Audition de Najat Vallaud-Belkacem sur la Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République Assemblée nationale - Commission des Affaires culturelles

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Présidence de M. Patrick Bloche, président
Audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur la Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République
Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION
Mercredi 28 janvier 2015
La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.
(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

Compte rendu n° 26

La Commission procède à l’audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur la Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République.

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, je tiens à remercier, en votre nom, Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, d’être venue aujourd’hui devant notre commission présenter son plan de mobilisation de l’école pour les valeurs de la République.
Les événements tragiques que notre pays a connus au début du mois de janvier ont mis en évidence la nécessité de renforcer la transmission aux jeunes Français des valeurs qui fondent notre République, et tout particulièrement du principe de laïcité qui semble aujourd’hui, au mieux méconnu, au pire rejeté.
Les valeurs républicaines et la laïcité sont des sujets qui ont été particulièrement présents sur tous les bancs de l’hémicycle et dans toutes les travées de notre commission, il y a maintenant près de deux ans, lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
Pour gagner en efficacité, cet acte II de la refondation de l’école, comme l’a appelé de ses vœux le Président de la République, doit se conjuguer à plusieurs niveaux : celui du contenu des enseignements et de la formation des professeurs bien sûr, mais aussi plus largement dans la réduction des inégalités, le renforcement de la mixité sociale à l’école et dans le développement du sentiment de citoyenneté et de la culture de l’engagement à tous les stades de la vie éducative.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de m’accueillir parmi vous. J’aurais préféré revenir devant votre commission dans un autre contexte que celui-là, mais les événements qui se sont déroulés au début de ce mois nous conduisent à poser de nombreuses questions autour de l’école puisqu’elle s’est retrouvée en première ligne.
Il me semblait important que nous puissions échanger et que vous puissiez participer pleinement, comme vous en avez émis le souhait, à cette mobilisation qui ne fait que commencer puisque les assises que nous avons lancées sur tout le territoire dureront trois mois. Nous souhaitons y associer tous les partenaires. Les élus, les collectivités locales, les entreprises seront les bienvenus dans cette démarche parce qu’il est évident que l’école à elle seule ne pourra pas tout, même si, et je n’ai de cesse de le répéter depuis quinze jours, l’école doit tout faire pour porter, de sa place, dans son rôle, les valeurs républicaines qui ont été mises à mal par les attentats de ce mois de janvier.
Je me suis exprimée à l’Assemblée nationale la semaine dernière pour vous dire combien l’école s’était mobilisée dans les premières heures qui ont suivi les attentats, à la fois spontanément et à ma demande, aussi bien pour faire respecter une minute de silence et de recueillement des élèves autour de la mémoire des victimes que pour libérer les échanges, le dialogue, les débats.
Je vous ai indiqué qu’il y a eu des endroits où tout s’était merveilleusement bien passé et d’autres où quelques incidents se sont produits. Nous avons voulu répondre à ces incidents par la plus grande vigilance et la plus grande fermeté.
Que peut faire aujourd’hui l’école de la République pour transmettre mieux encore qu’elle ne le fait les valeurs auxquelles nous sommes attachés – la liberté d’expression, la liberté de confession, le vivre ensemble – et qui ont été attaquées ? Comment faire en sorte d’éduquer des générations entières à ne pas reproduire le mal et à ne pas s’y reconnaître, à ne pas le justifier ? La mobilisation que nous avons engagée répond à trois défis qui sont lancés à l’école et dont l’actualité rappelle l’acuité : transmettre des savoirs, transmettre des valeurs républicaines, faire en sorte que l’école offre aux élèves un cadre sécurisant, respectueux de l’autorité.

Mieux transmettre les savoirs fondamentaux doit être notre priorité à la suite des événements et des incidents. Comme je l’ai dit tout à l’heure en séance publique en réponse à votre question, monsieur le président, c’est dans le vide de la pensée que s’installe le mal. On a constaté que les jeunes gens qui ont pu dire leur désaccord avec la minute de silence ou l’adhésion nationale autour de Charlie Hebdoavaient de fait un manque de maîtrise de la pensée, du langage et donc un manque d’esprit critique. Si nous voulons vraiment faire de ces jeunes gens des citoyens responsables, il faut leur offrir une bonne maîtrise du parler, du lire, de l’écrire. C’est la raison pour laquelle nous avons mis au centre des mesures annoncées la semaine dernière la nécessité de renforcer la maîtrise de la langue.

Nous allons lancer ce chantier qui commence dès le plus jeune âge, et qui vient conforter d’ailleurs le diagnostic que nous avions fait lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Le développement de la préscolarisation des enfants dès l’âge de trois ans y participe car suivant la catégorie sociale à laquelle il appartient ou ses conditions d’existence, l’élève peut maîtriser trois fois moins de mots qu’un autre. Plus encore, nous développerons désormais au début du CE2 une évaluation du niveau de lecture et d’écriture des élèves pour mieux détecter les difficultés et mettre en place des réponses adaptées aux besoins de chaque enfant. Nous allons également, dans le cadre de la réforme du collège que nous conduirons cette année, renforcer ces fondamentaux que sont le français et les mathématiques. Dans le même souci, nous allons déployer avec davantage de moyens les dispositifs d’inclusion scolaire pour améliorer l’apprentissage de la langue par les élèves qui ne parlent pas le français et qui viennent d’arriver en France. Nous veillerons à ce que de tels dispositifs concernent aussi les parents qui ne maîtrisent pas non plus la langue et pas simplement les primo-arrivants, mais aussi ceux qui sont installés de longue date sur le territoire.

Au-delà du français, du lire, de l’écrire, de la capacité à se forger une pensée et à l’exprimer, il est nécessaire d’élever le niveau de connaissances et la réussite du plus grand nombre. Tel était l’objet de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Il est encore trop tôt pour mesurer les effets de cette loi, mais il faut savoir ce que cela signifie que d’avoir remis en place une formation initiale des enseignants, à l’heure où l’on nous demande de la renforcer encore. Que ne nous aurait-on pas dit s’il n’y avait pas eu de formation initiale !

Cette même loi nous conduit à revoir le socle commun de connaissances, de compétences, de culture, à réviser les programmes précisément pour apprendre mieux. Nous allons donc poursuivre ces efforts, tout comme nous poursuivrons ceux en matière de lutte contre le décrochage scolaire en faisant en sorte d’intervenir le plus tôt possible, dès que des signes avant-coureurs apparaissent, afin de le prévenir.
On a beaucoup parlé de la transmission des valeurs de la République et au premier rang desquelles la laïcité. C’est clairement le deuxième défi auquel l’école doit faire face et sur lequel elle va se mobiliser. Ces attentats ne sont pas anodins. Les terroristes se sont attaqués à des dessinateurs, des journalistes, des policiers, des Français de confession juive. Ce faisant, ils ont clairement voulu porter un coup aux valeurs de notre République. Or c’est le rôle de l’école que de faire vivre cette République, de faire comprendre ses valeurs, d’en faire le ciment d’une culture commune. C’est pourquoi nous devons mieux former ceux qui sont chargés de les transmettre. La communauté éducative en avait déjà conscience ; peut-être est-ce aujourd’hui plus partagé à la faveur de ce qui s’est passé. Il ne suffit pas de porter de façon un peu incantatoire les grands mots de liberté, d’égalité et de fraternité ou de laïcité ; encore faut-il être capable de les transmettre. C’est la raison pour laquelle, aussi bien dans le cadre de la formation initiale dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) que dans celui de la formation continue, nous veillerons désormais à ce que la laïcité, l’animation des débats, la gestion de classe, l’éducation aux médias et à internet soient des apprentissages d’abord pour les enseignants avant d’être des apprentissages pour les enfants. C’est ce qui nous a conduits à demander à toutes les ESPE d’insérer dans leur tronc commun et de façon homogène ces formations indispensables. Nous allons déployer 1 000 formateurs sur l’ensemble du territoire qui seront eux-mêmes formés à ces questions de laïcité, de citoyenneté, d’éducation aux médias, avant de former à leur tour toute la chaîne éducative concernée.

Les enseignants considèrent qu’ils manquent d’outils simples, d’argumentaires et de contre-argumentaires sur un certain nombre d’idées redondantes, de théories difficiles à contrer dont sont porteurs des élèves qui sont en proie, comme l’ensemble de la société, à un scepticisme, à une contestation des connaissances, à du relativisme qu’il est parfois difficile de combattre. Nous sommes en train de mettre en place ces documents, ces outils pédagogiques, ces contre-argumentaires et ces outils vidéo pour aider les enseignants à passer des messages et nous veillerons à ce qu’ils répondent au mieux aux besoins du terrain.

La meilleure façon de transmettre les valeurs de la République, c’est de faire en sorte que les élèves en fassent l’expérience directement pendant leur scolarité. L’école ne peut pas parler d’égalité de façon crédible si elle ne lutte pas elle-même de toutes ses forces contre les inégalités. Là encore, la résorption des inégalités, c’est ce qui nous guide depuis deux ans. C’est pourquoi, juste avant les vacances de Noël, nous avons pris cette décision majeure de modifier le système d’allocation des moyens aux établissements scolaires. Plutôt que de se baser uniquement sur les effectifs des établissements scolaires lorsque l’on doit décider de l’affectation des postes ou des moyens, nous allouerons désormais davantage de moyens là où les besoins sont les plus importants, là où se concentrent le plus de difficultés scolaires.
S’agissant de la résorption des inégalités, nous devons aller plus loin, notamment en matière de mixité sociale dans les collèges puisque c’est là que les difficultés se posent le plus. Je l’ai dit, nous travaillons avec les recteurs et les collectivités locales pour voir comment modifier l’affectation des moyens afin de mieux assurer la mixité sociale, parce qu’il n’y a rien de plus délétère que la concentration de difficultés sociales, la ghettoïsation, le séparatisme social. Beaucoup d’enfants dans ce pays ne croient plus aux valeurs de la République parce qu’ils ne sont pas amenés à les vivre, ils ne croient plus au vivre ensemble parce qu’ils ne font même pas l’expérience de la différence et de la mixité sociale avec d’autres. Nous devons absolument avancer sur ce sujet. Je n’ai pas dit que ce serait simple, mais nous le ferons.
De même, nous devons avancer en matière de lutte contre la pauvreté dans les écoles. Si le sujet n’était pas tabou, il n’a pas non plus été pris à bras-le-corps. Pendant des années, les fonds sociaux dans les établissements scolaires ont plutôt été revus à la baisse. Nous avons pris une décision forte, celle de les augmenter de 20 %, pour les porter à 45 millions d’euros afin de mieux répondre à un certain nombre de besoins qui s’expriment.

Apprendre les valeurs de la République, c’est aussi faire l’expérience du parcours citoyen qui n’est pas simplement un enseignement. On a beaucoup parlé de l’enseignement moral et civique, et je suis heureuse que le travail ait été engagé avant les attentats, ce qui nous permet déjà de disposer d’un outil bien construit que nous allons enrichir pour devenir une véritable nouveauté. En effet, à partir de la rentrée 2015, du primaire au lycée, l’élève bénéficiera d’un enseignement moral et civique d’une heure hebdomadaire, ce qui représentera au total 300 heures. Cela lui permettra d’aborder des notions à la fois théoriques parce qu’il en faut – de droits et de devoirs, de règles de vie en collectivité – mais surtout de mise en pratique du débat, de la simulation, du travail collectif, de l’interactivité et du développement de l’esprit critique.
Chaque projet d’école ou d’établissement permettra à l’élève de s’engager dans la vie démocratique de son école, collège, lycée et dans la vie associative des partenaires de l’école. Nous allons renforcer tous ces partenariats et faire en sorte que cet engagement soit reconnu et valorisé dans sa scolarité. Une évaluation aura lieu lors du brevet, non sur les performances réalisées pendant cet engagement de plusieurs années, mais sur la capacité de l’élève à retranscrire son engagement et à montrer combien il s’en est alimenté. C’est cela aussi qui construit la citoyenneté.
Dans ce parcours citoyen, nous veillerons tout particulièrement à ce que l’élève fasse l’apprentissage d’une éducation aux médias et à internet. Les élèves d’aujourd’hui n’ont plus grand-chose à voir avec ceux d’il y a quinze ans. Je me fais cette réflexion à chaque fois que je me rends dans un établissement et que je suis amenée à discuter avec les collégiens. C’est un âge où ils ont du mal à trier, à hiérarchiser la masse d’informations qui leur parvient. Il ne faut pas s’étonner que la non-hiérarchisation des informations aboutisse parfois à la non-hiérarchisation des valeurs. Les enseignants seront formés à cette éducation aux médias et à internet pour pouvoir répondre notamment aux théories du complot qui sévissent sur la toile.

La meilleure façon d’apprendre à décrypter l’information, à l’analyser, à savoir comment elle se construit, à l’objectiver, c’est de permettre aux élèves de faire eux-mêmes l’expérience d’un média. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de développer dans chaque collège et chaque lycée un média, qu’il s’agisse d’un journal, d’une radio ou d’une plate-forme web. Chaque élève devra s’en voir offrir l’opportunité.
L’école n’arrivera pas à transmettre les valeurs républicaines si elle n’est pas entourée de partenaires, et en premier lieu des parents. Lors de l’adoption de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, vous avez rappelé l’importance de la coéducation. Nous avons déjà réalisé des progrès en la matière et je vous invite à relire ce que je disais avant Noël en matière de lutte contre le décrochage. Il est nécessaire de généraliser des dispositifs comme la « mallette des parents » et l’association des parents à chaque étape importante de la scolarité de leur enfant ou lors des choix d’orientation. Mais il faut aller plus loin. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de créer un Comité départemental d’éducation à la santé et la citoyenneté (CDESC), c’est-à-dire une structure qui associera l’ensemble de la communauté éducative, personnel enseignant et non enseignant, et notamment de santé, ainsi que les parents, pour prendre un certain nombre de décisions sur l’ensemble des établissements du département. C’est une bonne façon de faire progresser ce sujet et de parvenir à notre but : la création systématique dans chaque établissement scolaire d’un « espace parents » où ils se sentiraient chez eux, où ils seraient régulièrement accueillis et associés à la scolarité de leur enfant.

Les autres partenaires d’évidence sont les associations d’éducation populaire. Nous avons, avec mon collègue Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, décidé d’inclure, dans les plans éducatifs territoriaux qui nous lient aux collectivités locales dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, un volet laïcité et citoyenneté pour lequel nous provisionnons 10 millions d’euros. Cette somme permettra d’inviter des associations d’éducation populaire à intervenir sur le temps périscolaire sur ces mêmes questions parce qu’il faut beaucoup de cohérence entre les différents temps de l’enfant et parce que les messages qui sont portés au sein de l’école doivent aussi être portés en dehors.

J’ai été frappée par le nombre de messages que j’ai pu recevoir de simples citoyens qui se disent disponibles, disposés à venir aider l’école. C’est cela aussi l’esprit du 11 janvier. Des chefs d’entreprise, des salariés, des mères de famille, des experts, des retraités nous ont dit que leur témoignage, leur expertise, leur façon de parler aux enfants pouvaient être utiles. Nous en avons déjà fait l’expérience ces dernières années avec les anciens déportés ou résistants qui ont accompli un travail magistral dans tous les établissements de France où ils sont allés témoigner, ce qui a permis de mettre un visage sur des chiffres ou des réalités objectives et tellement monstrueuses qu’on avait du mal à les identifier. Ce travail de témoignage et de soutien à l’école doit être fait plus facilement qu’il ne l’est aujourd’hui, l’école ayant du mal à ouvrir ses portes. Nous avons donc décidé de constituer, académie par académie, une « réserve citoyenne » dans laquelle ces citoyens pourront venir épauler l’école sur un certain nombre de sujets que nous avons évoqués, mais aussi sur d’autres, comme l’insertion professionnelle des jeunes, la lutte contre le sentiment d’exclusion, etc.
Il faut faire en sorte que l’école soit respectée dans son autorité, sinon elle ne peut pas agir correctement. L’autorité est d’abord un cadre rassurant pour les élèves. Il faut de la bienveillance, de la fermeté à l’école. Une école capable d’autorité, c’est d’abord une école en mesure d’inscrire les élèves dans un projet collectif qui fasse suffisamment sens pour ne pas les conduire à aller chercher du sens ailleurs, parfois même dans des pratiques de repli dangereuses pour eux-mêmes ou pour la société. C’est pour créer ce collectif indispensable que j’ai souhaité que les modalités de participation active des élèves aux commémorations patriotiques mais aussi aux semaines de l’engagement et aux semaines de lutte contre le racisme et l’antisémitisme soient désormais déclinées dans chaque projet d’établissement.

Le respect de l’autorité de l’école passe également par la capacité des adultes à porter un discours cohérent aux jeunes dont ils ont la responsabilité, en particulier à ceux qui ont déjà défié l’autorité au point d’avoir eu affaire à la justice et qui se retrouvent ensuite en situation de scolarisation. Ces jeunes ont besoin que les adultes qui les prennent en charge agissent en harmonie pour les aider à se réinscrire dans un projet éducatif. C’est pour cela que nous veillerons à ce qu’un référent justice soit désigné dans les établissements scolaires concernés pour pouvoir assurer un suivi plus efficace et plus cohérent qu’aujourd’hui et à ce que les éducateurs puissent ensemble discuter du projet éducatif de l’élève avec un correspondant unique.

La question de l’autorité de l’école, c’est bien sûr aussi celle du respect de l’enseignant et des élèves entre eux. C’est pourquoi j’ai insisté pour que ce plan intègre les règles de civilité et de politesse, car ce n’est pas rendre service aux élèves que de banaliser ou de sous-estimer des atteintes à ces règles. Il ne faut plus laisser passer des comportements qui portent atteinte à la qualité des apprentissages et qui donnent une image complètement faussée de ce qu’est la citoyenneté et de la façon dont on s’inscrit en société avec un ensemble de cadres et de règles. C’est la raison pour laquelle instruction a été clairement donnée aux chefs d’établissement de veiller à ce que les comportements contraires aux règles de civilité ou aux valeurs républicaines fassent l’objet d’un signalement systématique suivi dans la foulée d’une sanction éducative qui associe le plus possible les parents et qui passe le plus souvent possible par la responsabilisation. Lorsque l’élève est amené à prendre conscience de la gravité de son acte, les mesures de réparation sont bien plus efficaces qu’une simple mesure d’exclusion sèche.

Tels sont les premiers grands piliers de la mobilisation que nous avons commencé à conduire. Je le répète, aucune de ces mesures n’est exhaustive. Je lis beaucoup de commentaires faisant d’autres suggestions. Je suis la première à réclamer que le débat continue. L’attente de la société à l’égard de l’école est tellement forte qu’il faut savoir dire que l’école ne peut pas tout et qu’il est parfois facile de se dédouaner de ses responsabilités en les rejetant sur les enseignants. Le 11 janvier dernier, les Français se sont mobilisés non seulement pour refuser l’amalgame mais aussi pour savoir comment mieux éduquer leurs enfants. Après tout, on aurait pu imaginer qu’ils se laissent aller à ce que les terroristes cherchaient, c’est-à-dire la haine de l’autre, le
besoin exclusif de mesures sécuritaires. Les Français nous ont montré un autre chemin ; il faut que nous soyons à la hauteur.

Mme Valérie Corre. Madame la ministre, la grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République est un sujet qui concerne particulièrement les membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. À ce titre, je suis ravie de l’audition de cet après-midi.
Après l’atrocité des attentats qui ont affecté la France et ses valeurs fondamentales, l’école a été confrontée à un terrible défi, celui de répondre aux interrogations soulevées par les élèves. Nombreux ont été les enseignants inquiets qui se sont sentis mal préparés. Comment trouver les mots pour décrire ce qui s’est passé et expliquer aux élèves les nombreux enjeux qui se profilent derrière la barbarie de ces actes ? La tâche n’a pas été simple et le mérite des professeurs a été grand. Des incidents, peu nombreux, ont entaché la minute de silence que vous aviez demandée. L’école a su y faire face. À cet égard, je tiens à saluer le courage dont vous avez fait preuve dans la gestion des incidents : vous avez dénoncé ces atteintes sans stigmatiser les élèves ou les enseignants qui ont été à l’origine de ces actes et par-delà les communautés auxquelles ils peuvent se rattacher.
À ce sujet, je me permets une réflexion personnelle. La réponse de l’éducation nationale à ces enfants en perte de repères ne peut être l’exclusion car ils sont déjà tellement en dehors de l’école et de notre République. Il faut répondre à ces comportements par un dialogue éducatif renforcé et par des mesures de réparation et de responsabilisation.
Les onze mesures qui forment la grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, et les 250 millions d’euros qui y seront dédiés, vont dans le bon sens puisqu’elles promeuvent les valeurs de la République à l’école au premier rang desquelles l’égalité, ciment de notre société.
Comme vous l’avez dit avec conviction, avoir confiance dans nos enseignants c’est avoir confiance dans la République. Comme vous, nous croyons que l’école et la République forment un tout indissociable. La République fait l’école et l’école fait la République.
L’école républicaine doit donner aux élèves les moyens de répondre à la question : que signifie être Français ? Elle leur offre les éléments de réponse en leur enseignant la signification de nos symboles nationaux et en leur faisant prendre conscience de leurs droits, de leurs libertés et de leurs devoirs de futurs citoyens français.
Revaloriser la République et ses valeurs est un point sur lequel nous nous accordons tous. Il ne faut pas pour autant ressusciter les hussards noirs de la République. La promotion des valeurs n’a de sens qu’à travers des actes qui les réalisent. À défaut, ces valeurs ne seront que des coquilles vides aux yeux des élèves qui sont des citoyens en devenir. En effet, comment faire prendre conscience à des enfants de la grandeur de la République quand ils se sentent eux-mêmes exclus ainsi que leur famille, que ce soit à l’école ou dans la vie de tous les jours ?
Il faut promouvoir une école qui rassemble et qui s’en donne les moyens et non faire avec celle qui divise. C’est pourquoi il est une valeur à laquelle nous devons donner une consistance particulière, celle de l’égalité. Comme vous l’avez rappelé, l’école doit veiller sans faille à la lutte contre les inégalités puisque c’est elle qui permettra de lutter contre les déterminismes sociaux qui enferment l’avenir de tant de nos enfants. Je me réjouis, à ce sujet, de trouver parmi les mesures présentées celle qui a pour but de renforcer la mixité au sein des collèges afin que chacun ait les mêmes chances de réussite. On pourrait d’ailleurs se demander si on ne peut pas le faire un peu plus tôt puisque la question de la mixité se pose dès l’école élémentaire.
Comme je ne peux pas mentionner toutes les mesures présentées, je souhaite insister sur certaines d’entre elles.
Je porte une attention particulière à la création d’un parcours citoyen de l’école élémentaire à la terminale. Il s’agit d’un point essentiel qui vient compléter le nouvel enseignement moral et civique prévu par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République puisqu’il permettra de former les élèves aux règles qui régissent la vie en société.
Former le corps enseignant – à cet égard, je souhaite vraiment que votre volonté de relancer la formation continue des enseignants se réalise pleinement – et lui accorder les ressources pédagogiques nécessaires sont les clés de la réussite de ce projet, qui devra à terme permettre aux élèves de s’approprier les valeurs nécessaires au bien vivre ensemble en plus de leur donner les outils nécessaires à la formation de leurs propres opinions.
La relation qui unit l’école et les parents ne doit pas être sous-estimée. C’est un point capital dans la réussite de la refondation de l’école. Je suis heureuse de voir que plusieurs mesures s’attachent à la revalorisation de cette relation. Il est plus que nécessaire de permettre à tous les parents de rentrer dans l’école. C’est pourquoi, le développement du temps qui leur est dédié par l’instauration de rituels ou l’accélération de la généralisation de la « mallette des parents », dont l’utilité a fait toutes ses preuves, vont dans le bon sens.
De la même manière, je salue la création d’un Comité départemental d’éducation à la santé et à la citoyenneté réunissant personnel enseignant, personnel éducatif et parents. Est-il prévu d’y associer les autres partenaires de l’école que sont les mouvements populaires et les collectivités locales ?
En conclusion, je crois que nous pouvons être fiers de voir un gouvernement se préoccuper avec tant de volonté de l’avenir de son école puisqu’à travers elle c’est la République qui est grande. On a coutume de le dire, et vous l’avez rappelé, que l’école ne peut pas tout, et c’est vrai. Ou plutôt, les enseignants seuls ne peuvent pas tout. C’est bien la communauté éducative dans son ensemble qui doit relever le défi qui se trouve devant nous. Chacun, à notre place, nous avons une responsabilité à exercer pour que les valeurs de la République deviennent les valeurs de tous.

M. Frédéric Reiss. Madame la ministre, je vous remercie pour votre exposé sur la grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, appelée acte II de la refondation.
Après les événements tragiques de ce début d’année, après la mobilisation unitaire du peuple de France, après La Marseillaise entonnée à l’Assemblée nationale, il était important de rassurer les Français, de leur apporter des réponses en matière de sécurité, de justice et de respect des valeurs fondamentales de la République.
L’école a très rapidement été pointée du doigt car les problèmes de nos sociétés multiculturelles sont entrés à l’école. Mais, et vous l’avez rappelé, l’école ne peut pas à elle seule les résoudre tous. Pour autant, il était de votre devoir de réagir – et vous l’avez fait plutôt habilement – en annonçant un certain nombre de mesures dont il faudra évaluer les résultats à moyen et long termes.
On est bien loin du débat qui s’annonçait sur la suppression des notes chiffrées, et c’est tant mieux. L’opposition ne peut qu’approuver le fait qu’il faut plus que jamais réaffirmer les valeurs de l’école républicaine. Tout à l’heure, dans l’hémicycle, j’ai cru déceler une pointe d’amertume dans la réponse que vous avez faite au président Bloche, mais sans doute était-ce dû à la gravité de la situation actuelle.
Vous voulez réduire les inégalités, assurer davantage de mixité sociale et renforcer le sentiment d’appartenance à la République en martelant vos trois priorités – avant de vous avoir entendue, j’allais dire laïcité, laïcité, laïcité, mais heureusement vous mettez en tête la transmission des savoirs et l’enseignement du français. Vous voulez que la lutte contre les déterminismes sociaux et territoriaux soit renforcée. Cela me rappelle le discours idéologique de votre prédécesseur, M. Peillon, qui répétait à l’envi : « Il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix ». Mme Taubira avait même lancé, lors du débat sur le mariage pour tous, qu’elle voulait arracher les enfants au déterminisme de la religion. De grâce, faisons aussi confiance aux familles qui ont un rôle premier à jouer dans l’éducation de leurs enfants. Nous souhaitons d’ailleurs que le programme « École des parents » soit amplifié.
Permettons aussi à nos enseignants d’exercer leur métier pleinement dans le respect qui leur est dû et que les règles de civilité et de politesse soient appliquées partout. Mettons les programmes en harmonie avec une éducation civique citoyenne et responsable, avec notamment l’enseignement de l’histoire de France, de l’histoire du fait religieux et des religions.
Nous considérons que la suppression des bourses au mérite pour les bacheliers méritants issus de milieux sociaux modestes était une erreur, de même que l’arrêt du programme des établissements de réinsertion scolaire (ERS) à destination des collégiens perturbateurs ou la fermeture progressive des internats d’excellence ouverts aux élèves méritants de milieux populaires. Certes, vous suscitez les initiatives des collectivités territoriales pour des places d’internat, y compris dans l’enseignement agricole, et c’est très bien, mais il faut avouer que le Gouvernement a bien savonné la planche aux collectivités territoriales en baissant les dotations de l’État de 3,7 milliards en 2015, sachant que les rythmes scolaires et les trois heures d’activités pédagogiques complémentaires (APC) ont généré de lourdes dépenses.
Vous voulez évaluer les candidats sur leurs capacités à faire partager les valeurs de la République lors des concours de recrutement et c’est très bien. Mais encore faut-il motiver ces candidats et en avoir suffisamment car nous savons bien qu’un certain nombre de disciplines sont déficitaires.
L’école doit retrouver ses fondamentaux, non seulement en garantissant à chacun le socle commun de connaissances et de compétences qui figurent déjà dans la loi Fillon de 2005, mais aussi en rappelant les valeurs du mérite et de l’effort. Donner le goût de l’effort dans une école où l’autorité des maîtres, des directeurs et des chefs d’établissement est respectée est pour nous une priorité.
La loi Jospin de 1989 avait pour objectif d’offrir à chaque élève une qualification à la fin de l’école obligatoire. Aujourd’hui, nous sommes dans le cadre de l’école du socle, et les lois de 2005 et 2013 ont toujours cet objectif : donner un diplôme ou une qualification à la sortie. Tout est dans la loi, beaucoup de choses ne sont pas appliquées. Alors, appliquons-les.
Je terminerai mon intervention par une note positive : l’évaluation des élèves en CE2. C’est une excellente mesure et nous sommes favorables à l’utilisation pédagogique de ces évaluations.
Les programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE), eux aussi dans la loi de 2005, sont une réponse individualisée aux élèves en grande difficulté. J’ai interrogé récemment le Conseil national de l’évaluation du système scolaire (CNESCO) sur l’efficacité de ce dispositif qui a aujourd’hui déjà dix ans. Malheureusement, aucune étude ne peut nous donner des réponses en la matière, ce qui serait pourtant très utile.

Mme Barbara Pompili. Madame la ministre, on demande beaucoup à l’école et toujours plus. Mais au regard de ce qui s’est passé il y a trois semaines, au regard des profils des personnes qui tombent dans la folie djihadiste, on ne peut que constater que l’échec scolaire faisait partie des nombreux facteurs qui ont pu les entraîner dans cette dérive. L’école reproduit aujourd’hui les inégalités et les accentue. Actuellement, un enfant d’ouvrier non qualifié a deux fois moins de chances de décrocher un baccalauréat qu’un enfant de cadre. Le CNESCO, dans sa note publiée le jour même de vos annonces, pointe clairement les problèmes de mixité sociale. Sa description des mécanismes à l’œuvre à travers les écoles ghettos ne peut rester sans réponse.
Cette réalité, c’est-à-dire ces inégalités qui mènent à l’exclusion de notre société, et donc au rejet de notre idéal républicain, et notamment de la laïcité, qui entraîne aussi les problèmes d’égalité entre les femmes et les hommes, c’est justement ce qu’il faut combattre pour que notre système scolaire redevienne une promesse pour tous les jeunes.
C’est pourquoi je suis intimement convaincue que la transmission des valeurs républicaines, axe fort de la grande mobilisation, ne pourra être effective que si elle est accompagnée d’une réelle lutte contre les inégalités. C’est la clé d’une grande partie des défis à relever et je suis heureuse d’avoir entendu vos paroles à ce sujet.
Je soutiens donc pleinement, bien évidemment, l’augmentation des fonds sociaux que vous avez annoncée, le vaste plan de relance des RASED ainsi que votre décision de vous attaquer à la sectorisation des collèges.
Lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, j’avais plaidé pour une remise à plat de la carte scolaire et indiqué que cette réflexion nécessitait d’être accompagnée financièrement, en ciblant plus et mieux les établissements et en sortant de la stigmatisation des labels. Des systèmes intéressants existent d’ailleurs à l’étranger et s’en inspirer permettrait de sortir de la concurrence entre établissements.
Ironie du calendrier, le magazine L’étudiant publiait le jour même de vos annonces un nouveau comparateur des collèges. Vous avez parlé de cet accompagnement financier, et cela me semble une bonne chose.
Par-delà ces questions, nous considérons que la lutte contre les inégalités exige un changement d’approche profond de notre école. Sans revenir sur l’ensemble des points développés lors des débats sur la refondation de l’école, je veux insister sur le vivre ensemble à l’école, point crucial, y compris pour le respect mutuel et le civisme.
Le sentiment d’appartenance à une même communauté nationale ne se décrète pas, ne s’impose pas d’en haut. L’enfant, l’adolescent doit le ressentir profondément, sentir qu’il a sa place dans un collectif. Cela nécessite évidemment dialogue et coopération à tous les niveaux et appelle une autre conception de notre éducation. Au-delà des réformes que vous annoncez aujourd’hui, il est bon de rappeler que le travail sur ce sujet est entamé depuis deux ans. Car c’est bien un changement de paradigme, y compris pédagogique, qui est nécessaire. C’est pourquoi nous plaidons pour des mesures qui vont dans ce sens et qui réduiront l’échec scolaire : moins d’élèves par classe, moins de classes par établissement, plus de projets collectifs, une évaluation non stigmatisante, les élèves acteurs de leur parcours, au cœur du système éducatif, une école ouverte sur l’extérieur et intégrée à son milieu, plus d’innovations pédagogiques et plus d’expérimentations pour favoriser des projets d’établissement adaptés aux particularités de chaque situation. Aujourd’hui, nous constatons tous sur le terrain qu’il y a encore beaucoup trop de freins à ces expérimentations.
C’est en associant l’ensemble des acteurs que nous avancerons vers l’éducation partagée qui peut être vue comme une réponse globale à cette crise, comme un moyen pour l’école républicaine de ne plus exclure personne. Cela se traduit pour le moment par une plus grande association des parents d’élèves. Le travail à faire est très important, et là où le lien est renoué entre l’école et les parents – et on a pu le voir avec la mission d’information sur les relations entre l’école et les parents présidée par Xavier Breton et dont la rapporteure était Valérie Corre – c’est tout simplement le lien avec la République qui est renoué. Il faut aussi évidemment plus de liens avec l’éducation populaire et le renforcement des relations avec le tissu associatif ne doit pas se limiter aux travaux d’intérêt général ou à la mobilisation de bénévoles retraités, même s’ils sont évidemment les bienvenus. Les projets éducatifs de territoire que vous avez mentionnés tout à l’heure peuvent servir à élargir et à renforcer ces liens. Un important travail doit être mené dans ce sens parce que l’on a vu que, là où cela se passe bien, nous ramenons des enfants vers l’école.
De façon globale, j’espère que les assises de l’école républicaine permettront d’aller encore plus loin pour que l’acte II de la refondation modifie notre conception de l’éducation, de sorte que plus aucun élève ne soit abandonné sur le bord du chemin. Les valeurs de la République ne prendront corps dans notre système scolaire que si l’école devient réellement inclusive pour toutes et tous. Vous vous en doutez, nous soutenons pleinement la création du parcours citoyen que nous étions d’ailleurs les seuls à demander lors des débats sur la refondation de l’école. C’est par le biais d’un tel parcours que l’éducation morale et civique pourra réellement contribuer à l’engagement citoyen et au développement du jugement critique qui sont au cœur des missions de l’école.
Enfin, l’accent que vous avez mis sur la formation est aussi une très bonne chose car la formation initiale et continue des professeurs fera évoluer notre système scolaire.

M. Jean-Noël Carpentier. Les attentats qui ont frappé la République nous ont tous bouleversés. La formidable réaction des Français nous montre le chemin à suivre : unité, fermeté et refus de l’amalgame. Les attaques, qui trouvent leurs causes dans une situation internationale complexe, mettent en lumière des plaies que notre société a du mal à soigner, et que les ennemis de la République tentent d’exploiter. Inégalités sociales, pauvreté et inquiétude du lendemain peuvent engendrer de dangereux comportements de repli sur soi ou de peur de l’autre. Selon le Président de la République et le Premier ministre, aucun chantier ne doit attendre. L’école en est un, mais de grâce ne lui faisons pas porter des responsabilités qui ne sont pas les siennes.
Le groupe RRDP se félicite de vos propositions, qui tendent à remobiliser l’école autour des valeurs de la République : laïcité, engagement citoyen, respect des autres. Dans le monde moderne, il faut stimuler la réflexion et l’esprit critique, éduquer aux médias, au numérique et aux réseaux sociaux. Il faut aussi rappeler les règles du vivre-ensemble, être plus ferme et dire aux jeunes que, si la République est une grande imparfaite, elle veut l’épanouissement de tous ses enfants, qui ont l’obligation de la respecter et de la défendre. Pour inculquer l’amour de la République, nul besoin de caricature ni d’autorité, qu’il faut d’ailleurs savoir distinguer de l’autoritarisme.
Nous le savons tous : l’école souffre d’abord d’un manque de résultats. L’enquête PISA (Program for International Student Assessment), dont nous avons tant parlé, pointe les faiblesses de notre système éducatif. Trop de jeunes sortent sans diplôme et sans maîtriser suffisamment les connaissances fondamentales. Pour corriger cette situation, il ne faut ménager ni les moyens ni notre ardeur. Il faut plus de formation des enseignants, de relations avec les parents d’élèves, de pédagogie, d’égalité. Tels sont les objectifs de la loi pour la refondation de l’école, dont la mise en œuvre doit être accélérée. Pour ce faire, il faut des moyens. En tant que membre du comité de suivi de cette loi, j’aimerais connaître votre position à cet égard.

Mme Marie-George Buffet. L’école n’est pas responsable du drame que nous venons de vivre. Elle ne peut régler tous les problèmes de la société, et l’on ne peut lui demander davantage que si on reconnaît déjà ce qu’elle fait. La semaine dernière, un sondage réalisé sur 30 000 jeunes de différents pays a révélé une exception française : 83 % des jeunes de notre pays ont appris l’existence de la Shoah par l’éducation nationale. Récemment, j’ai rencontré une terminale technologique du lycée Maurice Utrillo de Stains, dont la moitié n’avait pas effectué la minute de silence. Au terme de deux heures et demie d’un débat contradictoire respectueux, nous avons mutuellement avancé. Pour expliquer la laïcité, il faut rappeler ce qu’a été la loi de 1905, pourquoi celle-ci a été suivie d’autres textes et pourquoi, sur ce point, notre histoire diffère par exemple de celle de la Grande-Bretagne. Le débat a surtout porté sur la question des libertés. Ce lycée a connu des périodes très dures, mais, grâce à la qualité de l’équipe pédagogique, notamment du proviseur, il y règne désormais une autorité comprise par les élèves. Il n’y a donc pas lieu de se livrer à la caricature, et de fouler aux pieds, comme l’a fait une brochure de SOS éducation, tout le travail pédagogique des cinquante dernières années.
Ce qui fait qu’un individu est libre, c’est qu’il comprend, qu’il maîtrise les enjeux et qu’il a le sentiment de peser face aux défis auxquels il est confronté. D’où l’importance de la globalité de l’éducation : du français et des mathématiques, mais aussi de l’histoire, de la géographie et de la philosophie. Il faut transmettre tous ces savoirs, ainsi que toutes les valeurs républicaines : la laïcité, bien sûr, mais aussi la liberté, l’égalité et la fraternité.
Cet effort demandera beaucoup de temps, à l’intérieur du temps éducatif. Faut-il prévoir de nouvelles heures d’enseignement ou, de manière transversale, intégrer l’ouverture à ces valeurs à l’enseignement actuel ? Faut-il ouvrir une réflexion sur les effectifs et les moyens ? Quoi qu’il en soit, ces nouvelles exigences devront être prises en compte à la maternelle – qui doit accueillir les enfants dès deux ans et demi – comme au primaire.
Enseigner est un métier. La loi pour la refondation de l’école de la République consacre d’ailleurs le retour d’un parcours de formation pour les enseignants. Si indispensable que soit l’aide à la parentalité, parents et enseignants ne peuvent se substituer les uns aux autres. Il faut donc rester prudent en matière de coéducation. D’autre part, il est essentiel de cerner les missions de la réserve citoyenne et de savoir qui peut en faire partie. Enfin, je souligne la difficulté d’évaluer la capacité des candidats aux concours à faire partager les valeurs de la République.

Mme Martine Faure. Madame la ministre, je vous remercie pour votre réactivité face aux événements et votre détermination face aux accusations injustifiées formulées contre l’école de la République. Vous avez rappelé ses trois missions fondamentales : transmettre des savoirs, des valeurs républicaines et offrir aux élèves un cadre sécurisant et respectueux. Dès l’origine, la République lui a confié la mission d’instruire et de former des citoyens, de transmettre ses valeurs – liberté, égalité, fraternité et laïcité –, ainsi qu’une culture commune fondée sur la tolérance et le respect mutuel. Chaque élève doit apprendre à refuser la haine, le racisme et la violence sous toutes ses formes. Rien n’est pire que l’ignorance des valeurs communes, du vivre-ensemble et du respect de l’autre, qui conduisent au repli sur soi, à la peur et au sentiment d’injustice.
Malgré la loi pour la refondation de l’école de la République, l’école reste confrontée à de nombreuses difficultés, auxquelles vous vous attaquez avec beaucoup d’énergie. La mobilisation doit se poursuivre en associant non seulement les acteurs de la communauté éducative – enseignants, directeurs d’établissement, formateurs, inspecteurs, recteurs – mais la société tout entière – parents, collectivités locales, associations d’éducation populaire, parlementaires, citoyens et acteurs du monde économique. Nous sommes tous responsables. Pour lutter contre les inégalités, le déterminisme social et territorial, l’enfant doit pouvoir compter, tout au long du parcours éducatif citoyen que vous avez défini, sur la maison école, les institutions, les familles – toutes les familles – et le monde de l’entreprise. J’émets le vœu que votre parole soit entendue, vos propositions largement suivies et que tous les acteurs, pleinement responsables, partagent la même mobilisation.

Mme Virginie Duby-Muller. Madame la ministre, je vous remercie d’être venue présenter à notre commission les mesures que vous avez dévoilées le 22 janvier, dans le cadre de la Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, même si je regrette le contexte tragique dans lequel sont intervenues ces annonces. Si certains jeunes ont contesté la minute de silence, la majorité d’entre eux s’est sentie concernée par elle et a participé au grand rassemblement. Ce fut le cas à Annemasse, dans ma circonscription.
Sans esprit de polémique, je veux faire part de mon scepticisme sur certains points de votre analyse. Le rôle de l’école est-il vraiment de défendre des valeurs ? Sa mission première n’est-elle pas plutôt l’apprentissage des savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter et raisonner ? En 2012, une enquête ministérielle a conclu que 21 % des collégiens étaient incapables de donner sens à une information ou d’exploiter des textes, même simples. En 2013, le recensement a révélé qu’un jeune majeur sur cinq est illettré. Pourquoi ne pas établir de lien entre transmission du savoir et de la connaissance, et intégration à la vie en société ? Comme le dit le jeune agrégé de philosophie François-Xavier Bellamy, « L’école doit instruire avant d’éduquer, former et non formater. »
Je souligne que vos formateurs ne seront pas opérationnels avant la prochaine rentrée. D’autre part, l’éducation aux médias existe déjà, même si elle repose sur des initiatives personnelles des enseignants et que, depuis 2012, elle n’apparaisse plus comme une priorité, l’accent devant être mis sur l’usage du numérique comme outil ou support pédagogique, plutôt que sur l’analyse du média dans le but d’en décrypter les dangers éventuels.
Je ne suis pas sûre qu’ouvrir l’école aux journalistes, responsables associatifs ou représentants de la société civile, comme l’a annoncé le Président de la République en présentant ses vœux au monde éducatif, soit la meilleure façon de restaurer l’autorité des enseignants. Ne vaut-il pas mieux resacraliser ceux-ci et leur redonner notre confiance, afin qu’ils soient respectés comme l’étaient les hussards noirs de la République ?
Enfin, à l’heure où François Baroin et Didier Guillaume réalisent l’union sacrée pour la laïcité au sein de l’AMF, ne serait-il pas raisonnable, simple et prudent d’interdire le port du voile islamique aux accompagnatrices de sortie scolaire, ainsi que dans l’enseignement supérieur, afin de couper court à tout problème ?

Mme Sylvie Tolmont. Lors des attentats survenus en début d’année et des attaques aux symboles républicains observées les jours suivants dans plusieurs établissements scolaires, ce sont les fondements de la République française qui ont été abîmés, le cœur même de notre nation qui a été visé. Au nom de la grande mission d’égalité, de liberté et de fraternité qui scelle notre identité républicaine, vous avez lancé une mobilisation de l’école pour défendre les valeurs de la République. Pour la réponse que cette mobilisation apporte aux défis républicains et les mesures concrètes que vous proposez en faveur de la laïcité, de la citoyenneté et de la réduction des inégalités, je salue votre engagement et, puisqu’il s’agit d’une démarche interministérielle, celui du Gouvernement.
La huitième mesure – « renforcer les actions contre les déterminismes sociaux et territoriaux » – confirme l’importance des principes d’égalité et de lutte contre les discriminations. Vous entendez mener une politique active de mixité sociale, afin d’inscrire la composition des collèges dans de nouvelles dispositions législatives et réglementaires. Dans quel calendrier législatif s’inscrit-elle ? Profiterez-vous de l’opportunité d’une grande réforme du collège pour redonner toute sa place à la mixité sociale ou traiterez-vous cette question en amont sous une autre forme ?
Ce dispositif fait écho à celui à des réseaux d’éducation prioritaire REP et REP+, qui luttent contre les inégalités à l’échelle des territoires, et qui ont montré toute leur légitimité au sein de ma circonscription. Les quartiers identifiés comme prioritaires et les établissements considérés comme les plus fragiles dans le nouveau maillage des REP bénéficieront-ils d’une attention particulière ? Allez-vous réunir les deux dispositifs en traitant globalement la mixité sociale et la lutte contre les déterminismes sociaux et territoriaux ?

M. Patrick Hetzel. En lançant la mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, vous reconnaissez en creux que, jusqu’à présent, on n’en a pas fait assez et qu’il faut aller plus loin. Le parcours citoyen de l’école élémentaire à la terminale intègre un enseignement moral et civique, une éducation aux médias et à l’information, et la participation des élèves à la vie sociale de l’établissement et de son environnement. Ces thèmes n’ont rien de nouveau : ils figurent depuis longtemps dans le code de l’éducation. Que comptez-vous faire de plus ?
Vous évoquez l’enseignement laïc du fait religieux, sur lequel se sont exprimées des personnalités aussi éminentes que Régis Debray et Luc Ferry. Quelles sont vos propositions pour aller plus loin ? Sur quels critères évaluerez-vous l’efficacité de votre politique sur le sujet ? Quels moyens déploierez-vous à cette fin ?
La dixième mesure prévoit d’inciter l’Institut universitaire de France (IUF) à mieux prendre en compte les thématiques de recherche relatives au risque de radicalisation. L’excellence académique était jusqu’ici son seul critère. Quels garde-fous mettrez-vous en place pour éviter tout risque d’instrumentalisation politique, qui remettrait en cause les libertés académiques fondamentales ?

Mme Martine Martinel. Vous avez choisi de respecter la liberté d’expression et de pensée, en faisant de la maîtrise du français un chantier prioritaire. Sans doute faut-il procéder dans ce domaine à une évaluation au début du CE2. Quelles doivent en être les modalités ? Quels outils faut-il utiliser pour améliorer l’acquisition du langage dans la petite enfance ? Quels dispositifs allez-vous mettre en place ou accentuer pour faciliter l’enseignement du français aux élèves allophones ?

Mme Laurence Arribagé. Dans le cadre de la mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, vous prévoyez de dépenser 250 millions en trois ans, dont 71 en 2015. Vous annoncez aussi une réforme de la carte scolaire, qui garantira davantage de mixité sociale dans les collèges. Même si nous partageons vos objectifs ambitieux de transmission des valeurs républicaines, de réaffirmation du principe de laïcité et de lutte contre les inégalités, nous nous interrogeons sur le déploiement de l’effort budgétaire, dont le montant correspond en moyenne à 1 300 euros par établissement et par an.
Alors que nous venons de célébrer le soixante-dixième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, les mesures que vous proposez ne mettent guère en avant le devoir de mémoire. Elles mentionnent à peine la participation des élèves aux cérémonies commémoratives patriotiques et mémorielles, qui constituent une alternative à l’enseignement classique de l’histoire. De quels moyens les établissements et le corps éducatifs disposeront-ils pour appliquer votre programme ? Sur quels critères les fonds seront-ils alloués aux établissements, étant entendu qu’il faut privilégier ceux qui sont le plus en demande ?

Mme Sophie Dessus. En vous entendant, madame la ministre, je me suis demandé si nous réussirions à créer un après-11-janvier, sur le modèle de l’après-1968. Quoi qu’il en soit, vous y consacrez tous les moyens, et je vous en remercie. L’école, qui ne peut pas tout, peut cependant beaucoup. Il faut du temps, nous en sommes conscients, mais nous l’acceptons. Nous devons avancer sans hésitation.
L’apprentissage de la lecture de l’image, quel qu’en soit le support, figure parmi vos propositions. Hier soir, certains d’entre nous ont assisté à un débat édifiant et terrifiant autour de Dounia Bouzar sur le système d’embrigadement des jeunes. C’est sur la toile que les garçons et les filles les plus fragiles sont amenés à devenir terroristes. Vous insistez ensuite sur le respect de l’autorité à l’école. Il est urgent de redonner aux enseignants les moyens de sanctionner un élève quand c’est nécessaire, même si ses parents n’imaginent pas qu’il puisse contrevenir au règlement de l’école. Enfin, il faut préparer des outils et des argumentaires. J’ai entendu le témoignage de Mme Buffet. J’ai proposé de me rendre dans les collèges et lycées de ma circonscription qui ont connu le plus de difficulté. Je réussirai d’autant mieux que je disposerai d’outils et d’arguments élaborés par des professionnels.

M. Michel Herbillon. Madame la ministre, si nous saluons votre mobilisation, nous regrettons de la devoir à des circonstances dramatiques. La transmission des savoirs fondamentaux et des valeurs de la République, l’apprentissage de la langue, la sensibilisation des élèves à la citoyenneté auraient justifié une mobilisation plus précoce. Les trois ministres de l’éducation nationale qui se sont succédé depuis deux ans auraient pu en faire leur priorité, au lieu de modifier les rythmes scolaires, en bouleversant la communauté éducative, ou de se lancer dans de sempiternels débats sur la théorie du genre.
Pour éviter que vos déclarations ne restent des incantations ou des vœux pieux, l’immense chantier que vous ouvrez, qui garantit votre survie en tant que ministre de l’éducation nationale, appelle une évaluation précise et régulière. C’est à ce prix que vous pourrez procéder à certains réajustements et que nous pourrons mesurer l’efficacité de votre plan de mobilisation.
Certains enfants, on le sait, ont refusé de respecter la minute de silence. Allez-vous assurer un suivi précis de leur comportement, qui peut révéler des problèmes de toute nature ? Comment allez-vous les accompagner ?

Mme Julie Sommaruga. Merci, madame la ministre, de votre présence parmi nous et de vos propositions aussi riches qu’indispensables. La troisième tend à créer un nouveau parcours éducatif de l’école élémentaire à la terminale. Lors de l’examen du projet de loi pour la refondation de l’école, j’ai plaidé pour l’instauration d’un stage, sur le modèle du stage en entreprise, que les collégiens effectueraient au sein des associations. Je réitère ma demande, car il me semble important que les élèves mesurent dès le collège le travail mené par celles-ci, s’imprègnent de leurs valeurs et comprennent leur engagement au service des autres.
Le travail sur la parentalité est un autre volet de votre action. Parmi les parents d’élèves, les uns sont impliqués et engagés, d’autres sont coupés de l’école, parfois malgré eux. Le partage du temps et de l’espace des établissements avec les parents est aussi indispensable que la généralisation de la mallette des parents.
L’école ne pouvant pas tout faire, nous devons développer des partenariats avec les associations, notamment celles dédiées à l’éducation populaire, car, comme le dit Jean Zay, « L’éducation ne s’arrête pas aux grilles de l’école ». On touchera ainsi les enfants comme les parents, dans les quartiers où les valeurs républicaines du vivre-ensemble ne trouvent plus d’écho. En partenariat avec le ministère de la ville et celui de la jeunesse et des sports, il est urgent de mettre en place un travail coordonné avec les associations, pour compléter celui de l’école. Les actions, qui pourront être portées par le sport, la culture ou d’autres activités, ne réussiront que si elles sont coordonnées et soutenues, en fonction des réalités du terrain et des objectifs à atteindre. Depuis des années, je plaide pour un service public de l’éducation populaire. Si les associations doivent conserver leur autonomie, une concertation de tous les acteurs, en lien avec les valeurs républicaines de l’école, est indispensable.

M. François de Mazières. Je salue votre mobilisation sur ce sujet important, ce qui ne m’empêchera pas de vous demander certaines précisions. Pouvez-vous être plus précise sur l’emploi des 250 millions que vous avez annoncés ? La somme n’est peut-être pas considérable, mais elle aurait été bien utile pour abonder le fonds d’amorçage pour la réforme des rythmes scolaires. Pourquoi, comme l’a suggéré Mme Buffet, ne pas utiliser davantage l’enseignement de l’histoire, qui éviterait bien des dérives ? Comment sélectionnerez-vous les mille formateurs que vous allez recruter ? L’enveloppe de 250 millions servira-t-elle à les rémunérer ? Quels engagements jugez-vous valables ? Le scoutisme en fait-il partie ? Enfin, alors que vous insistez sur l’enseignement du français, pourquoi les crédits alloués à l’achat des manuels scolaires ont-ils chuté de 60 à 18 millions d’euros ?
Mme Isabelle Attard (intervention lue par Mme Barbara Pompili). Madame la ministre, vous nous avez présenté votre projet de grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République. Si l’intention est bonne, la façon de faire pose question. Pour que les élèves intègrent les valeurs de la République, il faut qu’ils les pratiquent dans les établissements. Or ils sont trop souvent confrontés à des valeurs inverses. Je vous propose de nous pencher sur l’application, à l’école, de quatre principes fondateurs de notre République.
L’un d’eux, qui découle du principe d’égalité, veut que la loi soit la même pour tous. Or, quand ils sont en retard, l’élève et le professeur se voient-ils appliquer les mêmes règles ?
Un autre principe veut que nul ne soit censé ignorer la loi, ce qui justifie votre excellente proposition d’explication et de signature du règlement intérieur. Mais demander aux élèves d’obéir à des normes de comportement dès leur arrivée à l’école, c’est oublier que celle-ci reçoit des élèves ignorants, auxquels elle doit inculquer des principes, au lieu de les punir quand ils les ignorent.
Un troisième principe de la République veut que nul ne puisse être à la fois juge et partie. Ce sont pourtant les enseignants qui sanctionnent le comportement des élèves. Accepteriez-vous d’être jugée par un tribunal composé de vos adversaires et de ses proches ? C’est pourtant ce qui arrive à l’élève qui passe en conseil de discipline.
Selon un quatrième principe, le citoyen n’est pas seulement celui qui obéit à la loi ; c’est aussi celui qui la fait, avec les autres citoyens. De nombreuses expériences montrent que des enfants de neuf ans peuvent s’organiser et régler leurs conflits par la parole et non par la violence. Donner cette opportunité aux élèves revient à les éduquer à la citoyenneté par une véritable mise en pratique des lois, plus efficace que des cours de civisme ou de morale.
Je n’énonce pas ces exemples pour demander une mise à égalité stricte de l’enseignant et de l’élève, mais je souhaite que chaque dérogation aux principes élémentaires de notre République soit mûrement évaluée et justifiée. J’espère que l’application de votre projet prendra en compte le fossé considérable qui sépare les valeurs prônées par l’école et celles qu’elle pratique, lequel fait souvent naître, dès l’enfance, un fort sentiment d’injustice. Si vous souhaitez approfondir le sujet, je vous invite à lire la conférence « La construction de la loi à l’école » du professeur Bernard Defrance.

Mme Brigitte Bourguignon. Madame la ministre, je salue à mon tour votre réactivité en cette période troublée. Je vous félicite de votre méthode, consistant à mettre autour d’une table tous les acteurs du monde de l’éducation, notamment les anciens ministres de l’éducation nationale, afin qu’ils réfléchissent sur plusieurs thèmes. Quant au fond, j’aimerais que chacun ait l’humilité de penser qu’il ne détient pas la solution unique, mais qu’il en existe plusieurs. Vous avez parlé de laïcité et d’autorité, qui ne sont pas des gros mots. Ce matin, notre groupe a reçu Régis Debray, avec lequel nous avons eu un échange autour du fait républicain. Il faut, selon lui, trouver le juste milieu entre dressage et cocooning. La meilleure garantie de la laïcité consiste à remettre le religieux dans l’éducation, car c’est souvent de l’ignorance que naissent mythes et fanatismes. Nous devons aussi améliorer l’éducation au numérique, car le foisonnement d’informations qu’on rencontre sur la toile justifie toutes les inquiétudes. Je terminerai par une question : allez-vous mettre en avant certains symboles forts pour marquer le retour de l’autorité à l’école ?

M. Guénhaël Huet. Ce n’est pas la première fois que nous vivons des événements tragiques. Je le rappelle, non pour relativiser ce qui s’est produit le 7 janvier – ce n’est pas possible –, mais pour souligner que nous n’avons pas su tirer les leçons des événements précédents. La ministre a parlé de morale civique, d’enseignement du français, de hiérarchisation des valeurs, d’autorité et de politesse. Il y a quelques mois, quiconque prononçait ces mots s’exposait aux quolibets d’une gauche bien-pensante. Revenir à ces valeurs fondamentales ne sera pas facile. Il s’agit non de lancer des incantations, trois semaines après des événements tragiques, mais d’inscrire une action dans la durée, alors qu’on s’est longtemps contenté – même dans notre famille politique – de mesures cosmétiques, de campagnes de communication ou de gestes de très court terme. Les mesures doivent se prolonger au-delà du moment où l’émotion sera retombée, où l’unité nationale se sera effacée.
M. Carpentier a souligné qu’il ne faut pas confondre autorité et autoritarisme. Évitons aussi d’assimiler égalité et égalitarisme. Peut-être doit-on adapter les parcours scolaires aux disparités qu’on constate entre les élèves. Ceux qui se sentent mal à l’école doivent-ils vraiment y rester jusqu’à seize ans ? S’ils s’ennuient, ne risquent-ils pas de devenir des proies pour le terrorisme ? Je le répète : il faut tirer toutes les leçons des événements récents.

M. Marcel Rogemont. Madame la ministre, vous citiez tout à l’heure dans l’hémicycle cette phrase d’Hannah Arendt : « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal. » Permettez-moi de rapprocher votre citation d’un extrait de la Revue pédagogique de 1883 : « La République a fait l’école, l’école fera la République. » Vos propositions participent de ce principe. L’école doit se mobiliser pour transmettre, expliquer et défendre les valeurs de la République. Au vu des récents événements, on se rend compte que rien n’est acquis !
Parmi les mesures proposées, je mettrai l’accent sur la cinquième, « Mobiliser toutes les ressources des territoires ». Les collectivités territoriales doivent s’intéresser à la politique éducative. C’était, du reste, un des buts de la réforme des temps scolaires. On voit aussi se multiplier les initiatives pour créer des internats de la réussite, structures dont j’ai moi-même constaté l’efficacité. Dans quelle mesure l’État pourra-t-il accompagner, notamment financièrement, ces initiatives ? Par ailleurs, de quelle façon entendez-vous associer les élus à la construction d’un cadre commun pour faciliter la mise en œuvre du principe de laïcité dans les services publics locaux ? Enfin, pourriez-vous préciser comment le volet relatif à la laïcité et à la citoyenneté sera inclus dans les projets éducatifs territoriaux ?

M. Christian Kert. Le « parcours citoyen » que vous appelez de vos vœux n’est pas sans rappeler le chemin que l’on fait suivre à des élèves en grande difficulté, voire en décrochage scolaire total, dans les « écoles de la deuxième chance ». La formation proposée par ces structures mêle de façon intéressante l’implication de l’entreprise et l’enseignement. Ne devrait-on pas utiliser le réseau existant pour offrir, précisément, ce parcours citoyen aux jeunes de la génération des l6-17 ans ayant déjà traversé la grande difficulté ?

M. Pascal Demarthe. Madame la ministre, après les attentats qui ont visé la France et le cœur des valeurs républicaines, vous avez présenté jeudi 22 janvier onze mesures définissant la « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République ». Votre discours met un accent particulier sur la laïcité et la transmission de ces valeurs, mais d’autres priorités sont définies : développer la citoyenneté et de la culture de l’engagement avec tous les partenaires de l’école, combattre les inégalités et favoriser la mixité sociale pour renforcer le sentiment d’appartenance à la République. Vous annoncez notamment la création d’un parcours citoyen du primaire à la terminale.
Pour assurer une convergence efficace des compétences et des forces vives de la communauté éducative, il est important que l’éducation nationale puisse fédérer les moyens et les projets inscrits dans la feuille de route qui est tracée. À ce titre, les associations complémentaires de l’école publique, les fédérations d’éducation populaire, ont de tout temps accompagné les combats pour que le service public de l’éducation soit à la hauteur des enjeux liés à la réussite éducative pour tous. Aujourd’hui plus que jamais, réunies au sein du CNAJEP (Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire), ce sont des forces de proposition incontournables pour accompagner la mise en œuvre des politiques éducatives sur les territoires. Quelle place comptez-vous leur donner dans ce parcours citoyen qui s’inscrit comme une évidence dans la continuité de la loi pour la refondation de l’école ?

Mme Annick Lepetit. Depuis les événements qui se sont déroulés entre le 7 et le 11 janvier, nous sommes sans doute encore plus à l’écoute de nos concitoyens. Il faut relever qu’il y a eu aussi, dans des villes comme Neuilly-sur-Seine, des élèves qui n’ont pas respecté la minute de silence, preuve que la question des valeurs de la République concerne tous les territoires de France. Bien entendu, les zones où, hormis l’école, les services publics sont insuffisants rencontrent des problèmes particuliers.
L’école, certes, ne peut être responsable de tout, mais elle ne peut non plus être responsable de rien. Ces trente dernières années, elle s’est beaucoup ouverte sur l’extérieur. Je veux dire à mes collègues de l’opposition que l’on ne peut parler de retour des valeurs de la République si l’on ne redonne pas au corps enseignant autorité et considération. Derrière les enfants et les parents, c’est toute la société qui doit respecter l’école et les enseignants. Je suis fière que nous ayons engagé ce travail qui s’inscrit dans un temps long, et je me réjouis, madame la ministre, de votre choix de mener des actions très ciblées en fonction des problèmes et des territoires. Au-delà des politiques de la ville et de l’éducation prioritaire, un peu délaissées ces dix ou douze dernières années, un effort collectif de ciblage me semble en effet nécessaire. Il ne se passe pas et ne se dit pas forcément les mêmes choses dans un lycée d’enseignement général et dans un lycée technique, par exemple.

Mme la ministre. Je vous remercie tous les intervenants pour cet état d’esprit et pour ces échanges extrêmement constructifs. C’est une excellente façon de travailler que de pouvoir s’entendre sur un diagnostic commun. Et, en dépit des questions soulevées, il me semble que tous les bancs partagent ce diagnostic de fragilité, non pas des enseignants eux-mêmes et de leur dévouement quotidien, mais de l’institution scolaire, qui doit trouver des réponses à la fois en elle-même et dans son environnement.
Eu égard à cet état des lieux, mais aussi à la nécessité, pour notre pays, de continuer à investir pour élever le niveau de connaissances des nouvelles générations, ce que l’on peut relever en premier est qu’avoir remis des moyens dans l’éducation nationale était une bonne chose. La loi pour la refondation de l’école a préparé le terrain. Pour autant, nous n’avons pas épuisé tous les sujets.
Ainsi la contestation des règles dans l’enceinte scolaire : ce n’est pas la première fois que l’on a à déplorer le non-respect d’une minute de silence, mais nous n’avions pas traité ce sujet autant qu’il aurait fallu le faire. Aussi le sursaut qui nous est demandé dans la foulée du 11 janvier est-il bienvenu : nous allons maintenant prendre à bras-le-corps une série de questions délicates.
Quelques mots sur le financement du plan, d’un montant global de 250 millions d’euros. La montée en charge sera progressive. Pour l’année qui vient, nous prévoyons un peu plus de 70 millions. Il s’agira d’abord, pour 40 %, de financer la formation : non seulement celle des mille formateurs, mais aussi celle des enseignants, pour lesquels il faudra prévoir des remplacements lorsqu’ils seront en formation. Il s’agira aussi de financer nos partenariats, notamment avec les associations d’éducation populaire. Nous destinons par ailleurs 20 % des montants à l’action sociale – augmentation des fonds sociaux, dispositifs pour mieux ouvrir l’école aux parents. Enfin, nous financerons des matériaux pédagogiques, notamment les outils audiovisuels.
Vous avez raison d’insister sur l’évaluation de ces dispositions. Nous disposons d’outils internes pour le faire : l’inspection générale, bien entendu, mais aussi la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, travaillent à identifier clairement les objectifs que nous nous fixons et à les évaluer. Nous avons aussi un outil externe que vous avez contribué à créer, le CNESCO (Conseil national d’évaluation du système scolaire), dont le rôle est central dans notre dispositif.
Pour ce qui est maintenant des enseignements, notamment du français, les apprentissages commencent dès le plus jeune âge. C’est pourquoi nous développons la préscolarisation, en concentrant nos efforts dans les zones d’éducation prioritaire où elle est particulièrement essentielle. Cela suppose d’être proactif afin de convaincre les familles de préscolariser leurs enfants. Des parents au chômage ou au foyer, par exemple, ne sont pas forcément favorables à cette idée.
Par ailleurs, les nouveaux programmes de maternelle, qui sont en cours de parachèvement, visent particulièrement l’acquisition de la « conscience phonologique », c’est-à-dire du lien entre phonème et graphème, afin d’améliorer l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en grande section. Ensuite, l’évaluation menée à la fin du cycle composé de la grande section, du CP et du CE1, doit permettre d’apprécier les acquis de l’élève pour proposer des adaptations individualisées lui permettant de maîtriser véritablement la lecture et l’écriture avant son entrée au collège. Aujourd’hui, vous le savez, près de 20 % des élèves ne possèdent pas totalement ces compétences à leur entrée en sixième.
Il faut donc développer des outils pédagogiques adaptés, permettant aux enseignants de répondre aux besoins des enfants qui mettent plus de temps que les autres à acquérir ces compétences. Cela nous renvoie à notre plan de lutte contre le décrochage scolaire présenté à l’automne et visant notamment à former les enseignants à pratiquer une pédagogie différenciée d’un élève à l’autre et à détecter les signaux du décrochage. Dans ce travail au long cours, nous nous appuierons sur différentes expérimentations, par exemple celles du programme « Paris santé réussite », menées par la neuropédiatre Catherine Billard, ou celles de l’association Agir pour l’école. Nous ne sommes pas assez appuyés, ces dernières années, sur les expériences d’innovation pédagogique en matière d’apprentissage de la lecture et de l’écriture et vous avez raison, madame Pompili, de nous inciter à les étendre. Nous avons décidé qu’un conseil scientifique placé auprès la direction générale de l’enseignement scolaire analysera chacune d’entre elles pour en faciliter le déploiement dans les établissements désireux d’y recourir. Enfin, la réforme du collège permettra de consolider les fondamentaux.
Quant à l’enseignement laïc du fait religieux, madame Buffet, il doit être transversal. Les programmes le prévoient déjà. Il s’agit d’en renforcer le contenu et non de créer un cours de toutes pièces. Ce qui nous remonte de la part des enseignants, c’est non seulement que leur formation est insuffisante dans ce domaine, mais aussi que les programmes sont très centrés sur l’histoire et qu’un besoin se fait sentir de parler du fait religieux en étant plus en phase avec l’actualité. J’ai saisi le Conseil supérieur des programmes pour qu’il travaille cette question en lien avec l’Institut européen en sciences des religions, tant il est vrai que la recherche peut alimenter l’éducation sur de tels sujets.
Il en est de même pour l’éducation aux médias : elle doit être transversale et non relever d’un cours à part entière. À cet égard, je ne suis pas sûre de bien comprendre l’opposition que l’on a voulu faire entre éducation aux médias et éducation au numérique. Les deux vont de pair : dans l’un et l’autre cas, les élèves doivent apprendre à décrypter les informations et les images. Le plan pour le numérique à l’école que nous avons annoncé nous sera d’une grande utilité pour permettre aux enfants de travailler très tôt à la maîtrise des usages du numérique. Le numérique, ce n’est pas que de l’équipement : on doit aussi apprendre à se construire une citoyenneté numérique, à ne pas faire de l’internet, sous couvert d’anonymat, un espace de brutalité, à préserver sa vie privée, etc.
Il faut donc former l’ensemble des enseignants à l’éducation au numérique, sachant que les documentalistes recevront une préparation toute particulière. La démarche, on le voit, est interdisciplinaire. Nous souhaitons renforcer le CLEMI (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information), qui rassemble des acteurs de l’éducation et des médias, en désignant notamment dans chaque académie un référent de l’éducation aux médias et à l’internet. De même que les référents « mémoire et citoyenneté » conduisent des actions sur la mémoire, ces référents organiseront dans les établissements des actions dans leur domaine.
Vous craignez, madame Buffet, que le temps manque pour aborder tous ces sujets alors que les programmes sont déjà très contraints. Permettez-moi tout d’abord de rappeler que nous sommes en train de réformer ces programmes, notamment le socle commun de connaissances, de compétences et de culture qui remonte à la loi Fillon. Nous souhaitons nous orienter vers un enseignement plus « curriculaire », avec des programmes moins détaillés qui offriront aux enseignants une plus grande liberté pédagogique. Seront bien entendues indiquées les grandes têtes de chapitre dont les enfants devront absolument avoir la maîtrise à la fin de leur scolarité obligatoire, mais en organisant le temps de façon plus libre. Une plus grande place sera laissée au travail en commun, au travail par projets, à l’interdisciplinarité. La réforme des collèges donnera à cet effet une grande autonomie aux établissements et une grande liberté pédagogique aux équipes enseignantes, avec l’introduction d’enseignements complémentaires où plusieurs disciplines pourront se croiser afin d’être plus parlantes pour les élèves, de les amener à comprendre des concepts à partir d’un projet concret sur lequel ils auront travaillé avec plusieurs enseignants.
S’agissant de l’enseignement de l’histoire, la réforme des programmes visera notamment à remettre de la chronologie. C’est, là aussi, un diagnostic partagé : certaines périodes sont abordées plusieurs fois au cours de la scolarité, avec parfois plus de redondance que de cohérence. A contrario, le temps manque pour aborder d’autres sujets tout aussi essentiels, par exemple l’enseignement laïc du fait religieux. Le Conseil supérieur des programmes a la volonté de remettre de l’ordre et de la cohérence tout au long du parcours scolaire.
Concernant les partenariats, il ne s’agit évidemment pas d’ouvrir l’école à tous les vents. La réserve citoyenne que nous proposons de mettre en place sera soumise à un contrôle. Dans chaque académie, un dispositif vérifiera au préalable ce que les citoyens en question peuvent apporter. Mais, permettez-moi d’y insister, l’école ne doit pas être déconnectée du monde qui l’entoure, elle ne doit pas vivre en « mode avion », comme si les turbulences et les questionnements du monde extérieur restaient à sa porte. Mieux vaut, parfois, qu’ils passent la porte pour être analysés en bonne et due forme. Plutôt que de chercher à protéger les enfants au point de les couper du monde réel, mieux vaut être à l’écoute. Cette façon construite de procéder avec les partenaires me semble être la bonne.
Il a été suggéré que les comités départementaux d’éducation à la santé et à la citoyenneté s’ouvrent aux acteurs de l’éducation populaire. C’est une bonne idée à laquelle nous allons travailler.
Certains ont évoqué la notion d’« école des parents ». Il doit être clair que je ne confonds pas les enseignants et les parents. Chacun a son identité, et l’on n’attend d’ailleurs pas des uns et des autres qu’ils respectent les mêmes règles. Pour répondre à votre question sur les accompagnatrices des sorties scolaires, madame Duby-Muller, on n’exige pas la même chose des enseignants ou des élèves à l’intérieur de l’enceinte scolaire et des parents, qui, eux, ne sont pas tenus à la même neutralité. Il est important de garder un contact avec les parents tels qu’ils sont, et non tels qu’on voudrait qu’ils soient.

Mme Marie-George Buffet. Exactement !

Mme la ministre. De nombreux élèves décrochent de l’institution scolaire parce qu’ils ont l’impression que leur propre famille, leur propre façon d’être, n’y trouvent pas leur place ou y sont rejetées. Coopérer avec les parents est la meilleure façon de faire réussir ces élèves.
En parlant de coéducation, je ne confonds pas les rôles. Les parents demandent à être aidés, surtout ceux qui sont très éloignés des codes de l’école, soit qu’ils y aient vécu une expérience malheureuse, soit, tout simplement, qu’ils ne l’aient pas connue. Comment pourraient-ils improviser tout cela ?
Comme je l’ai dit ce matin au Conseil national éducation économie, nous pouvons aussi progresser en matière de partenariat avec les entreprises, notamment pour lutter contre les discriminations dans l’accès aux stages et aux périodes de formation professionnelle. Pour les élèves de lycées professionnels, ces périodes sont partie intégrante de l’évaluation scolaire. Il n’est pas normal que l’éducation nationale ne se soit pas davantage préoccupée de garantir l’accès de chaque enfant à une telle opportunité, quelles que soient par ailleurs ses relations.
Nous n’attendons pas le collège pour nous préoccuper de mixité sociale. La question se pose aussi dans le primaire, mais l’état des lieux effectué laisse à penser qu’elle y est moins prégnante. Les familles recherchent davantage la proximité des établissements primaires. Au collège, en revanche, on observe des velléités de contournement des règles et des logiques marquées de séparatisme social. Sachant que, dans ce domaine, la compétence est partagée avec les conseils généraux, nous allons procéder d’abord à un état des lieux objectif de la mixité sociale dans les établissements, puis nous ferons évoluer la sectorisation, de manière notamment à inclure plusieurs collèges dans un même secteur. Les marges de manœuvre seront ainsi plus grandes pour mener une action volontariste dans la définition, avec la collectivité locale, des critères d’affectation et de répartition des élèves. L’erreur a sans doute été, par le passé, de vouloir fixer de grandes règles générales. Celles-ci ne pouvaient être efficaces partout. Nous souhaitons désormais partir des réalités du territoire. Nous travaillons avec les collectivités locales, y compris – c’est déjà arrivé – lorsque nous aboutissons à la conclusion qu’il faut supprimer tel ou tel collège et en recréer un autre ailleurs.
L’état d’esprit de cette réunion est si positif qu’il serait dommage d’entrer dans la polémique. Je ne peux cependant laisser passer le propos sur la suppression de la notation. Il n’a jamais été question de cela ! Si l’on s’obstine dans ces polémiques factices, on ne pourra pas avancer. Réformer l’évaluation des élèves ne signifie pas supprimer les notes, mais faire en sorte que les notes disent davantage de choses aux élèves pour les stimuler, les inciter à progresser. Ma conception, je le répète, est celle d’une école inclusive et bienveillante, qui se donne pour mission de faire réussir chaque élève, qui ne se contente pas de sélectionner une élite. À l’école, au collège, quand les enfants sont à un si jeune âge, chacun doit trouver son propre chemin. La réforme de l’évaluation poursuit ce but. Elle n’a pas vocation à niveler par le bas ou à empêcher certains de réussir. Plus la base de ceux qui réussissent est élargie et socialement mixte, meilleure est l’élite qui en ressort. Tous les pays qui obtiennent d’excellents résultats aux enquêtes PISA le montrent, à commencer par la Finlande : c’est là que l’on lutte le mieux contre le déterminisme social et c’est là que l’on a l’élite la plus forte.
C’est dans la même perspective que nous avons fermé les établissements de réinsertion scolaire qui concentraient les difficultés scolaires des enfants. De fait, ils n’avaient pas fait leurs preuves. La concentration de la difficulté, qu’elle soit sociale ou scolaire, n’est jamais une bonne solution. Pour le coup, tous les élèves sont tirés vers le bas. Il vaut bien mieux former les enseignants et les outiller pour apporter des réponses pédagogiques individualisées quand ils repèrent des difficultés dans leur classe, plutôt que de mettre de côté tous ceux qui n’apprennent pas aussi vite que les autres dans des établissements spécialisés qui n’ont jamais donné de résultats.
En revanche, nous poursuivons avec beaucoup d’ambition le dispositif des internats de la réussite. Sur les 400 millions d’euros prévus dans le premier programme d’investissements d’avenir (PIA 1), la moitié a déjà été décaissée pour 11 000 places. Dans le PIA 2, 5 000 nouvelles places sont prévues. Il est exact que la mise en œuvre de ces places ne va pas à la vitesse que nous souhaiterions. La raison en est simple : même si l’État est présent pour aider au financement, la décision revient aux collectivités locales et celles-ci n’ont pas toujours eu cette priorité ces derniers temps. Nous allons donc travailler avec elles pour relancer la dynamique et dépenser l’argent qui est, de fait, disponible pour ces projets auxquels nous tenons beaucoup. Notre conception des internats de la réussite ne consiste pas à extraire quelques élèves de leur quartier au prétexte que ce seraient les arbres qui cachent la forêt : ce sont des internats dédiés à ceux qui n’ont pas la possibilité de travailler dans de bonnes conditions à leur domicile. L’idée, une fois encore, est celle de la réussite pour tous.
Vous avez également fait allusion au manque de candidats aux concours de l’enseignement. Sans doute faut-il lever à ce sujet certaines idées reçues. Il est exact que le nombre de candidats baissait ces dernières années, notamment en raison de la disparition de la formation initiale qui leur était prodiguée. Depuis deux ans, en revanche, nous constatons une augmentation, même si ce n’est pas parfait partout. Pour le premier degré, les inscriptions ont augmenté de plus de 50 % en deux ans. Une seule académie, celle de Créteil, fait face à de vraies difficultés de recrutement, ce qui nous a conduits à adopter à la fin de l’année dernière un plan spécifique ouvrant 500 postes de plus dans cette académie. Dans le secondaire, hormis pour certaines disciplines comme les lettres, l’allemand et, dans une moindre mesure, les mathématiques, le nombre de candidats s’accroît. Il faut continuer à donner envie d’emprunter ces chemins-là, mais on ne saurait parler de déshérence !
Quant à l’Institut universitaire de France (IUF), monsieur Hetzel, il ne s’agit nullement de l’instrumentaliser ou de remettre en cause sa liberté académique, mais au contraire de valoriser les recherches dans certains domaines qui sont en construction et qui ne bénéficient pas des moyens ou de l’encadrement d’autres domaines plus établis. Nous avons tout intérêt à assumer davantage le pilotage qui nous revient en matière d’enseignement supérieur et de recherche. On sait, par exemple, que notre pays manque d’islamologues. Saisissons-nous résolument de la question et développons ce type d’études. C’est dans l’intérêt général !
S’agissant de l’IUF, il s’agit d’encourager des recherches dont nous avons besoin pour éclairer la société sur les fractures qui la traversent. Toutes les questions que les enfants posent de façon parfois provocatrice, parfois ingénue à l’école ne sont que le miroir de ce qui se passe dans la société et des questionnements des adultes – qui souvent les transmettent aux élèves, d’ailleurs. Il est important que les chercheurs nous aident à y voir plus clair, à prendre position et à répondre à ces questions qui n’ont rien d’évident.
Je crains de ne pas avoir répondu à toutes vos questions, mais je reste à votre disposition. Merci, en tout cas, pour vos contributions.

M. le président Patrick Bloche. Je crois que vos réponses étaient très complètes, madame la ministre, et je vous en remercie.
La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.


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Présences en réunion
Réunion du mercredi 28 janvier 2015 à 16 heures 30.
Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Valérie Corre, M. Pascal Demarthe, Mme Sophie Dessus, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Martine Faure, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, Mme Gilda Hobert, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, M. Dominique Le Mèner, Mme Annick Lepetit, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, Mme Dominique Nachury, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Frédéric Reiss, M. Marcel Rogemont, Mme Julie Sommaruga, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert

Excusés. – Mme Huguette Bello, M. Bernard Brochand, M. Ary Chalus, M. Bernard Debré, Mme Sandrine Doucet, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Annie Genevard, M. Mathieu Hanotin, Mme Sonia Lagarde, Mme Lucette Lousteau, M. Rudy Salles
Assistait également à la réunion. – Mme Catherine Coutelle

L’Assemblée nationale.

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