tissu social de nos pays, comme l’analyste du Cotentin l’avait pressenti à partir de l’exemple initial des Etats-Unis ; il ne s’était pas trompé, mais, pour une fois, les Français n’ont pas eu besoin de l’apport venu de ce pays.

Les associations selon la loi de 1901 constituent un élément fondamental de la société française, elles sont le signe de sa vitalité intrinsèque et sont d’autant plus importantes que beaucoup de corps intermédiaires traditionnels se sont étiolés. De nombreux citoyens sont souvent membres de plusieurs associations. Toutefois, elles reçoivent depuis peu la concurrence des réseaux sociaux sur Internet, du type Facebook.

L’APHG demeure sans aucun doute avec ses 8 000 adhérents et son type de fonctionnement, l’un des fleurons du monde associatif.

Jacques Portes

Notes

[1Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, vol. 2, Paris, Garnier-Flammarion, 1981, p. 141.