Quelles exigences à l’école ?
Camille Dejardin formule plusieurs idées à partir de constats, qu’éclairent des chiffres, des statistiques officielles et des expériences personnelles ou d’autres professeurs.
L’exigence est plus faible aujourd’hui que par le passé. En témoigne le niveau de la langue des élèves. Il est difficile de communiquer ses idées si le vocabulaire manque. Il en va de même avec la compréhension. L’autrice s’appuie sur des statistiques tirées du CEDRE [1] : « en 2015 comme en 2003, environ 60 % des élèves » avaient une maîtrise jugée suffisante de la lecture (p. 5). Elle ajoute : « Au terme de la scolarité obligatoire, selon la même méthodologie, 40 % des élèves ne maîtrisent toujours pas correctement la lecture et plus de 20 % sont « en grande difficulté », cette fois à 15 ans ! » (Ibid.). Pour régler ce problème, Camille Dejardin propose d’avancer tous les apprentissages d’un an. Les élèves pourraient ainsi appréhender la lecture plus tôt.
De plus, il serait judicieux de systématiser les petits effectifs, pour que chaque professeur puisse apporter une aide véritablement personnalisée si l’élève en éprouve le besoin. Ces effectifs seraient composés d’élèves qui ne sont pas de la même classe d’âge, mais issus de divisions différentes – des élèves de 6ème avec des élèves de 4ème par exemple –, mais regroupés selon leur niveau, leurs capacités ou les difficultés rencontrées. L’autrice propose de créer des « groupes de niveaux inter-classes d’âge pour une majorité d’activités, soit homogènes, soit par « tutorats » » (p. 11). L’idée ? Que « certains élèves avancés seraient en position de responsabilité vis-à-vis d’autres, soit les deux alternativement » (Ibid.). Cela doit permettre, selon l’autrice, une « distinction lucide, prompte et ciblée des inégalités à traiter » (Ibid.).
Quand l’évaluation fait défaut
Camille Dejardin met en parallèle les termes d’évaluation et d’évacuation. Les tests de positionnement mesurant le niveau de la langue française sont frappants. [2] Les exigences sont « significativement modestes » (p. 12) et montrent « que tout va pour le mieux » car le « contraire » entraînerait des mesures politiques pouvant coûter « trop cher » (Ibid.). En outre, les évaluations de compétences sont à « géométrie variable selon les établissements » (p. 15). Cela rappelle les débats relatifs à la suppression ou non des notes. Chiffres, lettres ou couleurs : le système de notation reste fondamentalement le même. Comble pour l’autrice : la dernière réforme du baccalauréat. Camille Dejardin explique que la réforme de 2019 entraîne une évaluation trop fréquente, en contrôle continu, un stress pour les élèves et les parents, et les professeurs, soumis à des pressions pour rehausser des notes, qui vont compter pour 40 % de la note finale du baccalauréat.
Camille Dejardin propose que l’évaluation retrouve son sens : « mesurer le niveau atteint au terme d’un apprentissage » (p. 18). Il faut évaluer moins et mieux, cibler les contenus, les connaissances et les compé-tences évaluées. Ne pas évaluer en contrôle continu, mais dans un contrôle terminal. L’évaluation doit « condi-tionner le passage au niveau supérieur dans tout ou partie des enseignements dispensés » (p. 24). C’est là la véritable bienveillance : mettre en place une égalité des chances qui prend en compte une égalité de « potentiel » des élèves (Ibid.).
« Réhabiliter les professeurs »
L’autrice explique qu’il faut absolument réhabiliter les professeurs. Cela passe par deux actions : d’abord, réhabiliter la figure de l’enseignant. Le métier connaît une crise des vocations, le nombre de candidats au concours chute et le recrutement est fragile. Les démissions augmentent (p. 42). Le métier attire beaucoup moins par manque d’attractivité, à cause d’une rémunération trop basse – d’un salaire équivalent à 2,3 SMIC au début des années 1980 à 1,2 SMIC aujourd’hui, pour un professeur débutant dans le métier (p. 38) – et des incivilités des parents et des élèves. Une hausse de la rémunération d’au moins 20 % doit permettre de combler le retard de pouvoir d’achat, selon l’autrice (p. 43). Il convient de lutter aussi contre le sentiment, réel, d’abandon, que ressentent de nombreux collègues.
Ensuite, Camille Dejardin écrit qu’« il faut réaffirmer l’autorité du professeur dans sa fonction de passeur de savoirs ». Pour être professeur, il faut allier « une excellence disciplinaire avérée et des méthodes d’enseignement » (p. 37), le tout sanctionné par un concours (CRPE, CAPES, Agrégation) « attestant ces deux aptitudes » (Ibid.). Le savoir transmis doit être exigeant et il ne faut pas avoir peur de parler d’excellence : l’actuelle bienveillance se confond avec « l’indulgence et l’indulgence avec le laxisme » (p. 45). Elle est au service, à travers l’égalitarisme, d’un « élitisme réel », car toute réussite repose « sur d’autres facteurs que la fréquentation de l’école publique, quand ce n’est pas sur la non-fréquentation de celle-ci » (p. 45). Un enseignant au savoir pointu, attesté, mais également pédagogue, pourra « redonner le plaisir d’apprendre » (Ibid.). Un enseignant passionné qui sait comment transmettre ne pourra qu’inciter les élèves à en apprendre davantage, par eux-mêmes, et construire ainsi une culture de la curiosité.
Le texte s’achève sur une réflexion intéressante concernant les lieux de vie et de travail que sont nos établissements scolaires : comment bien apprendre et se sentir bien dans des préfabriqués mal isolés ? Camille Dejardin évoque Michel Foucault et l’idée d’un établissement scolaire rappelant la prison, le panoptique, la surveillance. [3]. L’école doit quitter cette apparence « sinistre » (p. 47) pour devenir un lieu de vie agréable pour les élèves, les déconnectant du réel, des réseaux sociaux et permettant de créer des installations « écoresponsables » et « résilientes au changement climatique » (p. 49). Créer un établissement scolaire, avec de la verdure, des espaces de jeux mais aussi de calme et déconnecté des réseaux sociaux (le téléphone portable est alors interdit) est une solution proposée dans le livre (p. 49).
Si nous enseignons, c’est que nous pensons, pour beaucoup, que nous faisons le plus beau métier du monde. N’y a-t-il pas de joies à transmettre, à apprendre, à monter des projets, à sortir les élèves de leur quotidien ? Ce texte est un cri d’alarme, certes. Mais des solutions sont proposées. Apportons des solutions en commun pour que nous puissions dynamiser, de nouveau, notre école, qui le mérite tant. Le texte de Camille Dejardin est une bonne introduction aux enjeux contemporains de notre école, écrit par une collègue professeure depuis huit ans, actrice de l’éducation sur le terrain. Il faut comprendre que les problèmes existent mais l’ouvrage n’invite pas au pessimisme : des solutions sont proposées.
@Bahri Boulanger, Professeur d’histoire-géographie, adhérent de l’APHG NPDC - Tous droits réservés. 29/03/2023