Des destins croisés (épisode 14) Chronique de l’Euro

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La Rédaction du site internet de l’APHG et d’Historiens & Géographes publie en plusieurs parties une tribune libre sur l’Euro de Football dont la 15e édition se déroule en France, du 10 juin au 10 juillet 2016... A suivre !
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Par François da Rocha Carneiro [1]

La France se retrouve en finale. Le sélectionneur allemand Joachim Low n’a peut-être pas eu tort, après la défaite de son équipe, de remarquer que la Mannschaft avait été meilleure que son adversaire du soir, surtout au regard de la première mi-temps. Elle fut peut-être meilleure, mais juste un peu moins bonne que l’équipe d’Islande qui, en quart-de-finale, avait réussi à inscrire deux buts à Hugo Lloris. On aurait presque tendance à ajouter un « elle, au moins ! » vengeur…

La première partie de la rencontre fut en effet inquiétante pour l’équipe de France. La Mannschaft dominait largement et les Bleus subissaient. Ils subissaient mais ils tenaient face aux vagues germaniques et grâce à un remarquable gardien de but. Puis vint le deus ex machina, la main maladroite de Bastian Schweinsteiger frôlant le ballon, un geste presque invisible à vitesse réelle, et le pénalty fut sifflé alors que les joueurs français semblaient ne plus espérer que la pause. Antoine Griezmann le transforma aisément, malgré le souvenir d’un échec à cet exercice lors de la dernière finale de Ligue des Champions. La seconde mi-temps fut aussi stressante mais l’équipe de France semblait vouloir ne plus se soumettre et vint le deuxième but, en grande partie imputable à une défense allemande très désorganisée. Parodiant un commentateur sportif décédé lors du précédent Euro, on pourrait presque dire que, sur les deux buts, la défense allemande, ce n’était pas la Ligne Siegfried !

Au sein de l’équipe de France, il est amusant d’observer les joueurs les uns indépendamment des autres et d’en relever quelques situations contrastées. Ainsi, en des termes propres au journalisme sportif, on n’aura aucun mal à affirmer que Dimitri Payet est « passé à côté de son match ». Cela arrive à tout footballeur, et cela lui arrivait très souvent lorsqu’il évoluait dans le championnat français. Il semblait alors avoir besoin de passages à vide pour revenir au match suivant étincelant de talent… Le match suivant, ne serait-ce pas une finale contre le Portugal ?

A l’inverse, le novice Samuel Umtiti, qui a enregistré sa première sélection nationale lors du quart-de-finale contre l’Islande et qui ne jouait donc face à l’Allemagne que son deuxième match, a su être un élément sûr et propre de la défense, dans la paire qu’il forme depuis deux rencontres seulement avec le pilier Laurent Koscielny. La tête froide et le pied sûr, il s’est imposé comme titulaire à son poste, aux yeux du sélectionneur d’abord qui l’a préféré à Eliaquim Mangala, après les blessures successives de ses potentiels concurrents, Raphaël Varane et Jérémy Mathieu, puis la suspension disciplinaire d’Adil Rami.

Il y eut Hugo Lloris. L’homme incarne la stabilité dans une équipe de France parfois bousculée humainement et sportivement. Sa trajectoire sportive est limpide : formé dans un bon club français, l’OGC Nice, il est transféré dans un des cadors du championnat national, l’Olympique Lyonnais, alors qu’il n’a que 22 ans, puis à 26 ans, passe à l’échelle européenne et rejoint les Londoniens de Tottenham Hotspur. Trois clubs seulement dans la carrière de ce sportif de très haut-niveau, là où certains de ses partenaires du même âge (bientôt 30 ans) en ont connu le double. Stable et performant, il l’est tant que la finale sera l’occasion pour lui de porter le brassard de capitaine pour la 58e fois de sa carrière. Le poste de gardien est un des plus ingrats en sélection nationale comme en club. Il est évidemment unique, le règlement n’autorisant pas encore deux gardiens de but à jouer simultanément dans la même équipe, et il sert souvent de victime expiatoire à l’issue de défaites peu glorieuses. Nombreux sont ceux qui, à l’image d’André Renaux, d’Yves Chauveau, de Lionel Charbonnier ou de Stéphane Porato, ne sont apparus qu’une fois en équipe de France, ne parvenant pas à s’imposer face à la rude concurrence. Sans parler bien sûr de ceux qui, bien que faisant partie régulièrement du groupe de sélectionnés, n’ont jamais disputé de matchs internationaux, comme l’actuel troisième gardien, Benoît Costil.

Et il y eut Antoine Griezmann. Les commentaires et les adjectifs sont variés : petit lutin, génie venu de nulle part, artiste. Sa maîtrise technique, tant des gestes les plus anodins et élémentaires (quels beaux amortis de poitrine il sait faire !) que des mouvements les plus surprenants, son sens tactique, sa capacité à s’intégrer à un groupe pour en devenir le maître du jeu en font un joueur d’exception, à l’évidence. Il est plaisant à voir joueur, communiquant son plaisir autant que sa peine.

Souvenons-nous de ses larmes au lendemain de la défaite contre l’équipe d’Allemagne lors de la Coupe du Monde en 2014. Amusant, élégant (il ne lui manque plus que le costume et la cravate), il est depuis plusieurs mois le « peps » qui manquait tant à cette équipe au tournant des années 2010. Il tient là le rôle que Franck Ribéry tenait en 2006 et qu’il a vite perdu aux yeux de l’opinion publique. Mais c’est à d’autres joueurs qu’Antoine Griezmann fait désormais penser. C’est à Raymond Kopa bien sûr, par ses gestes et son placement, même s’il est facilement plus haut, sur le terrain, presque en pointe que ne l’était le premier Ballon d’Or français. C’est à Raymond Dubly aussi qu’il fait penser. « Min chti Raymond », à la carrière très stable, uniquement roubaisienne, à la dextérité qui en faisait le « Napoléon du football », lors de la mémorable victoire contre l’équipe d’Angleterre en 1921. Raymond Dubly, Raymond Kopa, Raymond Griezmann,… l’histoire continue !

A suivre...

© François da Rocha Carneiro - Tous droits réservés. 8 juillet 2016.

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© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 08/07/2016. Tous droits réservés.

Notes

[1Secrétaire général adjoint de l’APHG, Membre de la Rédaction d’Historiens & Géographes, « chronique sportive ».