Deux hommes en fuite (film de Joseph Losey) Compte rendu / Cinéma / DVD

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Par Yohann Chanoir. [1]

Deux hommes en fuite (Figures in a Landscape), Royaume-Uni, 1970, Joseph Losey, couleurs, 104-109 minutes. Prix public : 20,06 €.

Carlotta vient d’éditer pour la première fois en DVD et en Blu-Ray Deux hommes en fuite. Longtemps très difficile à voir, ce film de Joseph Losey de 1970 a été en outre malmené par la critique. Jean Tulard, dans son Guide des films, évoquait ainsi « un film incompréhensible » [2]. Or, cette édition, de belle facture, témoigne bel et bien de la qualité de ce long métrage.

Une traque mystérieuse

Deux hommes, les mains liées derrière le dos, courent sur une plage. Ils sont poursuivis par un hélicoptère. Les raisons de cette poursuite resteront mystérieuses. De même, le spectateur ne verra jamais le visage du pilote. Tout au long du film, quelques indices seront toutefois distillés. Mais l’essentiel est ailleurs. Les évadés sont deux êtres que tout oppose. Robert Shaw est un homme marié, père, d’âge mur, originaire d’une classe sociale modeste. Malcom McDowell est jeune, célibataire, issu d’un milieu plus aisé. Au fur et à mesure de la traque, ils vont se rapprocher. Cette dynamique épouse celle de leur violence. Si le meurtre du berger est filmé hors champ, l’assassinat d’un soldat est montré. Cette fuite est aussi l’histoire d’une brutalisation qui finit par contaminer et le second personnage et l’écran.

© 1970 Cinema Center Films and Cinecrest Films Inc. Tous droits réservés.

Une nature inquiétante

Tourné en Espagne, le film nous plonge dans une nature pliée aux besoins de l’intrigue. Les fuyards progressent en effet dans des paysages de plus en plus inhospitaliers. À la plage succèdent des forêts, puis des montagnes sèches, des plantations et enfin des reliefs enneigés. La musique dissonante, qui ouvre le long métrage, est récurrente. Angoissante, elle participe aussi au caractère effrayant de cette traque menée d’abord par un hélicoptère puis par une véritable armée. Nos collègues remarqueront sans doute dans plusieurs scènes une allusion évidente à la guerre du Vietnam. On peut aussi s’interroger sur cette armée mystérieuse, aussi implacable qu’elle est nombreuse. Une parabole avec le franquisme peut également être avancée. La fin du film, avec une autre armée, composée de soldats tout aussi anonymes que le sont leurs adversaires, est une claire évocation d’un totalitarisme, dont Losey a voulu montrer un des invariants.

© 1970 Cinema Center Films and Cinecrest Films Inc. Tous droits réservés.

Un tournage complexe

Le film puise aussi son caractère spectaculaire et haletant dans des conditions de tournage peu communes. Joseph Losey a filmé en effet plusieurs scènes en hélicoptère. Le cinéaste s’est aussi entouré d’une équipe de qualité. À ses côtés, sur le set et dans le cockpit, on trouve comme chef opérateur Henri Alekan, bien connu de nos collègues de terminales pour avoir participé au tournage de La Bataille du rail (René Clément, 1946). Deux hommes en fuite est de toute évidence une réalisation pensée, bien construite, maîtrisée, qui ravira les amateurs. Les bonus apportent une réelle plus-value à l’ensemble. L’oiseau de proie nous offre une analyse didactique magistrale par Michel Ciment, membre de la rédaction de Positif. Non seulement le critique recontextualise ce film dans l’œuvre de Joseph Losey mais multiplie les explications et les anecdotes. Une vraie leçon de cinéma !

Les cinéphiles seront convaincus de la force séminale de ce titre en le comparant avec Duel (Steven Spielberg, 1971), où un représentant de commerce est traqué par un routier, qui restera tout au long du film, anonyme...

Pour aller plus loin et le commander

Des informations et des photographies sont disponibles sur le site de Carlotta.

© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 21/05/2018.

Notes

[1Agrégé d’Histoire, Professeur d’Histoire-Géographie en section européenne allemand au Lycée Jean-Jaurès de Reims, Secrétaire de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes.

[2TULARD, Jean (dir.), Guide des films, A-K, Paris, Robert Laffont, 1990, p. 625.