À propos de l’entrée dans le métier : pour un réexamen de la formation des enseignants stagiaires Tribune des ateliers pédagogiques de l’APHG publiée dans le n° 458 d’Historiens & Géographes

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Alors que l’année scolaire 2021-2022 s’achève et que des remaniements importants vont avoir lieu à la tête du Ministère de l’Éducation Nationale, l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie a tenu à recueillir les témoignages des enseignantes et enseignants stagiaires d’Histoire-Géographie afin de comprendre comment fut vécue cette année d’entrée dans le métier. [1]

Si de très nombreux collègues évoquent la satisfaction d’avoir découvert un métier qui mérite d’être exercé et disent la joie d’enseigner à leurs élèves, de développer des interactions stimulantes avec leurs collègues, tuteurs et formateurs, ces retours positifs sont fortement altérés par plusieurs points qui nous conduisent à tirer autant de sonnettes d’alarme et à appeler de nos vœux une réflexion plus poussée dans les semaines qui viennent sur l’accueil des prochains stagiaires issus de la réforme du CAPES.

De manière quasiment unanime, les collègues ayant désiré faire profiter l’ensemble de la communauté éducative de leur expérience regrettent profondément, voire amèrement, une multiplication des tâches (cours à préparer, cours à l’INSPE, conférences à suivre, mémoires et autres écrits à rédiger, examens écrits et oraux validant le Master…) les conduisant à un sentiment permanent d’écartèlement et à des journées où s’enchaînent parfois cours en établissement scolaire, cours à l’INSPE et conférences universitaires dont le suivi est fortement recommandé par les formateurs. Ces multiples injonctions, souvent concurrentes et parfois mêmes contradictoires, mettent d’emblée nos jeunes collègues en position difficile. Elles les plongent dans un climat de stress, voire d’angoisse, ainsi que d’insatisfaction car ces nouveaux enseignants enthousiastes et motivés ont de plus en plus souvent l’impression de mal faire ce qu’ils ont à produire. La sensation de ne pas avoir assez de temps à passer sur la préparation de leurs cours et évaluations revient dans les témoignages de manière récurrente et plusieurs collègues évoquent même le sentiment de culpabilité que cela génère chez eux. Nos collègues devraient pouvoir tirer de la fierté de leurs premiers cours, ce qu’empêche l’offre de formation telle qu’elle est actuellement conçue.

Ces sentiments ont été amplifiés par la sensation prégnante d’une mise en œuvre louvoyante des maquettes de formation proposées initialement par les INSPE et les rectorats. Si nos jeunes collègues ont souvent bien voulu y voir les effets de la réforme du recrutement, ces tâtonnements permanents ont conduit au sentiment peu rassurant que ni l’institution ni les stagiaires ne savaient vraiment comment pouvait/devait se dérouler précisément cette année et à quel point précis devaient en arriver ces jeunes enseignants au terme de leur première année de formation. Cette sensation de flou a accentué l’anxiété et les difficultés de collègues (M2A comme M2T) qui, par ailleurs, devaient aider leurs élèves à construire leurs repères et prendre leurs marques dans les méandres de l’Éducation Nationale.

De très nombreux retours évoquent ainsi des programmations de cours pas toujours adaptées ou proposées à des périodes n’étant pas les plus pertinentes : comment comprendre la mise en place d’une formation sur les usages d’un ENT quatre mois après avoir découvert son utilisation et ses fonctionnalités dans le cadre de l’établissement d’implantation ? Comment accepter l’absence de formations sur la gestion de classe ou l’annulation d’une formation sur les élèves à besoins éducatifs particuliers qui — et c’est bien tard — avait été programmée en novembre ? Nos nouveaux collègues reconnaissent à leurs formateurs de réelles qualités humaines et disciplinaires, mais, confrontés à une mise en œuvre de la réforme précipitée et trop peu pensée, ils ont pu mettre leurs propres stagiaires en difficulté, selon ces derniers.
Ainsi, en cette année de bascule entre deux formules de recrutement, de nombreux jeunes collègues constatent que le regroupement des étudiants ayant déjà eu le concours et devant valider leur Master tout en se faisant titulariser (M2A) et ceux qui doivent dans le même temps passer le concours, le Master, faire des stages et un mémoire (M2T) a souvent conduit à des contenus de cours plus adaptés à des M2A qu’à des M2T, ce que ces derniers ont vécu comme une perte de temps alors que de multiples échéances les attendaient.

Les M2T ont par exemple pu craindre la deuxième épreuve orale, souvent perçue (y compris par les formateurs) comme un « entretien d’embauche ». Les éléments de cadrage de celle-ci sont arrivés tardivement, parfois seulement au mois de mars. L’organisation d’oraux blancs fut dès lors laborieuse et, de surcroît, bouleversée par l’annulation puis le report de l’épreuve écrite de géographie du CAPES externe. Le libellé du message officialisant ce report auprès des candidates et des candidats (« Vous voudrez bien nous en excuser » …) a pu être interprété par ses destinataires comme une nouvelle marque de mépris. Si l’APHG comprend le report de l’épreuve dans la mesure où la rupture d’égalité était patente, elle regrette la légèreté de ce message qui ne montre guère la considération due à des candidats qui persistent à se confronter à un concours exigeant ouvrant la porte à un métier si peu attractif.
Le manque d’anticipation et de lisibilité a aussi mis en difficulté les collègues lauréates et lauréats des concours en 2021 et à qui il restait cependant à valider le M2. Les critères et les formes de l’évaluation dans le cadre des INSPE ont pu apparaître flous, changeants, annoncés tardivement, qu’il s’agisse, entre autres, de la mise en place d’oraux certificatifs ou d’un contrôle continu prenant la forme d’examens passés sur une semaine ou deux… ce qui rappelle davantage un parcours de Licence qu’un contrôle continu, les sessions de rattrapage en moins ! Il en découle dès lors, dans de nombreux cas, un sentiment d’incohérence, voire d’injustice.
Cet enjeu de l’évaluation, lors du concours et autour de celui-ci, met en évidence la question du volume de travail personnel demandé à nos collègues stagiaires. Une quasi-unanimité en dénonce l’extrême lourdeur alors que l’entrée dans le métier s’accompagne, bien naturellement, d’une charge de travail en elle-même conséquente, inhérente à la préparation des cours, des évaluations…

Si la pertinence d’un exercice tel que le mémoire professionnel n’est pas systématiquement remise en cause, la multiplication des exercices à rendre a considérablement pesé sur le quotidien de ces jeunes enseignantes et enseignants. Il importe de questionner la possibilité physique et physiologique pour des étudiants, fussent-ils excellents, courageux et déterminés, d’assumer la conduite d’un concours et d’un Master dans des conditions aussi cumulatives.

De tous ces témoignages reçus émerge l’impression marquante que nos collègues ont subi leur année de formation… davantage qu’elle ne les a portés ou qu’ils ne l’ont appréciée. Usés au terme d’une année éprouvante, beaucoup disent leur grande lassitude et leur très fréquente fatigue « physique et psychologique ».
La formation que ces jeunes collègues viennent de recevoir aurait dû les conforter dans l’idée que ce métier a du sens et qu’ils ont raison d’avoir choisi de l’exercer. Ce n’est majoritairement pas le cas et de nombreuses réponses à l’enquête s’achèvent par la possibilité de la démission ou d’un passage temporaire dans l’Éducation Nationale.

Si, en ce mois de mai 2022, le CAPES d’Histoire-Géographie maintient un nombre d’admissibles satisfaisant alors que des chiffres extrêmement alarmants sont annoncés dans d’autres disciplines, les sombres constats que nous venons de dresser ne peuvent que raviver les inquiétudes sur l’attractivité de notre profession.
L’APHG les a fréquemment soulignées, notamment à l’occasion de la campagne pour l’élection présidentielle. [2]

Les témoignages de nos jeunes collègues les confirment et pointent à nouveau l’exigence d’y apporter, urgemment, des réponses concrètes et convaincantes. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’un réexamen immédiat de la manière dont nous accueillons nos jeunes collègues dans la carrière. Il en va de l’avenir et de la qualité de notre profession, il en va aussi de la fierté que nous avons à transmettre et de la dignité que nous conférons à cette mission que nous savons essentielle pour notre société.

© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes n° 458 - Tous droits réservés. Mai-juin 2022.

Notes

[1Ce texte de synthèse issu d’un questionnaire proposé aux jeunes adhérentes et adhérents enseignants stagiaires de l’APHG est porté par les ateliers pédagogiques auprès du Comité national de l’Association, qui s’est réuni le 21 mai 2022 au Campus Condorcet (Aubervilliers). Coordination de l’édition du texte : Emmanuel MENETREY et Fabien SALESSE. NDLR.

[2A lire dans le numéro 457 d’Historiens & Géographes. NDLR.