Du choix des focales (épisode 7) Chronique de l’Euro

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La Rédaction du site internet de l’APHG et d’Historiens & Géographes publie en plusieurs parties une tribune libre sur l’Euro de Football dont la 15e édition se déroule en France, du 10 juin au 10 juillet 2016... A suivre !
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Par François da Rocha Carneiro [1]

L’heure est à un premier bilan après une semaine de compétition. A l’heure où ces lignes sont écrites, le grand match est toujours attendu. Si les matchs sont généralement plaisants à regarder, aucun ne mérite pour l’heure de qualificatif autre que sérieux, pour ne pas dire gris. La période de fin de saison, où les joueurs sont fatigués par une année sportive très dense, n’est a priori pas la plus propice à la production d’un jeu de qualité. A cela s’ajoute le fait que tous les automatismes entre des footballeurs évoluant habituellement dans des clubs différents ne sont pas encore trouvés. La suite de la compétition doit permettre à un jeu plus fluide de se mettre en place et aux équipes les plus solides de « monter en puissance ». A peu d’exceptions près, peut-être l’Islande par exemple, les petites équipes vont par ailleurs disparaître de ce championnat en étant éliminées des phases de poule. Les rencontres pourraient y gagner en qualité, non que le football produit par ces Pinagot du ballon rond soit déplaisant mais parce que, dans leur rivalité avec l’élite continentale installée, ces équipes se montrent jusqu’alors particulièrement solides dans leur défense ce qui a pour effet de bloquer considérablement les attaques adverses.

Par un respect scrupuleux de la tactique adoptée par leurs sélectionneurs, les joueurs permettent à leurs "petites équipes" de ne pas subir de défaite trop lourde, font parfois douter les favoris et présentent ainsi un visage valeureux de leur football, où le courage semble avoir remplacé le talent au rang de valeur suprême.

Le jeu est donc assez agréable à regarder pour qui sait lire les schémas tactiques des matchs, mais reste encore peu séduisant. L’actualité de ce tournoi semble finalement ailleurs. Un début de polémique semble naître autour d’un possible geste déplacé d’un talent prometteur, controverse qui pourrait être vite avortée si d’autres sujets tombent sous la dent de ceux qui voulait la faire naître. Surtout, de jour en jour, d’heure en heure, la presse, audiovisuelle surtout, offre un voir l’évolution des méfaits des foules les plus violentes. La présentation médiatique du hooliganisme obéit à des processus similaires à ceux par lesquels les médias évoquent souvent les quartiers populaires ou, plus sporadiquement, les mouvements sociaux. L’effet de loupe y est particulièrement fort.

Pour que le téléspectateur, l’auditeur, éventuellement le lecteur novice comprenne ce qui se passe, le récit de la violence y est premier. On relate alors une scène de guérilla urbaine, en montrant s’il le faut la confrontation elle-même ou, à défaut d’images les plus impressionnants ou de sons les plus parlants, en illustrant le reportage d’illustrations a posteriori. C’est ainsi que les images de rues après la bataille, de sacs poubelles accumulés soit par l’afflux soudain de canettes, soit par la grève des techniciens spécialisés, ont inondé les télévisions pendant ces premiers jours. C’est à peine si l’Euro n’avait pas gagné là une odeur ! Parfois, certaines rédactions ont pu avoir accès à des images privées, obtenues auprès de quidams ayant filmé les scènes de loin, permettant alors de s’assurer que « quelque chose s’est passé », même si, finalement, le cœur du choc restait pour l’essentiel invisible. Quelques inadmissibles chaises volantes, quelques scandaleux coups de poings semblent alors résumer la compétition.

Après le récit de l’horreur, arrive la difficile réponse des forces de l’ordre. Les réactions de celles-ci sont alors présentées comme hésitant entre l’état de droit, ne pouvant pas arrêter quelque individu que ce soit sans méfait avéré, et l’état d’urgence, sous lequel ces images peuvent paraître incompréhensibles. Quelques témoignages de voisins dérangés, qui par les batailles de rue, qui par les foules avinées, qui par le bruit, agrémentent le tout. Le jeu lui-même passe au second plan, résumé généralement par le score, la diffusion éventuelle des buts et de rares phases supplémentaires lorsqu’il s’agit de l’équipe de France. L’analyse est alors abandonnée aux émissions spécialisées, où souvent les statistiques et les avis autorisés de faiseurs de dieux tiennent lieu d’expertises. L’acte violent marginal, la réponse des autorités, la gêne des riverains et enfin un rapide zoom sur la raison initiale (le match, le mécontentement social, la vie quotidienne en quartiers populaires), présentée avec le moins d’explications possibles, les ingrédients sont là pour une construction mentale efficace mais si caricaturale !

Evidemment, les actes de ces bandes organisées de hooligans ne sont pas en soi acceptables, comme d’ailleurs les agissements des casseurs ou les violences urbaines, mais, si on ne considère pas imbécilement qu’expliquer c’est déjà excuser, l’explication n’est-elle pas être préalable à la condamnation ? Surtout placer la focale sur les seuls excès en marge de la situation principale invite de fait à une lecture populiste des choses dans laquelle le quidam ne peut que jeter le bébé avec l’eau du bain, en ne voyant que sa partie la plus croupie !

A suivre...

© François da Rocha Carneiro - Tous droits réservés. 15 juin 2016.

Voir en ligne :

© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 15/06/2016. Tous droits réservés.

Notes

[1Secrétaire général adjoint de l’APHG, Membre de la Rédaction d’Historiens & Géographes, « chronique sportive ».