Collections en regard. Les bibliothèques à l’écran Compte rendu de lecture / Education et cinéma

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Par Yohann Chanoir. [1]

PICHON, Alban (dir.), Collections en regard. Les bibliothèques à l’écran, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2017, 23 €.

Dans un film, un lieu est rarement insignifiant. Les cours de recréation, abondamment mises en scène au cinéma, comme l’a rappelé un ouvrage dirigé par Caroline Barrera en 2016 [2], sont ainsi plus qu’un simple élément de décor.

Autour de 11 contributions différentes, ce livre évoque un autre lieu abondamment filmé : les bibliothèques. La question centrale du livre est celle des relations entre littérature et cinéma. Mais l’ouvrage dépasse cette problématique pour aborder d’autres thématiques. La bibliothèque au cinéma souligne l’héritage de l’objet-livre. Goût du mystère, soif de la connaissance, vecteur de l’imaginaire etc., l’endroit est pluriel, prenant la forme d’un labyrinthe, l’apparence d’un palais des savoirs (Prospero’s Book, Peter Greenaway, 1991), ou se présentant comme une interface entre ciel et terre (Les Ailes du désir, Wim Wenders, 1987). Privée ou publique, ouverte à tous ou fermée à beaucoup, vaste ou réduite, réelle ou imaginée, les cinéastes ont filmé toutes les bibliothèques. Les lecteurs, passionnés par l’intertextualité, trouveront de quoi satisfaire leurs passions avec des contributions de haute tenue intellectuelle, parfois un peu complexes. Tous les cinémas sont convoqués, y compris le bis (Inferno, Dario Argento, 1980), montrant que pour des chercheurs les limites des « genres » sont loin d’être des frontières opérantes, un braconnage filmique qu’on eût souhaité toutefois plus nourri.

La présence de la bibliothèque au cinéma est aussi ancienne que le média lui-même. La première apparition figure sans doute dans Lily of the Dust (Dimitri Buchowetzki, 1924), titre hélas devenu invisible. Espace récurrent, réelle ou non, la bibliothèque à l’écran est un lieu fragile. Elle y est souvent menacée, détruite, comme celle de Sarajevo (Notre Musique, Jean-Luc Godard, 2004) et/ou interdite (Fahrenheit 451, François Truffaut, 1966). Elle peut aussi être réduite à du... papier. Dans L’Arbre, le maire et la médiathèque (Éric Rohmer, 1993), l’instituteur s’oppose au projet municipal d’une médiathèque, construction qui mutilerait le paysage vendéen. Projet démesuré, non seulement pour le lectorat local (15 lecteurs seulement sont inscrits à la bibliothèque locale), mais aussi dans son ambition (le nouvel espace doit être à la fois une vidéothèque, une discothèque et une bibliothèque), la médiathèque rêvée par le premier magistrat ne verra jamais le jour. En visionnaire, Godard imagine lui une bibliothèque sans murs ni travées.

On ne peut filmer la bibliothèque sans mettre en scène celles et ceux qui la fréquentent et qui y travaillent. Le ou la bibliothécaire peut être un véritable Cerbère, comme celle qui œuvre dans le centre des archives de la fondation Thatcher, mis en scène dans Citizen Kane (Orson Welles, 1941), cinéaste dont de nombreux films ont souligné une véritable « séduction archivistique ». Car la bibliothèque, lieu de mémoire, est aussi un lieu de savoir, qui recense les informations (La Soif du mal, Orson Welles, 1958), où, aujourd’hui, la connexion gratuite à la toile permet de précipiter le dénouement de l’intrigue (Double jeu, Bruce Beresford, 1999). Les lecteurs trouveront dans la dernière partie du livre « La bibliothèque publique d’information », trois contributions sur la mise en scène de Beaubourg, convoquant les cinéastes Roberto Rossellini et Luc Moullet.

Un film, hélas absent des contributions présentées, résume l’importance de la bibliothèque au cinéma. Dans Le Nom de la rose (Jean-Jacques Annaud, 1986), véritable giallo au Moyen Âge, la bibliothèque de l’abbaye répond au désir humain de recenser tout le savoir disponible. Son accès est furieusement contrôlé par le vénérable Jorge et son âme damnée qu’est le... bibliothécaire. Cette bibliothèque, véritable dédale, authentique saint des saints, suscite les passions humaines, tout en rappelant le pouvoir libérateur de la connaissance, ce pouvoir dont chaque enseignant détient (toujours, encore mais pour combien de temps ?) une modeste parcelle.

© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - 10/03/2018. Tous droits réservés.

Notes

[1Agrégé d’Histoire, Professeur d’Histoire-Géographie en section européenne allemand au Lycée Jean-Jaurès de Reims, Secrétaire de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes.

[2BARRERA, Caroline (dir.), La Cour de récréation, Portet-sur-Garonne, Éditions Midi-Pyrénéennes, 2016, 143 pages.