De la sainte opposition (épisode 13) Chronique de l’Euro

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La Rédaction du site internet de l’APHG et d’Historiens & Géographes publie en plusieurs parties une tribune libre sur l’Euro de Football dont la 15e édition se déroule en France, du 10 juin au 10 juillet 2016... A suivre !
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Par François da Rocha Carneiro [1]

Ce soir se décidera qui, des Bleus ou de la Mannschaft, pour affronter l’équipe la plus lassante et insipide de l’Euro en finale de la compétition. Le Portugal a eu raison des Dragons gallois, après un match agréable (contre la Hongrie) et une deuxième mi-temps acceptable (contre les partenaires de Gareth Bale). Hormis ces quelques 135 minutes, les Lusitaniens ont assuré les spectateurs d’un mortel ennui faisant douter des joies du football.

Contre l’équipe du Portugal, ce sera donc la France ou l’Allemagne. Il est toujours étrange de résumer l’ensemble d’un pays par sa seule équipe sportive. L’équipe de France, est-ce la France dans son entier ? Lorsque l’équipe de France rencontre sur un terrain de football l’équipe d’Allemagne, est-ce la France qui rencontre l’Allemagne ? Lorsque l’équipe de France gagne contre l’équipe d’Allemagne (ça arrive), est-ce la France qui bat l’Allemagne ? De tels abus langagiers pourraient suffire à penser que cette élite sportive constitue un patrimoine national. La France est la France, parce qu’il y a les Bleus… Et dans cette optique, il est un lieu de mémoire particulier : le match France-Allemagne.

Celui du jour aura un parfum très particulier. Ce sera le 28e match entre les deux Onze nationaux, à l’exclusion cependant des sept confrontations entre l’équipe de France et celle de la défunte et regrettée R.D.A. Vingt-huit comme le nombre de pays que l’Union Européenne connaît encore à ce jour. La première rencontre officielle avait eu lieu le 15 mars 1931. Avant cela, souvent des équipes françaises avaient rencontré des adversaires allemands, mais jamais ce n’avait été l’équipe de France contre l’équipe d’Allemagne. 15 mars 1931, à peine douze ans après la fin de la Première guerre mondiale. Le retour du Reich sur la scène sportive dans la deuxième moitié des années 1920 avait pris du temps et la confrontation entre les deux ennemis d’hier, devenus adversaires d’un jour, portait une dimension dramatique que peu de journaux de l’époque souligne mais qui régnait dans les esprits de beaucoup. Contrairement à ce qu’avait rapidement affirmé un historien intéressé par le football [2], devant 50.000 spectateurs dont 10.000 à 15.000 allemands présents à Colombes, l’équipe de France l’emportait sur le score d’un but à zéro à l’issue d’un match qui se déroula dans de bonnes conditions sportives. Seule L’Humanité insiste alors sur le « chauvinisme odieux et malsain » de quelques-uns, considérant cette rencontre comme étant la marque du rapprochement entre l’impérialisme français et les banquiers allemands.

Plusieurs joueurs de l’équipe de France avaient choisi, en raison des temps troublés, de prendre la nationalité française. Ce furent surtout des immigrés sportifs, qui, dès le début des années 1930 évoluaient dans un club français, comme les Hongrois de naissance Auguste Jordan ou Edmond Weiskopf, ou les Autrichiens André Matthieu, et surtout Henri Hiltl et le gardien starifié Rudi Hiden, qui avaient tous les deux porté les couleurs de la Wunderteam avant d’être un « Bleu ». Ce fut aussi, à la fin des années 1950, Henri Skiba, Allemand né en Haute-Silésie, ayant servi dans les transmissions sur le front de l’Est, fait prisonnier par l’Armée Rouge, puis par les Alliés occidentaux, lequel, en fin de carrière, obtient la nationalité française lui permettant d’être sélectionné à trois reprises en équipe de France.

Les matchs ont passé, puis ce fut Séville. Le seul nom de la ville où se déroula le drame suffit à faire renaître les souvenirs des amateurs de football. Cela est rare. Sans aucun doute, on y ajoutera « Guadalajara ». Séville… 1982… Schumacher… et le retourné de Trésor… et Bossis… Inutile de faire des phrases. Séville est une partition musicale où les silences participent pleinement de la composition. Les images naissent aussi de ces silences. Qu’espérez pour les générations futures ? Foin du développement durable, contentons-nous d’espérer que nos enfants, nos adolescents, nos jeunes vivent et voient un spectacle aussi complet que fut celui de 1982. Un drame antique. La plus belle des défaites. Et si Maxime Bossis, ce soir, parvient à mettre son tir au but. Et si l’arbitre ce soir donne un carton rouge à Schumacher. Et si nous en restons à 3-1 à la 120e minute. Et si, ce soir, la défaite pouvait être victoire. Qu’elle le soit mais sans rien perdre de son inoubliable beauté.

A suivre...

© François da Rocha Carneiro - Tous droits réservés. 7 juillet 2016.

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© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 07/07/2016. Tous droits réservés.

Notes

[1Secrétaire général adjoint de l’APHG, Membre de la Rédaction d’Historiens & Géographes, « chronique sportive ».

[2Pierre Milza, « Guerres dans les stades », L’Histoire, n°201, juillet-août 1996, p.94-95, affirmait que la rencontre, qui s’était déroulée dans une ambiance délétère, s’était heureusement terminée sur un score nul.