Une première intervention de Camille Pollet, membre du CRHIA (Université de Nantes), portait sur la critique du travail dans la culture nobiliaire espagnole du XVIIe siècle.
A rebours des traditionnels travaux sur la critique ouvrière, l’étude portant sur une période antérieure à l’âge industriel, la critique est abordée du point de vue de la noblesse, théoriquement incompatible avec le travail. L’oisiveté, nécessairement ostentatoire dans le cadre d’une société d’ordres, s’étend alors à des groupes élargis et n’est pas sans conséquence pour l’économie comme pour la société espagnoles.
Cette critique est variable selon les métiers. La problématique de la pureté de sang alimente cette complexité. Par ailleurs, l’influence de cette dénonciation souvent implicite du travail doit être relativisée selon les différences régionales : dans les régions du nord de l’Espagne, les hidalgos représentent les trois quarts de la population, ce qui appelle des assouplissements. Enfin, cette critique morale du travail ne fait pas l’unanimité et suscite la réaction des arbitristas et de nombreux auteurs qui dénoncent l’idéal social de l’oisiveté.
Julien Saint-Roman, membre du TELEMME (Université Aix-Marseille) a présenté une communication sur les ouvriers de l’Arsenal de Toulon à la fin du XVIIIe siècle. En s’interrogeant sur la construction originale d’un salariat capitaliste à partir de l’étude d’un groupe social, les ouvriers intégrés aux gens de mer, qui peut ressembler à un « salariat contraint » du fait du service dû à l’Etat (après en particulier l’instauration du système des classes), c’est également leur rapport au travail qui est examiné. Le cadre de l’arsenal offre pourtant un cadre d’étude complexe du monde du travail du fait de la mixité des formes juridiques de travailleur qui y cohabitent (ouvriers journaliers, ouvriers entretenus et ouvriers de levées, en plus des forçats). Si ces ouvriers bénéficient, en compensation de leur réquisition, d’un système de « protection sociale », somme toute relatif, et l’octroi de biens de consommation, cela ne les empêche pas de développer une résistance. Plus que les mutineries ou les désertions, peu nombreuses dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, elles prennent le plus souvent la forme de déviance, telle que la sortie non autorisée de matériaux. Celle-ci constitue autant un usage des ressources de l’arsenal qu’une forme de contestation quotidienne, véritable avant-garde de la contestation révolutionnaire.
Enfin, Christos Andrianopoulos (Université Paris-Ouest-Nanterre) a étudié la critique du travail libéral dans l’œuvre de Louis Blanc, une forme de travail qui dominait le travail ouvrier pendant le mi- XIXème siècle. Désireux d’observer la transformation d’une doctrine ouvrière fondée sur la critique du libéralisme à une doctrine socialiste dans un régime républicain, il a débuté son propos par la reprise des fondements de la pensée de Louis Blanc, surtout la notion du « droit au travail » telle qu’elle a été employée par la presse ouvrière pendant les années 1830 et la pensée de Charles Fourier concernant le travail. Puis, il a présenté l’analyse de Louis Blanc sur le marchandage, considéré comme l’incarnation de la concurrence dans le travail ouvrier et sa critique de l’intérêt du crédit représentant une compensation de la privation des utiles du travail par la classe ouvrière. Enfin, a été abordé la question du salaire et sa formulation d’un cadre revendicatif hostile à son augmentation, préférant la négociation des tarifs à travers les instances d’arbitrage comme par exemple la commission du Luxembourg en 1848. De cette façon, il a été mis en avant l’idée que la doctrine de Louis Blanc s’appuie en réalité sur une instrumentalisation des revendications ouvrières des années 1830.
L’ensemble de ces présentations ont nourri des échanges très constructifs, à la fois des mises au point méthodologiques sur les sources utilisées et leurs lectures mais également des questionnements plus vastes sur des notions (la distinction entre travail manuel et travail intellectuel, par exemple, interrogée dans le rapport à l’oisiveté).
Représentant l’opportunité d’une mise en forme de recherches et l’exercice d’une présentation orale, elle constitue autant une bonne expérience pour les intervenants que pour les participants qui profitent des échanges ainsi produits pour nourrir leurs réflexions. Comme il l’a été indiqué en fin de séance, il est donc souhaitable et espéré que ce type d’initiative soit régulièrement renouvelé.
Ce séminaire d’étude s’est conclu par une discussion sur l’association. Guillaume Roubaud-Quashie (Paris I, CHS) a été désigné comme représentants des doctorants au CA en remplacement de Christos Andrianopoulos. Il a par ailleurs été décidé d’organiser régulièrement des séminaires méthodologiques entre doctorants, une à deux fois l’an. Le premier d’entre eux doit se tenir d’ici la fin de l’année.
Claude Roccati
Université du Havre, CIRTAI-IDEES
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Illustration en une : Centre Malher, Université Paris I Sorbonne. Source ici.