Dictionnaire de la Méditerranée Compte-rendu de la rédaction

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Par Ralph Schor. [1]

ALBERA Dionigi, CRIVELLO Maryline, TOZY Mohamed (dir), Dictionnaire de la Méditerranée, Actes Sud, Arles, 2016, 1694 pages.

Homère ne nomme jamais la Méditerranée bien que toute l’action de l’Iliade et de l’Odyssée se situe dans ce cadre. C’est sans doute l’un des symboles de la complexité de ce monde. On peut certes convoquer de grands auteurs, Paul Valéry, Albert Camus, Lawrence Durrell ou Fernand Braudel qui, dans des registres différents, caractérisent « leur » Méditerranée. Mais, comme le disent les rédacteurs, cet espace se révèle polymorphe, insaisissable, propice à l’accumulation de lieux commun et d’interprétations contradictoires en tout domaine. Pourtant quelque 171 chercheurs se sont attachés à la rédaction d’un Dictionnaire de la Méditerranée qui ambitionne de cerner les savoirs, les territoires, les figures, les pratiques culturelles allant de Abraham, première entrée, à Zones marines protégées.

Il faut d’emblée renoncer à énumérer les lacunes de l’ouvrage. Chaque lecteur, en fonction de ses spécialités ou de ses curiosités, regrettera l’absence de maints personnages, lieux ou thèmes, absences inévitables dans une œuvre de cette ampleur. Les auteurs reconnaissent d’ailleurs les difficultés de l’entreprise et justifient leurs choix. Mieux vaut souligner les points forts du dictionnaire. Celui-ci s’appuie sur un fond événementiel saisi à travers des affrontements emblématiques comme Alalia, Lépante, Marathon, les croisades, la colonisation et la décolonisation, des figures majeures, par exemple celles de Jésus, Ibn Khaldoun, Léon l’Africain dont la Descripttione dell’Africa (1550) est bien analysée, Maïmonide dont le Guide des égarés (1191) est aussi heureusement caractérisé. Louis Bertrand, si représentatif de la littérature coloniale, n’est pas oublié. D’intéressantes notices attirent l’attention sur des auteurs moins connus du grand public, tels Goitein, Hilma Granqvist, Peristiany, Pitt-Rivers.

Certaines entrées rédigées dans une perspective historique complètent le tableau. C’est le cas de Archéologie, Astronomie, Cartographie, Cinéma, Construction navale, Contrebande, Echanges commerciaux, Navigation… Les notices consacrées à la démographie, aux diasporas, aux migrations vont dans le même sens, de même que les développements plus thématiques portant sur les Conflits, les Conversions, les Jeux…

Nombreuses à juste titre sont les entrées évoquant le religieux comme Adam et la définition du péché originel, Bible, Chrétiens, Divination, Juifs qui ménage une place à l’Alliance israélite universelle, Monothéisme, Musulmans, Sept dormants et même Mauvais œil. Le retour sur le passé est facilité par l’étude de divers groupes, tels Mamelouks, Levantins, Marranes, Morisques, Tsiganes… Les villes, absentes stricto sensu, apparaissent plus ou moins dans les notices synthétiques comme Cités barbaresques, Echelles du Levant, Iles, Mégapoles… De nombreuses notices, bien problématisées, proposent des interprétations pluridisciplinaires, par exemple Empire, Epidémie qui situe le nombre de morts dues à la grippe espagnole dans une fourchette allant de 20 à 90 millions de personnes, Fascisme, Fromage considéré comme un « facteur de mondialisation », Frontière, Genre, Historiographie, Identification… Les arts sont présents, notamment avec Mille et une nuits, Mosaïque, Musique qui conduit à une ouverture ethnomusicologique, Opéra, Poésie.

Le milieu géographique est analysé grâce à des entrées comme Bassin versant, Biodiversité, Climat, Désert, Eau où il apparaît qu’un Méridional dispose de six fois moins d’eau qu’un habitant du Nord, Ecosystème, Forêt, Mer, Montagne, Olivier, Paysage, Ruralité… Les développements économiques ne négligent pas la dimension culturelle ainsi pour Corail, Industrialisation, Madrague, Sel, Sucre, Tourisme, Vigne… Il en va de même pour les pratiques directement sociales comme le montrent Alimentation, Anis qui aborde la question de la consommation d’alcool en terre d’islam, Bains, Bazar où est évoquée la technique du marchandage, Mariage, Mort, Parenté, Tauromachie, Virginité vue sous un angle polysémique. Certains points sont repris dans la notice Stéréotypes, ceux-ci étant bien illustrés dans l’entrée Virilité. Les pratiques sociales apparaissent aussi plus ou moins longuement dans les développements consacrés aux sciences, Agronomie qui mène d’Hésiode et Magon au Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes, Alchimie dont les dimensions philosophique, théologique, ésotérique sont soulignées, Anthropologie biologique, médecine, pharmacopée. Si le dictionnaire n’adoptait pas un classement alphabétique, on pourrait ajouter qu’il se termine en rejoignant l’actualité avec des notices consacrées au Développement durable, au Nettoyage ethnique ou au Printemps arabe qualifié de « mythe politique ».

Une chronologie, un index thématique, un index nominum, un index locorum, une précieuse cartographie facilitent l’utilisation du dictionnaire. Les auteurs reconnaissent toute l’ambiguïté du sujet, montrent que les frontières de la Méditerranée sont floues, relatives, voire subjectives, que les valeurs et les pratiques dites méditerranéennes véhiculent à la fois des réalités et des fantasmes, que l’histoire de ce monde vogue de l’universel au très particulier. Les auteurs avouent même que « d’un point de vue scientifique la Méditerranée n’existe pas ». C’est précisément ce qui fait l’intérêt et la richesse de l’ouvrage, par la distanciation constante, l’effort de clarté, la masse des informations. Dans les limites que le dictionnaire s’assigne délibérément, il gagne son pari et atteint à la réussite.

Voir en ligne sur le site de l’éditeur Actes Sud

© Ralph SCHOR pour les services culturels de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 22/08/2017. Tous droits réservés.

Notes

[1Historien, Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Nice Sophia-Antipolis. Ancien Président de la Régionale APHG Nice.