Aborder en classe les événements des 7-10 janvier 2015 Quelques propositions pédagogiques...

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Par Vincent Duclert [1]

Les attentats en France et la réponse, tant des autorités politiques que de la société française et des nations étrangères, peuvent être abordés en classe, par les professeurs d’histoire, de géographie et d’éducation civique, en collaboration avec les collègues d’autres disciplines, selon des perspectives riches et volontaires qui donnent du sens à nos disciplines enseignées et à notre mission d’enseignement.

Une enquête historique, géographique et géopolitique

L’approche de la menace islamiste permet en premier lieu d’aller vers l’histoire et la géographie et la géopolitique du Moyen-Orient, vers le sujet des guerres dans cette région et celui de la radicalisation de courants de l’Islam qui se revendiquent du Prophète mais trahissent les composantes humanistes de ce monothéisme. La pénétration de cette idéologie de la terreur chez les auteurs des attentats conduit en second lieu à s’intéresser à la situation de l’identité démocratique en France et à son ancrage dans toute la société. Or, une partie importante de la société française a répondu, depuis le premier attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo et les policiers chargés de les défendre, puis le second contre la clientèle juive de l’Hyper Cacher, par l’affirmation de cette identité démocratique, preuve que celle-ci agit et se construit en permanence, qu’elle est au rendez-vous d’événements si graves et décisifs. Il s’agit, à l’école pour commencer, d’en renforcer la portée et la pertinence par l’enseignement dans les classes et le vivre-ensemble dans les établissements.

Une redécouverte des libertés universelles définissant la France et l’humanité

L’immense réponse française et la solidarité considérable dont elle a bénéficié dans une grande partie du monde ramènent la France vers sa définition de nation démocratique, de pays républicain. Cette définition incarnée permet de revenir sur les principes et les droits fondamentaux tels qu’ils sont formulés dans des lois fondatrices de la République, la loi instituant la liberté de la presse de 1881, la loi instituant la liberté de conscience et la liberté de religion de 1905, la loi condamnant le racisme et l’antisémitisme de 1972. Ces lois se fondent sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’août 1789. Elles ont des prolongements internationaux et notamment européens avec la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, plus connue sous le nom de Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950, rendant contraignants certains des droits énoncés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948. [2] Ces valeurs ont vocation à l’universalité, et dépassent leur situation occidentale. On ne peut parler à cet égard de « choc de civilisation ». Les musulmans arabes et africains sont les premières victimes de la terreur islamiste. Ils se défendent en affirmant eux aussi la force politique, sociale et culturelle de telles valeurs qui prennent ainsi, concrètement, leur dimension universelle. Pour ce qui est de la France, la devise républicaine, « Liberté, égalité, fraternité » porte ces libertés et le devoir de les faire vivre dans l’Etat, dans la société, dans la culture, à l’Ecole.

Ces actes fondateurs des libertés pour lesquelles ont écrit, parlé et marché des millions de personnes au lendemain des attentats en France ne sont pas non plus de simples textes de lois ou de déclarations. Ils renvoient à des valeurs philosophiques, supérieures aux régimes politiques, des valeurs qui définissent les sociétés modernes, les progrès de l’humanité, et le refus de toute persécution. Il est important d’expliquer aux élèves, en fonction du niveau de la classe et du contexte de l’établissement, que ces actes fondateurs, élaborés dans l’histoire, établissant « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », Préambule de la constitution de la IVe République du 27 octobre 1946 : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. » [3] rappelant les héritages littéraires et philosophiques les plus décisifs comme Montaigne reconnaissant dans les Essais (1580) que l’homme porte en lui-même « la forme entière de l’humaine condition », ou Voltaire dans son Traité de la tolérance, représentent la possibilité même de la vie en société comme de la démocratie républicaine. On peut considérer légitimement que l’importance exceptionnelle de la marche républicaine du 11 janvier ont renforcé cette dimension fondatrice et universelle de telles libertés.

Le prix de la démocratie républicaine

Ces libertés ont un prix. Des sacrifices, des engagements ont été consentis pour elles en France et dans le monde, particulièrement pour la liberté de la presse et de l’expression, pour la liberté de conscience, et contre le racisme et l’antisémitisme. Il est pertinent de souligner auprès des élèves que les journalistes, reporters et photographes paient toujours un lourd tribut dans leur tâche d’information, ou bien de rappeler que les combats pour la presse libre sont jalonnés de procès (contre L’Aurore et Emile Zola après la publication de « J’accuse… ! ») et d’attentats (les domiciles des journalistes du Monde Jacques Fauvet et Jean Planchais sont plastiqués en raison des prises de position du journal en faveur de l’indépendance algérienne).

Il devient possible avec les classes, grâce à l’appui de références historiques, juridiques, civiques, morales, de mieux analyser les paroles et les images créées en réponse aux attentats, soit qu’elles défendent la liberté de la presse soit qu’elles rejettent l’antisémitisme soit qu’elles dénoncent l’islamisme radical. L’exemplaire solidarité affichée par une très grande partie de la société française – et des sociétés du monde – pour toutes les victimes permet de montrer l’actualité autant que la force de la valeur de fraternité articulée sur la liberté et l’égalité.

Une tradition d’expression des libertés

Les expressions de solidarité qui se sont multipliées dans l’espace public depuis le 7 janvier appartiennent à la tradition d’expression des valeurs civiques par toutes formes artistiques, culturelles, publiques. Aussi, avec les élèves est-il possible, en adaptant la démarche à leur âge, de travailler sur la signification des images et des paroles dont ils sont témoins, et rapprocher ces dernières d’autres expressions populaires des valeurs civiques. La recherche et l’étude de ces expressions populaires peuvent faire l’objet d’un intéressant travail en classe. Il est important d’enseigner aux élèves comment les citoyens et citoyennes peuvent s’engager, et combien les espaces ou les formes de ces engagements sont nombreux et variés. [4]

Enseigner le caractère « historique », la solidarité en marche, les pouvoirs publics, l’usage d’Internet, les événements du monde et le rôle de la France

Compte tenu des journées qualifiées d’ « historiques » vécues par la France, particulièrement le 11 janvier, il est légitime par ailleurs de travailler avec les élèves sur la notion d’ « historique ». Pourquoi cette journée peut-elle être ainsi qualifiée ? Quelle signification donner à l’acte de « marcher ensemble » ?

La France républicaine telle qu’elle s’exprime dans la réponse sociale aux événements permet d’enseigner le principe de solidarité autant que sa pratique, et de ramener de telles valeurs civiques au cœur du pacte social. La hiérarchie des valeurs et l’indispensable liberté de conscience et d’expression sont montrées et démontrées au regard des événements.

La France républicaine telle qu’elle s’affirme ici permet également de faire comprendre aux élèves le rôle et l’action des pouvoirs publics dans le respect des lois, contre les auteurs des attentats, pour les victimes, et en faveur de la défense des libertés individuelles, publiques et politiques. Les élèves peuvent à cet égard mieux comprendre et accepter le rôle individuel et social des agents de l’Etat et la manière dont les services publics (police, gendarmerie, pompiers, SAMU, hôpitaux,..) se composent d’acteurs humains.

Au sein d’une équipe pédagogique, le professeur d’histoire, de géographie et d’éducation civique est aussi en mesure d’amener les classes à réfléchir sur la manière dont une nation commémore les événements auxquels elle est soumise, et sur ceux ou celles qui y agissent. Cela peut aller d’une « marche républicaine » comme celle des 10 et 11 janvier, à des obsèques comme celles qui sont organisées au Panthéon. La commémoration peut se réaliser dans des lieux ou des situations plus modestes mais dont la signification est tout aussi importante (par exemple les rassemblements en région qui ont été souvent proportionnellement supérieurs à la manifestation parisienne, ou bien les minutes de silence dans les lieux publics). C’est alors poser la question de savoir ce qu’individuellement les personnes, les élèves, sont capables de faire pour faire vivre la citoyenneté démocratique. Et saisir ainsi l’occasion de dialoguer et d’échanger avec les élèves, notamment sur les spécificités du droit et des libertés de notre pays (absence du blasphème, laïcité, expression, etc.)

L’enseignant peut aussi faire réfléchir ses élèves, à l’occasion des événements, au rôle des réseaux sociaux et d’Internet, à la fois comme moyen d’expression démocratique mais aussi comme champ ouvert de la haine politique, raciale et religieuse.

L’enseignant sera amené à souligner que les attentats et la terreur que la France a connus sont aujourd’hui le quotidien de certains pays comme la Syrie ou le Nigeria. La question de la solidarité à l’égard de ces sociétés terrorisées doit se poser comme une évidence, de la même manière la France a bénéficié d’une exceptionnelle solidarité d’une partie importante du monde.

Conclusion

Il importe pour conclure de souligner auprès des élèves que toutes les formes de barbarie dont ils peuvent être les témoins à travers les images télévisées ou diffusées par les journaux ou sur les réseaux sociaux peuvent être repoussées par un réinvestissement dans les valeurs de la démocratie dont ils sont aussi les témoins avec les marches républicaines et la fraternité vécue depuis le 7 janvier. La démocratie est d’autant plus capable de s’opposer à la barbarie qu’elle reste vivante en chaque personne. C’est la leçon des événements. Le professeur peut s’appuyer sur le ressenti des élèves pour ces valeurs afin de construire avec la classe cet argumentaire de la démocratie républicaine comme antidote à la peur et cette nécessité de la faire vivre avec les élèves, dans la solidarité et la fraternité. Le professeur redonne ainsi du sens à la devise « Liberté, égalité, fraternité » et montre qu’elle définit bien la France et la République.

Ces quelques propositions doivent encourager les professeurs d’histoire, de géographie et d’éducation civique à prendre toute leur part dans l’approche des événements en classe, en restituant leur profondeur historique, philosophique et culturelle, et en permettant en même temps que les élèves assimilent les valeurs défendues. C’est une occasion majeure d’aborder la complexité du monde et de mettre en situation le fonctionnement des institutions françaises et le rôle de la France dans le concert des Nations.
Ce travail avec la classe constitue un moment d’enseignement moral et civique. La liberté et la responsabilité pédagogiques qui caractérisent le métier d’enseignant prennent ici leur sens pratique ; il appartient au professeur de choisir les voies de dialogue et de discussion les mieux adaptées au contexte spécifique de chaque classe. La conscience de l’identité démocratique peut se renforcer chez des élèves susceptibles d’être tentés de la rejeter. Les professeurs savent et assument la mission qui est la leur au lendemain de ces journées « historiques ».

Vincent Duclert
IGEN
Pour le groupe Histoire-Géographique de l’Inspection générale
janvier 2015
Publié sous le titre : « Quelques propositions pédagogiques pour aborder en classe les événements des 7-10 janvier 2015 ».

Avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Lire l’article en ligne : Portail national de ressources Eduscol Histoire-Géographie et Education civique

Les services de la rédaction d’Historiens & Géographes - 27/01/2015. Tous droits réservés.

Illustration : Photo Henri Beaulieu DR.

Notes

[1Inspecteur général de l’Education nationale groupe Histoire-Géographie

[2Voir Dominique Schnapper, Qu’est-ce que la citoyenneté ?, avec la collaboration de Christian Bachelier, Paris, Gallimard, coll. « Folio actuel », 2000, p. 131-135 et 262-276.

[3Ce préambule est reconduit dans celui de la constitution de l’actuelle Ve République : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 ».

[4L’ouvrage Guide républicain (CNDP, IGEN, Delagrave, 2004) donne des exemples de ces productions culturelles montrant la diffusion et l’adoption de l’idée républicaine dans la société à travers des exemples de productions littéraires, culturelles, philosophiques,…