Après près de deux semaines de phases de poule, voici venu le temps des matchs à élimination directe. En une heure et demie, parfois deux heures, à peine plus, le jeu décide du sort des équipes nationales. Dans ce cas, les calculs ne sont pas de mise et surtout ils ne durent pas plus longtemps que la rencontre elle-même. C’est dans cet espace-temps très limité, sur ce rectangle de 105 mètres de long et de 68 mètres de large, que se produit quelques gestes parfois venus de nulle part. Par exemple, en deuxième mi-temps du match Pologne-Albanie, alors que les Helvètes étaient menés d’un but, l’attaquant suisse Xherdan Shaqiri reprend un ballon repoussé insuffisamment par la défense adverse. Situé aux limites de la surface de réparation, dos au but, il fait un ciseau retourné. Le ballon touche le poteau polonais et aboutit dans les filets permettant à la Nati d’égaliser. Le geste, toujours impressionnant lorsqu’il s’agit d’un retourné réussi, et le contact entre le ballon et le corps du footballeur n’auront duré qu’une fraction de seconde. Suffisant pour que le miracle ait lieu !
La vie n’est qu’éphémère et ce type de geste participe de la vanité qu’est le football. La finitude du temps de match préfigure celle de la vie et le coup de sifflet marquant l’issue de la rencontre annonce le dernier souffle. Comment ne pas penser à un monde perdu ou en train de se perdre en observant l’affiche du deuxième huitième-de-finale ? Arbitré par l’anglais Martin Atkinson, l’équipe galloise a pour adversaire du jour le Onze nord-irlandais. Angleterre, Pays de Galles, Irlande du Nord, il ne manque que l’Ecosse et le Royaume-Uni est au complet. Par son absence dans la compétition, l’équipe d’Ecosse a manifesté un chemin différent du reste du pays. Un Royaume-Uni qui, quelques heures plus tôt, a choisi de se désunir de l’Union Européenne. Voir ces foules britanniques dans une compétition européenne à l’heure du Brexit est évidemment évocateur.
L’Europe du football telle qu’on la connaît possède une chronologie parallèle à la construction européenne. L’UEFA voit ainsi le jour en 1954 alors que l’autorité des fédérations nationales du Vieux Continent est remise en cause par la montée en puissance de leurs homologues sud-américaines au sein de la FIFA. Très vite, la nouvelle institution fonde la Coupe des Clubs Champions, l’ancêtre de la Ligue des Champions. Sa première édition se déroule dès 1955, ce qui condamne un premier embryon de championnat européen des clubs, la Coupe Latine qui regroupait chaque année depuis 1947 les champions français, ibériques et italiens. Quant au Championnat d’Europe des Nations, il est pensé dès 1954, sur la base d’un projet qui date des années 1920, et se déroule pour la première fois en 1960 en France. A chaque étape, des pères fondateurs, qui français, qui belges, qui italiens, portent le projet, voyant dans l’Europe le véritable horizon habituel du football français, l’échéance mondiale restant du domaine de l’exception. Combien d’enfants ont alors cru que l’Europe était une idée éternelle puisque, très régulièrement, clubs et nations du Continent se rencontraient pacifiquement. Beaucoup ont pu se sentir trahis par le tournant pris dans les années 1990, avec l’arrêt Bosman, pris alors qu’était réuni le conseil européen à Madrid. L’argent alors semblait devoir corrompre le rêve, au risque de le dénaturer. N’était-ce qu’un rêve ?
A suivre...
© François da Rocha Carneiro - Tous droits réservés. 26 juin 2016.
Voir en ligne :
- Episode 1, En route vers l’Euro...
- Episode 2, De quelques temps avant le match
- Episode 3, D’un canotier
- Episode 4, Des fantômes de rouge vêtus
- Episode 5, De l’encombrement des mémoires
- Episode 6, Des cartes Vidal de La Blache
- Episode 7, Du choix des focales
- Episode 8, De l’art du gazon
- Episode 9, De Sherpas à l’approche des terrils
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