Le film « la Traversée » [1], c’est un espace suspendu entre deux rives de la Méditerranée, la France et l’Algérie, entre les ports de Marseille et d’Alger. Comme le dit l’un des nombreux voyageurs interviewés avec beaucoup de finesse par la documentariste, on ne sait plus trop où l’on est, il y a ce temps dédié au voyage avec la voiture surchargée, la famille ; le personnage évoque ce « troisième espace » entre les deux continents.
Les personnages sont ici bien réels, pris dans leurs problèmes quotidiens concrets, et aussi perplexes dans des réflexions plus personnelles sur le sens de cette traversée, entre leurs deux mondes. Le film est rythmé par les séquences du voyage, et c’est dans des moments d’attente que la réalisatrice a pu rencontrer et dialoguer avec les passagers dans une intimité émouvante dès les premiers échanges.
Elisabeth Leuvrey, précise, lors de la rencontre autour du film, qu’elle a effectivement embarqué 21 fois équipe et matériel, pour pouvoir se faire accepter, et filmer de véritables caractères qui ont chacun tenu à livrer une part de leur voyage, de leurs tensions entre ici et là-bas, jamais tout à fait fixés.
Cet atelier était présenté par les RVH de Blois et Jean-Marie Génard, responsable du projet pédagogique à Blois, en présence de la réalisatrice, pour traiter du thème des migrations en Méditerranée aujourd’hui, par le cas franco-algérien. Le film a été présenté par Frédéric Abécassis de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, il a animé la discussion autour des questions passionnantes nées du film : l’étrange présence des enfants chargés de l’histoire parfois lourde à porter des parents, le personnage central de Ben « en transition » et pas très à l’aise avec l’idée de devoir laisser telle ou telle des deux terres, bref la façon de composer avec des allers retours nécessaires et lourds de sens entre deux pays, deux cultures, deux quotidiens et parfois des rêves jamais accessibles.
Au-delà de la liaison maritime Alger/Marseille, tous les migrants et leurs descendants écartelés et morcelés entre deux terres reconnaissent les arrangements d’un espace vécu avec complexité et perçu avec une infinie variété d’expériences.
© Caroline Morel pour la Commission Europe d’Historiens et Géographes - Tous droits réservés, 17/05/18.