Comment aborder le thème de l’éthique en EMC avec un film ? Réflexion pédagogique

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Par Xavier Desbrosse [1]

Film. Christian Nyby (et Howard Hawks), USA, La chose d’un autre monde (The Thing from another world), 86 minutes, Noir et Blanc, 1950.

Comment aborder à l’aide d’un classique du cinéma fantastique le thème de l’éthique en enseignement moral et civique (EMC) en classe de Terminale ? L’analyse suivante apporte des éléments de réponse.

En s’appuyant sur le film, le but est d’exercer les élèves à la prise de parole, à l’écoute et au jugement. Analyser un scénario, c’est comprendre que le film est aussi la mise en scène de la résolution d’un problème par un groupe social. Ceci permet d’entamer la réflexion sur le droit et la règle. Le film raconte la confrontation entre un extraterrestre et les habitants d’une base polaire en Alaska. L’histoire se termine par la destruction de la « chose d’un autre monde ». A défaut d’un visionnage intégral du film, les séquences suivantes sont exploitables : la découverte de la soucoupe (15’-27’) ; l’analyse de « la chose » dans le laboratoire (59’ à 1h’06) ; la scène finale (de 1h’07 à 1h’26). Le film renvoie à trois thématiques principales :

1. La science, progrès ou danger ?

Le personnage de la « chose » permet aux scénaristes de jouer sur le thème du normal et de l’anormal. L’extraterrestre incarne tout ce que le domaine scientifique crée comme angoisses. Incontrôlable, violent, imprévisible, hyperrésistant, le monstre est la métaphore d’une science qui asservit l’humanité plutôt qu’elle ne la libère.

La « chose » se nourrit de sang animal ; elle est « végétale » et donc sans cœur (au propre comme au figuré). Quand un personnage écoute au stéthoscope les bruits intimes de la créature, il entend un son horrible « pareil aux pleurs des bébés ». Radioactif et magnétique, le monstre perturbe les transmissions par ondes ou le vol des avions.

En contrepoint, les militaires présents sur la base opposent leur bon sens aux excès de la science. Par l’humour, l’esprit pratique et la spontanéité, ils évitent les pièges des grandes idées qui soumettent l’Homme. Ils plébiscitent des techniques « à taille humaine » et qui font leurs preuves. Celles-ci mènent à la joie et favorisent l’expression des sentiments humains (notamment l’amour). L’usage de l’électricité en est un bon exemple : elle permet d’abord de rendre la vie sur la base plus agréable malgré le froid polaire. Mais c’est aussi grâce à elle que la créature est éliminée : l’électrocution permet d’aboutir là où les armes conventionnelles avaient échoué.

En un sens, la victoire finale contre l’extraterrestre végétal est celle de l’american way of life et de ses valeurs contre une science dévoyée et abstraite !

Capture d’écran. © Christian Nyby (et Howard Hawks), USA, "La chose d’un autre monde" DR.

2. Quel place pour l’individu au sein du groupe ?

Le personnage principal du film est collectif : c’est le personnel de la base polaire. Jamais aucun acteur n’est seul à l’écran (sauf le monstre). Dans l’avion, le réfectoire, le laboratoire, partout le collectif prime. L’absence de gros plan renforce cette impression : le plan américain est omniprésent. L’apparition de l’Autre agit donc comme un révélateur pour le groupe.

Dans les baraquements, se côtoient scientifiques et militaires. La concorde règne : malgré la peur et le danger, les personnages vivent en bonne intelligence. Seul le personnage qui trahit à la fin du film remet en cause par son comportement cette ambiance fraternelle.

L’histoire repose sur trois personnages-clés :

Le capitaine Hendry est le plus haut gradé présent sur la base. Il entretient une grande proximité avec ses subordonnés. L’esprit de camaraderie règne et on se moque volontiers des amours naissantes du capitaine et de la secrétaire Nikki. Hendry se distingue néanmoins dans les moments difficiles par sa capacité à garder son sang-froid et à démontrer son leadership : toujours à l’écoute des bonnes idées de ses hommes, il organise efficacement et pragmatiquement la riposte face au danger extraterrestre.

Le scénario reprend par ailleurs un thème classique du cinéma américain : la tension entre les échelles locale et fédérale. Du fait du rayonnement de la créature, la liaison radio entre la base et le commandement d’Anchorage est brouillée pendant tout le film. Le capitaine est obligé d’appliquer une sorte de principe de subsidiarité et s’autonomise. Ceci le mène à décider seul de détruire « la chose » alors que le général lui demandait de temporiser en la conservant à l’abri jusqu’à nouvel ordre.

Le journaliste Ned Scott est un personnage de comédie : constamment empêché, il ne peut transmettre avant la fin du film l’article qui l’aurait rendu célèbre en révélant la découverte de la soucoupe. Maladroit mais constamment présent, il pose aussi un regard ironique sur le capitaine Hendry et ses hommes. Même s’il cherche à défendre ses intérêts (vendre son scoop), il reste fidèle au groupe et joue loyalement son rôle de lien entre l’armée et l’opinion publique.

Le chef de l’équipe scientifique, le docteur Arthur Carrington, est le personnage négatif : du fait de son amour fou pour la science, il se marginalise progressivement au sein du groupe. Brillant scientifique – prix Nobel de médecine ! -, il est fasciné par le monstre : il interprète la découverte de celui-ci comme une rupture majeure dans l’histoire de la Connaissance. Ceci l’amène à mentir, puis à se rebeller et enfin à trahir en passant du côté de la créature. Ce personnage révèle l’anti-intellectualisme des scénaristes : pour eux, l’homme de sciences peut devenir un danger pour la communauté quand il sert ses intérêts personnels sous couvert d’universalisme du savoir.

3. Danger extérieur ou ennemi intérieur ?

Même si ce n’est pas l’objet de l’étude, il est difficile de ne pas aborder le thème de la Guerre froide !

Comme cela est écrit sur une affiche française de promotion du film, celui-ci ne fera peur qu’ « aux enfants impressionnables » : le degré de violence est relativement faible. On est dans le registre du film d’aventure plus que d’épouvante. Le drame se passe bien loin du cœur des Etats-Unis, dans les étendues isolées de l’Alaska.

Le scénario reprend en filigrane un discours hostile aux Soviétiques : on en retrouve les ingrédients : l’altérité fondamentale, le règne d’un monstre violent qui terrorise le groupe, l’engin volant menaçant écrasé dans un froid « sibérien ». Mais, dans un film qui n’est pas avare en allusions dans ses dialogues, les références à l’URSS sont absentes : l’OVNI vient bien de « nulle part ». Plus explicite est la référence à la thématique de la « cinquième colonne » qui renvoie très directement à un climat de guerre. La trahison du docteur Carrington est l’événement dramatique du film : dans l’adversité, il n’est pas fidèle aux principes qui fédèrent les autres personnages. A l’inverse, le reste du groupe se mobilise pour la défense d’un modèle technique et démocratique pacifique.

Ceci constitue un écho à la « chasse aux sorcières » qui touche alors le milieu des acteurs et des journalistes. Le film se termine par un appel radio de la base (le « front ») demandant aux citoyens américains (« l’arrière ») de rester vigilants et de « scruter [sans relâche ce] ciel » d’où viendra peut-être la menace de guerre.

Pour aller plus loin : Yohann Chanoir, "Les films de science-fiction hollywoodiens, reflets de la Guerre froide", Historiens & Géographes, n° 402, mai 2008, pp. 65-69.

© Xavier Desbrosse pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés.

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Notes

[1Professeur agrégé, Académie de Reims.