Compte rendu de l’audience avec Jérôme Grondeux, Doyen de l’Inspection générale groupe Histoire-Géographie (16/12/2019) Compte rendu de l’audience du 16 décembre 2019

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Compte rendu de l’audience avec Jérôme Grondeux, Doyen de l’Inspection générale groupe Histoire-Géographie (16/12/2019).

Sollicitée par de nombreux collègues dans un contexte de mécontentement, d’épuisement et de menaces de boycott des E3C, une délégation de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie - APHG (composée de Joëlle Alazard (Vice-présidente nationale), Christine Guimonnet et Marc Charbonnier (secrétaires généraux) a rencontré le Doyen de l’Inspection générale Jérôme Grondeux lundi 16 décembre (Carré Suffren, Paris 15e). Nous le remercions de sa disponibilité car cette longue rencontre fut l’occasion de dresser un état des lieux lucide des réformes en cours. Afin de pouvoir apporter à nos collègues des réponses claires, nous avons prioritairement abordé les sujets cristallisant les inquiétudes.

E3C [1], BNS [2], numérisation, rémunération, grand oral… La réforme du lycée, menée au pas de charge, fait surgir des problèmes qui se multiplient et qui semblent ne pas avoir été anticipés par l’institution

La mise en place d’une réforme supposait a minima un respect du calendrier annoncé par le ministère, afin que les collègues puissent travailler correctement et s’organiser grâce à des textes clairs. Force est de constater que le calendrier n’a pas été tenu, plongeant les enseignants dans le désarroi : l’ouverture de la BNS qui était attendue pour octobre a été longuement reculée, aucun texte n’est venu préciser ce que devait être le grand oral et les collègues ont pu constater que des discours discordants avaient été tenus dans les différentes académies, construisant une image désastreuse de la réforme, l’absence d’instructions claires laissant place à la circulation de rumeurs et à une certaine cacophonie. Faute d’informations claires arrivées en temps et en heure dans les établissements, les professeurs principaux ont souvent été dans l’incapacité de répondre aux légitimes interrogations des parents lors des réunions organisées au cours du premier trimestre, alors que bien des personnels de direction s’avouaient également en quête d’informations.

Après une rentrée qui s’est déroulée dans de mauvaises conditions dans un grand nombre d’établissements, un flou aussi regrettable qu’inédit persiste sur les E3C et aucune règle commune n’a été mise en place faute de cadrage. Ainsi si certains établissements comptent banaliser les journées d’épreuves, d’autres ne le feront pas. Ces épreuves de contrôle continu ne nécessitaient-elles pas, même dans un cadre moins formel que celui du baccalauréat tel qu’il existait jusqu’à présent, des précautions afin de maintenir une égalité de traitement entre tous les candidats ? Bien des problèmes concrets montrent que des situations n’ont pas été anticipées : quid des aménagements prévus pour les sportifs de haut niveau, du passage ou pas des E3C par les élèves des SIB, des tiers temps pour les élèves bénéficiant de PAI/PPS, des élèves absents ? Comment limiter les risques de fraude, quand les devoirs risquent d’avoir lieu dans des salles avec un seul surveillant, sans assurance qu’il y ait un élève par table ? On sait que la période de passage varie d’un lycée à l’autre, que le temps de passation n’est pas toujours clairement identifié comme une épreuve de bac… Les collègues ayant pris des classes de Première en charge seront-ils les seuls à corriger ou les corrections seront-elles prises en charge par la totalité de l’équipe ? Sachant qu’en fonction des établissements, certains collègues débutent en lycée, que les collègues ont essayé de se répartir équitablement les charges liées aux nouveaux programmes, que ces corrections ajoutent une charge de travail en période de bac blanc, il aurait été nécessaire de disposer de tous ces éléments en amont. La rémunération pour ces corrections, dans la mesure où les autres cours ne seront pas suspendus, paraît bien légère ; une décharge de cours serait éminemment souhaitable, tout comme une réunion en amont des corrections afin d’harmoniser les attentes nationales, examen oblige.

Au début des discussions avec les différents interlocuteurs au Ministère, il n’avait jamais été question d’une numérisation des copies ni de la correction en ligne. Cette nouvelle a achevé de braquer une bonne proportion de collègues, déjà mécontents face aux dysfonctionnements multiples. Le fossé entre les discours rassurants de la DGESCO et la mise en œuvre sur le terrain est patent. Ne semblent en effet pris en compte ni le temps nécessaire à la consultation des sujets, la concertation en équipe pour le choix (un pour l’épreuve, un de secours et un pour le rattrapage dans les cas des élèves absents avec un motif valable), la préparation d’attendus communs, d’un corrigé, d’un barème, ni les problèmes liés à une correction sur un logiciel, quand on connaît les disparités d’équipement informatique et les aléas des réseaux dans les établissements. Une nouvelle fois, l’institution compte par ailleurs sur l’équipement personnel des collègues pour remplir une mission d’examen.

Qu’attend-on aujourd’hui de l’élève en tronc commun ? Qu’attend-on de celui qui suit le cours de spécialité ? Quelle sera la nature exacte de l’épreuve de spécialité de fin de première, mais aussi de celle passée en terminale ? Comment articuler les exercices maîtrisés au collège avec les nouvelles épreuves du lycée, les E3C n’ayant rien à voir avec l’épreuve d’Histoire-Géographie-EMC du DNB ? Comment insérer cette progressivité de la question problématisée, avec des cours sans le moindre dédoublement propice à un temps dédié de méthodologie ?

S’approprier des nouveautés, les maîtriser, être à l’aise avec exige du temps, même chez des collègues aguerris et rompus à de multiples réformes. Sans être dans la verticalité dont l’institution est coutumière, il nous semble que d’une académie à l’autre, il devrait y avoir un discours explicite et des éléments d’information qui pourraient efficacement passer par les IPR, eux-aussi tardivement informés.

La spécialité HGGSP

Malgré son ampleur, une majorité de collègues apprécie le programme de spécialité ; pour celui-ci, nous souhaiterions que l’histoire et la géographie ne se diluent pas dans la géopolitique, puisqu’il s’agit avant tout d’approfondir, au moyen de ces quatre heures hebdomadaires, l’acquisition de connaissances utiles dans nos deux disciplines. La mise en place d’un enseignement de spécialité constitue l’un des plus grands bouleversements de ces dernières décennies. Regards croisés au cœur de notre formation d’historiens et de géographes, les objets d’études de la spécialité HGGSP - tous issus de la réflexion sur l’expérience des Femmes et des Hommes vivant en collectivité sur des territoires - constituent indiscutablement une voie d’accès à la culture générale ; ce qui implique l’aptitude à replacer dans un même tout les parties divisées par la spéculation croissante des savoirs. C’est pourquoi, l’APHG, encore et toujours depuis sa participation aux premières consultations début 2018 [3] demande la plus grande attention concernant l’attribution nécessaire de cet enseignement par les chefs d’établissement aux professeurs d’histoire-géographie, ou à défaut faire respecter la mention : « L’enseignement est assuré par les professeurs d’histoire et géographie avec l’appui, le cas échéant, des professeurs de sciences économiques et sociales. » (BO du 22/01/2019 : au moins est implicitement reconnue la vocation primordiale des professeurs d’histoire-géographie à mettre en œuvre ces programmes - ce qui n’est bien sûr pas pleinement satisfaisant [4]. NDLR).

Malgré cette relative satisfaction de l’enseignement en spécialité, quelques questions restent en suspens.

Comment articuler le travail de spécialité avec la préparation au grand oral ? Comment bien conduire les élèves vers celui-ci alors qu’aucun texte n’a été publié en dehors du rapport Delhay ? [5] Le paragraphe « Contenu et déroulement de l’épreuve » sur la page web ne peut suffire à constituer un texte de cadrage d’examen. Sur quelles heures et comment pourrons-nous efficacement préparer nos élèves à l’examen ?

Enfin, les effectifs des groupes de spécialité s’avèrent malheureusement aussi chargés que ceux des classes en tronc commun et l’hétérogénéité reste difficile à gérer sans le moindre dédoublement dans la majorité des cas. Nous remarquons que des élèves les plus fragiles en tronc commun sont particulièrement à la peine dans l’enseignement de spécialité, exigeant. Comment les accompagner au mieux, les faire progresser, exiger du travail sans les décourager et les soutenir quand ils sont à ce point dépassés ? Comment les mener vers le supérieur, expérimenter de nouvelles méthodes de travail et favoriser l’autonomie dans ces conditions ? Bien des collègues sont découragés et en difficulté quand leurs élèves, fragiles, peinent à suivre le rythme imposé par le programme et le calendrier.

Jérôme GRONDEUX - Doyen du groupe HG :

La DGESCO demande aux chefs d’établissement de privilégier le choix d’un sujet commun par établissement, ce qui correspond au travail de l’équipe pédagogique proposant des sujets entre lesquels le chefs d’établissement fait un choix - Elle recommande également chaque fois que possible le passage de l’E3C d’une discipline à un créneau horaire précis, dans chacune des salles de classe où les élèves se trouvent à ce moment-là, sous la surveillance du professeur qui les a normalement en charge dans son emploi du temps. Cela permet d’éviter de bloquer trop de journées pour le passage des épreuves.

Un travail de cadrage est lancé dans les académies, afin d’être au clair sur les attentes concernant les exercices des E3C. Il importe de mettre en valeur les points importants, qui correspondent à la structure des exercices et aux capacités travaillées, mais de rester souple, d’éviter un sur-encadrement de la correction, de trouver un équilibre. Les éléments de cadrage fournis par l’Inspection générale sur la question problématisée donnent des orientations, mais il y aura un travail collectif et national sur les attendus des épreuves d’E3C, en particulier sur la question problématisée, l’analyse de documents et le croquis - Pour la voie technologique, les exercices s’inscrivent dans une continuité par rapport aux épreuves de l’actuelle épreuve final. Un cadrage national et indicatif sera proposé par l’inspection en janvier, mais sans retomber dans un barème, une grille et des contraintes.

Les commissions d’harmonisation, où il y aura des IA-IPR et des professeurs, relèvent des académies et non de l’Inspection générale. L’ouverture de la banque nationale de sujets, à laquelle les équipes pédagogiques ont accès, est de nature à rassurer les collègues, en matérialisant la possibilité du choix - Elle donne en outre des indications sur le niveau de précision du traitement des programmes - En ce qui concerne les commentaires de documents, les sujets ne portent pas que sur les points de passage et d’ouverture, afin d’éviter que ceux-ci ne soient tous l’objet d’un traitement trop intensif, alors que le programme précise que le professeur est maître de leur degré d’approfondissement. D’une manière générale, nous avons conscience que nous sommes dans le traitement de nouveaux programmes alors même que se met en place un nouveau système d’évaluation : ainsi, pour la voie technologique, ont été ajoutés des sujets portant sur deux thèmes (le thème 1 d’histoire et un thème de géographie) et il y aura donc assez de sujets possibles lorsque les équipes devront procéder à leur choix.

Afin d’éviter le bachotage, car nous sommes dans du contrôle continu, les sujets les plus choisis sortiront de la banque pour l’an prochain. Une deuxième vague de sujets portant sur les thèmes 3 et 4 d’histoire du tronc commun et articulant les différents thèmes de géographie entrera prochainement dans la banque. Les deux épreuves passées en première répondent aux mêmes exigences et il n’y a pas de progressivité sur des épreuves passées à quelques mois d’intervalle, ce serait artificiel.

En spécialité, la banque sera alimentée à partir de janvier-février 2020, avec des sujets assez généraux : il n’y a pas de sujets d’érudition portant sur un jalon, car les jalons servent à développer un aspect d’une problématique d’ensemble.

L’inspection générale a travaillé avec la DGESCO à l’élaboration des épreuves finales de spécialité et avait été auditionnée par Cyril Delhay pour l’élaboration du rapport qui sert de base à l’élaboration de l’épreuve de l’oral final - Nous attendons la parution des textes définissant ces épreuves.

Le volume horaire de l’enseignement de spécialité semble apprécié et passera à 6h en terminale.

L’ampleur de la réforme nécessite un travail continu d’élaboration, qui mobilise l’ensemble de l’administration centrale - Nous sommes conscients de l’effort considérable qui est celui des collègues enseignants dans ce contexte. Le nouveau cadre de l’évaluation, avec sa régularité et son exigence, participe de la volonté de fortifier la vocation de « sas » du lycée général et technologique, entre le collège et l’enseignement supérieur.

Le numérique

Nous avons profité de cette rencontre pour signifier le fort mécontentement des collègues des régions Grand Est et Île-de-France à propos du passage en force au numérique sous l’impulsion des deux collectivités territoriales. Là encore, le terrain n’est ni écouté ni entendu, l’expertise enseignante est niée. En Île-de-France, les équipes n’ont pas été véritablement consultées et les conseils d’administration ont voté pour des manuels numériques alors que les collègues souhaitaient des manuels papier. Le « chantage à l’équipement » de la collectivité territoriale a fait le reste.

Nous avons tenu à préciser qu’il s’agissait rarement d’une opposition de principe au numérique en tant que tel : nombre de collègues se sont appropriés l’outil quand il apportait une plus-value pédagogique pour les apprentissages (blogs, padlets, balado-diffusion, web radio…). Mais dans de nombreux lycées ayant opté pour les manuels numériques, les classes se sont retrouvées sans outil, les manuels numériques étant arrivés très tard sur le nouvel ENT (monlycée.net). Quand les ordinateurs portables ont été distribués aux élèves la semaine avant les vacances de Noël pour les moins chanceux d’entre-eux, les élèves ont passé un trimestre sans manuel ; dans certains lycées, le problème n’est toujours pas réglé pour tous les élèves d’après nos remontées de terrain. Pour une majorité d’enseignants, le manuel demeure pourtant un outil très pratique pour permettre, associé à des productions personnelles du professeur, des modalités de différenciation et des progressions méthodologiques. Cela a engendré une perte de temps conséquente et un surcoût pour les établissements (multiplication des photocopies en noir et blanc).

Une telle ingérence de la région dans nos pratiques pédagogiques est difficilement tolérable, alors que ces dysfonctionnements sont amenés à durer : d’une part parce que la mémoire des tablettes ne permettra pas de télécharger tous les manuels nécessaires ; d’autre part parce que s’ils sont accessibles en se connectant à l’ENT, les élèves ne pourront toujours pas les utiliser en classe, faute de bornes wifi opérationnelles. Dans un contexte où le Ministère veut promouvoir le développement durable, les éco-délégués, les éco-établissements, alors que le ministère de la Santé incite les adolescents à réguler les usages des écrans, que le ministère de la Culture souhaite protéger le livre, une telle prolifération d’ordinateurs et de tablettes nous semble aussi irresponsable écologiquement et sanitairement que peu pertinente pédagogiquement.

© Joëlle Alazard, Christine Guimonnet et Marc Charbonnier pour la délégation de l’APHG. Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 04/01/2020. Tous droits réservés.