Les premiers matchs à élimination directe ont parlé. Il ne reste plus, à l’heure où ces lignes sont écrites, que huit équipes en course. Allemagne et Italie sont des valeurs sûres du football international, même si leur palmarès s’est davantage écrit dans les Coupes du Monde (huit titres répartis équitablement entre la Mannschaft et la Squadra Azzura) qu’à l’échelon européen (seulement trois victoires finales pour l’Allemagne et une seule pour l’Italie). La présence de la France, organisatrice du tournoi et grande pourvoyeuse de joueurs évoluant dans les championnats étrangers [2], en particulier dans le Big Five que constituent les cinq « grands » championnats européens, n’étonne pas vraiment et une élimination trop rapide aurait été du plus mauvais effet, provoquant probablement un psychodrame national. Les équipes du Portugal et de la Belgique possèdent dans leurs rangs deux des plus talentueux footballeurs du moment, l’insupportable diva des dancings, Cristiano Ronaldo, et le discret et sublime Eden Hazard [3], qui sont chacun à la tête d’un groupe brillant et attendu. Le classement international de ces cinq équipes ne trompe pas puisqu’elles se situent toutes dans le top 20 du football mondial. [4]
Deux équipes moins attendues figurent au tableau des quarts-de-finale, le Pays de Galles et la Pologne. Elles jouent le rôle, habituel à ce stade-là de la compétition, de « petits poucets », statut qu’il convient cependant de relativiser puisqu’elles sont classées respectivement au 26e et 27e rang mondial. Il leur a fallu pour en arriver là éliminer deux autres équipes à peine mieux classées, l’Irlande du Nord (25e) et la Suisse (15e). Rien de nouveau donc sous le soleil. Rien de nouveau si ce n’est un air frais venu du Nord.
Un très petit poucet, un nain a surgi ex machina : l’Islande. Qu’on ne se méprenne pas : classée 34e, après un remarquable parcours en phase de qualifications, l’équipe islandaise était, sur le papier du moins, de celles qui pouvaient être à craindre. Depuis deux ans en effet, le onze venu du froid s’est stabilisé à son rang mondial actuel. La progression est fulgurante puisqu’en 2010, l’Islande n’était classée que 112e nation du football ! Qualifiée pour la première fois dans la phase finale d’un tournoi international, personne ne s’attendait cependant à un tel parcours. Il surprend d’abord parce qu’aucune star d’un monde ultramédiatisé et hyperconnecté n’émerge de ces « strakarnir okkar » [5] chargés de défendre les couleurs d’un pays ne comptant qu’un peu plus de 300.000 habitants. Ces joueurs évoluent pour la plupart dans les championnats scandinaves et, pour les quelques-uns travaillant en Angleterre, en Allemagne, en France ou en Italie, aucun n’y dépend d’un club majeur. Il étonne surtout par le jeu fourni par l’équipe. Ces hommes venus du froid revisitent un football total, dans lequel les tâches défensives sont de la responsabilité de tous les joueurs, fondé sur une solidité sans faille à l’arrière et une vigueur inattendue dans les phases de jeu arrêtées. Un football total, presque totalitaire, tant l’individu semble s’oublier au service efficace du groupe, du collectif, de l’équipe.
C’est cette surprise qui s’est abattue sur le Onze anglais, colosse aux crampons d’argile. Les médias ont souligné la concordance des temps, faisant sortir l’équipe d’Angleterre de l’Euro, quelques jours seulement après que les électeurs ont choisi de quitter l’Union européenne. La presse britannique, connue pour son sens de la tendresse et de la mesure, a trouvé en Roy Hodgson, sélectionneur démissionnaire et shakespearien (si on en croit son sacrifice à la fronde et aux flèches en conférence de presse), le responsable parfait. Une lecture moins présentiste du résultat et du jeu proposé par l’équipe d’Angleterre pourrait cependant reposer sur de nombreux autres facteurs. Devant satisfaire aux exigences de la part de chaînes de télévision qui nourrissent un championnat aux recettes infinies et aux dépenses somptuaires, les footballeurs anglais ont pu oublier qu’au-delà du spectacle, un match de football pouvait se remporter en se fondant sur un jeu sérieux et posé. L’équipe d’Angleterre peut aussi payer là le prix du succès : plutôt que de renforcer leurs centres de formation, les principaux clubs anglais misent prioritairement sur l’achat de joueurs étrangers performants, gênant ainsi l’émergence de footballeurs nationaux de très haute qualité de jeu. Peut-être faudrait-il aussi envisager une lecture philosophico-politique à cette défaite : face à un groupe solide et organisé, les joueurs de l’équipe d’Angleterre ont été dans l’impossibilité de briller ensemble, de « se trouver », de mettre en place une cohésion collective… et si dans leurs crampons, les Anglais avaient montré les effets pervers d’un libéralisme forcené… Thank you, Maggie !
A suivre...
© François da Rocha Carneiro - Tous droits réservés. 30 juin 2016.
Voir en ligne :
- Episode 1, En route vers l’Euro...
- Episode 2, De quelques temps avant le match
- Episode 3, D’un canotier
- Episode 4, Des fantômes de rouge vêtus
- Episode 5, De l’encombrement des mémoires
- Episode 6, Des cartes Vidal de La Blache
- Episode 7, Du choix des focales
- Episode 8, De l’art du gazon
- Episode 9, De Sherpas à l’approche des terrils
- Episode 10, Après près de deux semaines de phases de poule... De l’éphémère beauté de la vie...
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