Drancy, un camp en France Compte-rendu de la rédaction / Seconde Guerre mondiale

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Renée Poznanski, Denis Peschanski et Benoît Pouvreau, Drancy, un camp en France, Paris, Fayard-Ministère de la Défense, 2015, 297 p., 30 €, ill., index.

Il manquait un ouvrage de référence sur Drancy. Le voici. Cet ouvrage est remarquable sur le fond comme sur la forme. Richement illustré, parfaitement composé, d’une lecture que l’on qualifierait volontiers d’agréable si le sujet en était moins tragique, parsemé d’extraits de correspondances de l’époque, il fait l’histoire, non seulement du camp - qui est évidemment l’essentiel -, mais aussi du lieu, la cité de la Muette, en 7 chapitres, et toujours en liant son histoire propre et le contexte dans lequel sa construction, ses usages durant la guerre, jusqu’au plus dramatique, sa mémoire enfin d’inscrivent. Il était bon de rappeler que ce groupe d’immeubles, dans sa conception et son résultat - en particulier le fameux U auquel son image est associée -, était significative de l’urbanisme moderniste de l’Entre-deux-guerres. Il fallait aussi préciser que cet ensemble inachevé avait d’abord servi de lieu de regroupement de prisonniers de guerre français, puis de civils britanniques avant de devenir le camp des juifs et qu’il a été utilisé à la Libération comme le principal centre d’internement de « collaborateurs » de la région parisienne avant d’être fermé en septembre 1945. Mais les principaux chapitres ne pouvaient pas ne pas concerner les diverses phases de l’internement des juifs qui ont fait de Drancy, « le » lieu emblématique de leur déportation vers les camps d’extermination.

En effet, aux environs de 80 000 juifs, de tous âges, de toutes nationalités, hommes et femmes, sont passés par là, dont plus de 80 % vont finir, comme on le sait, à Auschwitz et autres lieux de mort. Ces diverses phases sont replacées – et justifiées – par les évolutions de la politique répressive et antisémite des occupants et de Vichy, puisque Drancy illustre de la pire des façons ce que Henri Michel avait appelé « la course poursuite à qui sera le plus antisémite ». En effet, l’initiative est toujours nazie, mais l’organisation, elle, est française entre les débuts du camp en août 1941 et juillet 1943, puisqu’il faut jusque-là affirmer sa souveraineté. Le camp est d’abord une réserve d’otages, entre son ouverture et juillet 1942, puis le « Drancy français de la solution finale », avant d’être pris en main par Aloïs Brunner en juillet 1943 et de devenir une sorte de camp de concentration à l’allemande modèle.

Pour chacune de ces étapes, de nombreuses indications sont données sur la vie quotidienne et les brutalités qui l’accompagnent souvent, les diverses catégories d’internés (par exemple les « déportables » et les « non déportables), l’organisation du camp, le personnel d’encadrement, notamment juif, les arrivées et les départs. La politique des Allemands et les clivages qui la parcourent sont décrits avec une grande clarté. Le dernier chapitre est consacré au devenir de cette cité qui préfiguraient les grands ensembles de l’après-guerre et à la mémoire du « camp des juifs ».

Ce développement montre que, dès la Libération, commémorations, associations et ouvrages l’ont entretenue et que, depuis lors, les projets de monument n’ont cessé de suivre les fluctuations de la « mémoire juive ». Il illustre, s’il en était encore besoin, combien le prétendu « oubli » de cette tragédie relève des idées reçues.

© Jean-Marie Guillon pour les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 03/06/2016. Tous droits réservés.