A ses interlocuteurs, Rachel-Marie Pradeilles-Duval, chef du service de l’instruction publique et de l’action pédagogique, David Muller, chef du bureau des contenus d’enseignement et des ressources pédagogiques et Yves Vincent, du bureau des examens, la délégation a exposé sans fard les remontées du terrain et les inquiétudes suscitées par la réforme, en mettant en évidence des exemples concrets de ce qui risque fortement de perturber les équipes pédagogiques. Le président Collard ouvre la discussion en remerciant la Dgesco d’organiser cette réunion mais en notant qu’une réelle concertation serait préférable : étant donné la tension sur le terrain, l’APHG fournissant des remontées du mécontentement et des inquiétudes, réelles, des collègues, le ministère s’honorerait à lâcher du lest sur certains points, afin que la confiance affichée dans les discours puisse être réellement constatée par nos collègues, à la conscience professionnelle très forte, soumis à des injonctions contradictoires permanentes et déjà dans un état de fatigue préoccupant.
Nos interventions et questions concernent les programmes, les épreuves, les modalités pratiques des épreuves de contrôle continu ou E3C, le grand oral, les dédoublements, le partage de la spécialité (que nous refusons pour des raisons de compétence et de cohérence scientifiques), mais également le passage en force au numérique imposé par plusieurs collectivités territoriales en particulier la région Grand Est et la région Ile-de-France.
Les projets de programmes : Emmanuel Mathiot présente la synthèse des travaux de la commission des lycées.
Tronc commun voie générale :
En histoire, beaucoup de questions proposées par l’APHG ont été retenues. L’architecture d’ensemble est plutôt satisfaisante. On note avec intérêt le retour d’une approche culturelle sur la France, le projet est moins dominé par l’histoire politique qu’en classe de première. La principale difficulté reste le trop grand nombre de questions à traiter dans l’horaire imparti. Le risque d’absentéisme des élèves, après l’épreuve d’E3C, aura sans nul doute un impact sur le traitement du dernier thème. Par ailleurs, le thème 3 comporte des points discutables : les chocs pétroliers ne sont pas les causes profondes de la crise économique occidentale et la révolution iranienne n’est pas uniquement islamique. En géographie, le retour aux territoires est apprécié tout comme l’ancrage dans l’actualité et la prise en compte des avancées de la recherche. En revanche, le thème 1 (mers et océans) risque d’être redondant avec le thème 1 de l’enseignement de spécialité (ou l’inverse...). L’écriture du thème 2 (dynamiques territoriales) ne souligne pas assez les difficultés de nombreux territoires dans la mondialisation, l’approche critique apparaît peu. Quant au thème 3 (l’Union européenne) il faudra veiller à bien l’ancrer dans les territoires afin d’éviter une approche trop théorique. Le risque d’absentéisme des élèves, après l’épreuve d’E3C, aura un impact sur le traitement du dernier thème consacré à la France et ses régions.
Tronc commun voie technologique :
Le principal défaut est la lourdeur de ce programme à réaliser avec seulement 1h30 par semaine. Le regroupement en 3 thèmes par matière est un progrès par rapport à la classe de première mais certains chapitres sont irréalisables dans le temps imparti. Le risque d’absentéisme après l’épreuve d’E3C inquiète encore plus les collègues. Des allègements s’imposent, notamment dans le thème 2 en histoire (du monde bipolaire au monde multipolaire) il faudrait proposer de mettre en avant, au choix, deux des quatre thèmes proposés par exemple. Les sujets d’étude proposés sont par contre mieux adaptés par rapport à ceux de la classe de première.
EMC : le programme est intéressant même s’il est redondant avec un des thèmes de l’enseignement de spécialité en première (comprendre la démocratie) et si l’un des domaines (Périclès) a été déjà été vu en histoire en seconde. Comme la liste des domaines laisse du choix, on peut cependant contourner cet écueil. Le principal reproche est la disparition de l’organisation de cet enseignement en « groupes à effectifs réduits ». Cette disparition, ou quasi disparition (car cette possibilité reste à la discrétion des établissements, puisqu’il faut récupérer des heures dans la marge) limitera considérablement les démarches pédagogiques adaptées à cet enseignement comme les « discussions argumentées », « la recherche documentaire » ou « le projet de l’année ». Nous rappelons notre hostilité à l’utilisation de l’EMC comme variable d’ajustement des services et préconisons qu’il soit prioritairement confié aux collègues d’HG lorsque le programme permet des passerelles évidentes avec le tronc commun et la spécialité (seconde et terminale essentiellement). Nous demandons si les parcours pourront toujours s’intercaler dans ce travail.
Pour l’évaluation, Yves Vincent répond que ce sera la moyenne des notes de l’année.
L’enseignement de spécialité HGGSP : La commission trouve ce projet de programme intéressant pour les élèves et apprécie l’architecture d’ensemble. Le thème 4 toutefois (pauvreté et inégalités) manque de profondeur historique. Un jalon consacré à la pauvreté et à la marginalité au Moyen Age, question très bien documentée, serait très pertinent.
Les inquiétudes portent plutôt sur l’épreuve finale qui doit avoir une durée suffisante de 4h et sur sa correction qui devra être assurée uniquement par les collègues d’HG, les seuls à pouvoir traiter l’ensemble des thèmes. L’autre préoccupation porte sur le partage de cet enseignement de spécialité avec les collègues de SES. Dans certains établissements, la création de cet enseignement « pluridisciplinaire » est à l’origine de tensions entre les équipes d’HG et de SES : son partage entraîne notamment des difficultés de découpage du programme.
L’interprétation de l’expression cet « enseignement est assuré par les professeurs d’HG avec l’appui, le cas échéant, des professeurs de SES » est très variable selon les établissements et doit être modifiée. Il faut remplacer « le cas échéant » plutôt par l’expression « uniquement si cela est nécessaire ».
Nous nous permettons d’alerter sur les conséquences du partage de la spécialité effectué par les chefs d’établissement, sans tenir compte le moins du monde des compétences scientifiques des collègues :
– Trois groupes de spécialité : un pour un collègue d’HG et deux pour des collègues de SES ou l’inverse
– Spécialité coupée en deux : deux heures pour le professeur d’HG et deux heures pour le professeur de SES
Ces situations sont plus répandues qu’on pourrait le croire : pourquoi ainsi découper et donner des pans entiers de programmes à des collègues de SES non formés pour les enseigner ? Quel message est ainsi envoyé si on part du principe que certaines questions peuvent être enseignées sans tenir compte des diplômes de chacun ?
Les épreuves :
Nous questionnons la DGESCO à propos de l’harmonisation des épreuves. Rachel-Marie Pradeilles-Duval répond que pour la spécialité, qui est une épreuve écrite terminale, il y aura un sujet national et que l’harmonisation sera académique, selon les principes actuellement en vigueur. Pour les E3C, il y aura une harmonisation académique et les établissements auront une date butoir pour faire remonter les notes. Rachel-Marie Pradeilles-Duval précise que les professeurs qui enseignent la spécialité ont vocation à corriger les E3C.
Les E3C posent d’autres problèmes que nous pointons : comme chaque établissement doit prévoir les épreuves sur le temps de cours, sans désorganiser les enseignements durant plusieurs jours, nous faisons remarquer que les classes de première d’un lycée ont rarement cours d’HG en même temps et sur une plage de deux heures.
A partir de l’exemple d’un lycée avec huit classes de première générale, comment mettre en place cette épreuve ? Qui choisit les sujets ? Le proviseur consultera-t-il automatiquement l’équipe pédagogique ? Comme on nous répond que l’établissement organise comme il le souhaite, que toutes les classe peuvent avoir le même sujet mais pas forcément (on peut prévoir un sujet pour par exemple trois classes selon Rachel-Marie Pradeilles-Duval …), il faut s’attendre à des contestations. Les modalités du passage des épreuves de contrôle continu, les notes risquent de faire l’objet de recours, l’éducation étant victime d’une judiciarisation croissante.
Yves Vincent indique que la spécialité sera en principe évaluée avec une épreuve de quatre heures. Comme diverses rumeurs font état du positionnement de l’épreuve au printemps, nous précisons que certaines questions au programme ne pourront donc pas être étudiées si les élèves planchent en mars ou avril, et que cela générera ensuite de l’absentéisme. Rachel-Marie Pradeilles-Duval précise qu’il y a une volonté de réappropriation du mois de juin, que les épreuves seront placées le plus tard possible, que les semaines restant entre l’écrit de la spécialité et la fin de l’année peuvent être consacrées au travail du grand oral, car le programme a vocation à être étudié sur l’année complète. Nous plaidons pour que les thèmes devant être impérativement étudiés pour l’épreuve écrite puissent faire l’objet d’un roulement.
Les conditions de préparation et de passage du grand oral restant encore peu précises, David Muller nous renvoie au rapport remis par Cyril Delhay (https://www.education.gouv.fr/cid14...) téléchargeable sur le site du Ministère (https://cache.media.education.gouv....). Nous soulignons que l’épreuve, si elle doit être exigeante, ne doit pas se transformer en une sorte de nouveau TPE, et pour ne pas mettre en difficulté certains candidats, nécessiter un temps de préparation suffisant en amont, et qui ne saurait dont se limiter à quelques heures de cours du dernier trimestre. Nous rappelons que la lourdeur des programmes reste un obstacle lorsqu’on nous demande de trouver du temps pour préparer des élèves à de nouvelles épreuves, à de nouvelles capacités, et qu’il est déraisonnable de multiplier les injonctions et ainsi de mettre les collègues en difficulté.
Nous rappelons une autre conséquence non négligeable de la réforme : les épreuves imposeront aux équipes des programmations communes, avec des classes de niveaux différents, contribueront à brider la liberté pédagogique, mettront en péril des projets, sorties, voyages, et concours dont les élèves ont également besoin, l’histoire et la géographie hors les murs du lycée étant très fructueuses. Certains de nos collègues ont d’ores et déjà indiqué qu’il serait hors de question de prévoir le moindre projet, étant donné que diverses revendications font l’objet de fin de non-recevoir. La préparation des emplois du temps s’avère déjà très complexe dans certains lycées, les collègues ne recevant même pas de fiche de vœux !
Nous nous interrogeons sur le décalage entre la volonté affichée de simplifier et de remuscler le bac et les difficultés de la mise en œuvre : une "usine à gaz" n’est-elle pas en germe ? Peut-on vraiment parler de simplification avec le passage d’une vingtaine d’épreuves ? Les E3C provoqueront aussi un effet bachotage, même si ce n’est pas le but recherché, accentuant le stress chez certains élèves. Elles aggraveront également un absentéisme déjà massif dans certains lycées car l’institution nous ôte les moyens d’y faire face. Nous avons dès décembre 2017 alerté, en commençant par la commission Mathiot, sur les risques de l’absentéisme en cas d’épreuves placées très tôt dans le calendrier. Nos élèves sont mieux dans les murs du lycée que dans la rue …Faut-il donc se résigner à les perdre à partir de mars ?
Le numérique et la question des manuels :
Après le passage au numérique de la région Grand Est (Lycée 4.0), bien souvent sans tenir compte des avis des personnels, c’est au tour de la région Ile-de-France. La collectivité territoriale nous impose le choix de manuels sous forme numérique, avec le chantage à l’équipement. Nous nous permettons de demander si le Ministère de l’Education Nationale accepte qu’une collectivité territoriale puisse nous dicter des choix pédagogiques. Utiliser le numérique dans ses pratiques de classe ne signifie pas que les élèves aient impérativement un manuel numérique et un outil informatique en classe. Toutes les études relatives au passage au numérique montrent que cela fonctionne mal. Cela va nous compliquer la tâche, en plus d’imposer aux élèves un temps supplémentaire passé sur des écrans alors que la salle de classe peut rester le seul endroit pour les en préserver quelque peu. Les préoccupations et incompréhensions sont multiples face à cette décision précipitée, alors que de nombreux établissement n’ont pas le câblage, le réseau permettant déjà une utilisation normale d’internet. La fracture numérique reste importante, et elle est le révélateur des inégalités sociales et territoriales. De nombreux élèves restent dépendants du lycée pour imprimer des travaux, l’usage du numérique est limité à leur smartphone, la famille ne disposant pas forcément de matériel informatique.
– Questions financières : ne risque-t-on pas un gaspillage d’argent public pour satisfaire des entreprises, a fortiori dans une période où on ne cesse de nous répéter qu’il n’y a pas d’argent … On trouve visiblement des fonds pour acheter des PC et des tablettes mais pas pour équiper les personnels.
– Questions pédagogiques et sociales : couper les élèves du papier c’est les couper du livre. Dans certaines familles éloignées des codes scolaires, le manuel est un moyen pour les parents de s’intéresser à ce que leur enfant étudie, on le montre lors d’un rendez-vous en expliquant le travail effectué. C’est aussi parfois le seul ouvrage ! Imposer un manuel numérique est également une atteinte à la liberté pédagogique.
– Questions logistiques et techniques : le Conseil régional a donc décidé une distribution de tablettes ou de PC à très vaste échelle mais n’entend pas se charger de la maintenance. Qui va les charger, les télécharger, les réparer ? Quid du stockage, du vol ? Des problèmes techniques en série sont à prévoir (matériel non chargé, abîmé ; impossibilité d’afficher une double page ; lenteur ...)
– Questions écologiques : l’empreinte environnementale est très lourde et la décision incohérente quand on pousse d’un autre côté à la préservation de l’environnement (matériaux rares, obsolescence, gestion des déchets…) et à une sorte de labellisation de lycées écologiques.
– Questions sanitaires : on ne peut pas ne pas prendre en considération les problèmes d’addiction vis-à-vis des écrans, les troubles de la vue, de la concentration, et le problème des ondes avec le WIFI
Pour le Bureau National de l’APHG