Dans trois grandes salles du Pavillon de la Reine étaient étalées sur de très grandes tables une vingtaine d’archives - lettres, rapports, câbles, photographies, bulletins de renseignement…- issues des archives des services secrets français, mais aussi allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ces archives étaient commentées lors de la visite par les archivistes du SHD et les membres du Comité scientifique ayant travaillé à la réalisation de la revue Les Chemins de la Mémoire, numéro spécial, (décembre 2015), Sébastien Albertelli, agrégé et docteur en histoire ; Michel Blondan, docteur en droit et spécialisé en histoire du droit et des institutions et Thomas Fontaine, docteur en histoire, spécialiste de l’occupation et de la déportation et de la répression.
Elle s’est articulée autour des thématiques suivantes : les archives de Londres et d’Alger (ordres de mission, engagements, câbles, interrogatoires), les archives allemandes (dossier Alliance infiltré par la Gestapo, registres de la Gestapo, tribunaux militaires, dossiers des agents de l’Abwehr, service de contre-espionnage dirigé par l’Amiral Canaris), les archives de la direction générale des études et recherches – DGER (interrogatoire de Klaus Barbie, dossiers sur la recherche de criminels de guerre), les archives personnelles (lettre manuscrite de Geneviève de Gaulle à son oncle découverte il y a 6 mois, cahier personnel d’Estienne d’Orves, correspondances privées).
Tribulation des archives secrètes
Si les premiers versements datent du milieu des années 1970, une partie importante de ces archives a été déposée au Château de Vincennes, sur décision du Ministre de la Défense à la suite d’une polémique déclenchée par les déclarations d’Alexandre de Marenches, ancien chef du Service de Documentation et de contre-espionnage (SDECE). Ce dernier dans un livre d’entretien avec Christine Ockrent intitulé Le secret des princes, affirmait que le SDECE conservait des archives allemandes de la Seconde Guerre mondiale saisies par les services spéciaux français. Il indiquait que certaines de ces archives faisaient mention de l’activité collaborationniste de personnalités françaises considérées comme de parfaits résistants. Pour faire taire les rumeurs, le Ministre André Giraud décide de transférer les archives déposées au fort de Noisy-le-Sec au Château de Vincennes, au SHAT, et demande à ce que la commission nationale consultative de la Résistance les examine. Elle ne trouve rien des allégations d’Alexandre de Marenches. Mais ces archives stockées dans un local sécurisé sur deux niveaux restent sous la responsabilité du SDEC qui continue à les exploiter pour faire des recherches.
En 1999 /2000, la circulaire du Premier Ministre Lionel Jospin permet l’ouverture des Archives de la Seconde Guerre mondiale. Le SDECE remet les clefs aux archivistes. En 2013 une décision est prise de prendre en compte les archives inédites et de les classer. En 2014, il est décidé de valoriser ces archives auprès du public. L’idée d’un numéro spécial voit le jour.
Classement des Archives
En décembre 1945, le DGER devient le Service de documentation et de contre-espionnage (SDECE) qui hérite des fonds constitués à Londres, Alger et Paris. Au fil des années, ces archives ont été reclassées et reconditionnées par le personnel du SDEC, faisant disparaître de nombreuses indications sur leur provenance. A contrario, si certains documents ont été indexées rendues accessibles par es fichiers manuels ou une base informatique pour n’avoir pas été exploités, n’ont jamais été inventoriées... Un récolement global fût opéré dans les années 2000, quelques instruments de recherche partiel ont permis aux archivistes de Vincennes de s’orienter dans ces archives et d’opérer des archives ponctuelles au profit des historiens. Ce n’est qu’en 2013 la décision de classer cet ensemble a été prise. Le travail, actuellement en cours, est réalisé par quatre archivistes, assistés de vacataires ou de stagiaires et a reçu, depuis 2015 l’appui de l’Institut Historique allemand, en partenariat avec l’université de Trêves et le Centre de recherche d’histoire quantitative de l’Université de Caen.
Le classement de ces fonds est difficile, car la cohérence originelle est perdue ; aussi une grande partie a été intégrée dans une série documentaire continue, composée de plus de 700000 pièces (série P) sans logique chronologique ou thématique. Les archivistes tentent de reconstituer les dossiers à partir des références portées sur les documents ou d’anciens inventaires qui permettent de retrouver le classement adopté initialement par les producteurs. Aujourd’hui, sur près de 500 mètres linéaires ont été classés et inventoriées. Au sein des Archives de guerre, une nouvelle série (GR 28 P) a été créée.
Les grandes thématiques des archives
Cet ensemble représente environ 500 mètres linéaires auxquels il faut ajouter des fichiers papiers conservés dans 13 meubles à tiroirs. Cet ensemble riche et disparate est constitué par trois ensembles :
1- Le premier est constitué par les archives produites à Londres par le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), crée par dès 1940 par André Devawrin, alias colonel Passy, sous le nom du 2ème bureau, sous l’autorité du général de Gaulle. Transférées en France, ces archives sont, pour partie versées aux Archives nationales et, pour le reste, conservées par les services spéciaux, notamment, les archives relatives au contre-espionnage, l’ensemble des dossiers individuels, notamment ceux des agents appartenant aux Forces françaises combattantes (FFC), et des documents comptables et financiers.
2- Le second ensemble a été réuni à Alger. Il s’agit de la production de services de contre-espionnage qui se sont succédé en Afrique du Nord des années 1930 à 1944, dont ceux relevant de Vichy. On y trouve quelques archives antérieures à la Seconde Guerre mondiale produites par la Section d’étude et d’Afrique (SEA) équivalent du Service de centralisation de renseignement(SCR) en métropole, des dossiers provenant des Bureaux des menées antinationales (BMA) et des Travaux ruraux (TR), actifs de 1940 à 1942 , ainsi que l’ensemble de la de la documentation de la Direction de la Sécurité militaire(DSM), créé par le colonel Paillolle. Ces fonds d’archives ont été comme ceux de Londres, transférées à l’automne 1944 à Paris.
3-Le dernier ensemble regroupe les Archives produites dans la capitale et les régions militaires françaises à partir d’août 1944 par la Direction des services spéciaux qui succède aux services algériens et londoniens, et devient en novembre 1944, la Direction générale des études er recherches (DGER). Ce service est chargé à la libération de lutter contre les actions ennemies et de rechercher collaborateurs et criminels de guerre.
Sommaire du numéro spécial « Archives secrètes de la Seconde Guerre mondiale »
1- Des archives du BCRA au Livre Blanc.
C’est Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin qui est chargé de rédiger avec l’aide de Stéphane Hessel le Livre Blanc du Bureau central de renseignements et d’action en 1944. Il le fait dans des conditions rocambolesques Il a été aidé dans le classement par Vita Hessel, puis à son retour de captivité par Stéphane Hessel. Ce Livre Blanc a été présenté au Général de Gaulle, mais jamais publié Son but était montrer en quoi le BCRA avait aidé la Résistance. Le Colonel Passy l’utilisa pour rédiger ses Mémoires.
2-Les services spéciaux dans la guerre
(La France Libre, le BCRA, Alger, Paris, les services secrets de Vichy, les services répressifs allemands en France occupée).
3-Résistances et agents de La France Libre (Daniel Cordier, Le chapeau vert est toujours vert ; Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Itinéraire d’un engagement, Geneviève de Gaulle : « Servir de toutes mes forces », le décret 366 du 25 juillet 1942, les transmissions au service de l’action, 1944-1946 ; interroger les agents des réseaux.
4- Allemands, auxiliaires et collabos (Policiers et agents allemands en France occupée, les caricatures du SD de Metz Hans Sommer du SD à la Stasi, « Alias Bäumchen :les informateurs de l’Abwehr, Selbschutzpolozeu ; des collabos dans la police, les fichiers de la LVF et de la Légion tricolore 5-La répression de la Résistance (les chutes du réseau « Alliance », autour de l’Abbé Blanc : l’infiltration d’un réseau, « l’ange gardien de V1 , « An nom du peuple » allemand », le procès de la chambre des députés : les sacrifiés, « mauvaise nouvelle de France ».
6- Recherche des criminels (Un grand nombre d’exécutions mystérieuses, une charrette est prête, le dossier Kurt Lischka, de Klaus Barbie à Klaus Altmann).
7-D’hier à aujourd’hui (du BCRA à la DGSE)
8-Annexes (glossaire, traductions, bibliographie, sitographies et multimédias, liste des auteurs).
Les doubles pages, les nombreux documents inédits peuvent être utilisés en classe en 3ème, en 1ère, en Terminale, en classes préparatoires pour l’étude de la France soius l’occupation allemande pour l’étude de la collaboration Résistance, de la chasse aux criminels de guerre.
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Ces archives sont accessibles au public, salle de lecture Louis XIV, Pavillon de la Reine, Château de Vincennes. Les archives exposées ont été publiées dans le numéro spécial Les Chemins de la Mémoire, Ministère de la Défense décembre 2015, 108 pages. Elles ont disponibles sur le site de la revue.
Note de la Rédaction sur les Chemins de la Mémoire : Entretien sur place avec le Rédacteur en chef.
Cette revue, publication du ministère de la Défense, tire à 23 000 exemplaires. Elle a 18 000 abonnés : référents Défense, anciens combattants, archivistes, corps enseignant. On la trouve dans les CDI des collèges et des lycées. Son but est d’informer sur l’événementiel commémoratif à forte connotation historique et tend à coller davantage à l’actualité, à être plus réactive vers un événementiel plus général, moins contrainte par le calendrier, tout en ne renonçant pas aux numéros spéciaux sur Verdun et sur la Somme. Elle rend compte d’expériences et d’innovations pédagogiques. Le contenu peut être lu en ligne sur le site de la revue.
© Les services culturels de la revue Historiens et Géographes, 22 mars 2016. Tous droits réservés.
© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 31/03/2016. Tous droits réservés.