EDITORIAL : Face aux incertitudes Historiens & Géographes n°467

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Par Joëlle ALAZARD [1]

Qu’il me soit permis, en ce retour de vacances où nous attendons – depuis bientôt deux mois – qu’un nouveau gouvernement soit nommé, de vous souhaiter une bonne rentrée. Que cette nouvelle année scolaire soit fructueuse pour les enseignants comme pour les élèves ; qu’elle nous épargne les déclarations à l’emporte-pièce sur le rétablissement de l’autorité, les réformes à la hussarde, l’instrumentalisation de l’école au nom de la communication politique. Formulons le souhait d’une année plus apaisée que les précédentes, marquée par l’écoute, la prise en compte des remontées de terrain, le soin de l’école publique. Au-delà, espérons une année sans cabale sur les réseaux sociaux, sans agression filmée, sans suicide sur son lieu de travail, une année sans collègue à pleurer, sans choc à encaisser ; une année où nous pourrons, sans être régulièrement remis en question voire dénigrés dans les médias, nous concentrer sur notre métier, nos classes, la transmission des connaissances et des méthodes, pour la progression et la réussite de tous nos élèves.

Une rentrée inédite… et un budget à l’os

Tandis que le Président de la République nous plonge dans une crise politique sans précédent qui lui permet en outre de mettre en scène son pouvoir en tergiversant sur le nom du futur locataire – de la future locataire ? – de Matignon, notre rentrée se déroule sous le signe de l’incertitude, voire de l’inquiétude. En effet, comment concilier les ambitions régulièrement affichées pour l’école – ah, les beaux slogans ! – avec la réalité des moyens singulièrement diminués ? Continuera-t-on de nous promettre, la main sur le cœur, une école plus inclusive et plus accueillante avec un budget de l’Éducation nationale amputé de 700 millions d’euros au printemps dernier… et reconduit à l’identique pour l’année qui vient ? Partout, dans l’enseignement public, loin d’être choyés, nous sommes à l’os.

Le problème perdurera tant que nos autorités persisteront à considérer les dépenses éducatives comme des coûts, et non comme des investissements inhérents au contrat social et garants de bénéfices pour tous. L’on finit même par se demander, notamment pour les filières professionnelles, si elles ne cherchent tout simplement pas à entrer dans un cycle de démassification scolaire. En promouvant l’apprentissage dès la sortie du collège et en fermant de nombreuses classes en lycée pro, de nombreux adolescents, trop tôt classés dans la catégorie des jeunes travailleurs, se retrouvent privés du socle d’enseignement général susceptible de leur permettre de suivre des études supérieures ou même d’effectuer de belles carrières au sein de leur filière. Assurément, les enquêtes racoleuses jetant le discrédit sur le manque de culture historique des « jeunes » ont de beaux jours devant elles. Car si enseignants et élèves ont bel et bien regagné quelques heures de cours l’an dernier, le nombre de semaines de stage en entreprise a lui aussi progressé : le gain hebdomadaire, lissé sur le nombre d’heures annuel, est ainsi quasiment nul.

À l’heure où la population semble de plus en plus fragmentée, où le séparatisme scolaire fait rage alors que l’école constitue l’un des rares leviers pour créer du commun, pourquoi refuser de parier sur des politiques scolaires qui renforceraient, de manière volontariste, la mixité et la cohésion sociale ? Même la ministre, lors de sa conférence de rentrée du 27 août, a jugé la situation alarmante, demandant à ce que le budget alloué à ce ministère soit désormais sanctuarisé. Après les effets d’annonce, la perspective d’une revalorisation des salaires semble s’éloigner, inéluctablement. Elle est pourtant la seule manière de remédier décisivement à la terrible crise du recrutement, véritable serpent de mer, qui frappe le métier et qui constitue, de rentrée en rentrée, l’urgence des urgences.

Des chantiers en suspens

Le maintien du gouvernement démissionnaire laisse par ailleurs de nombreux chantiers en suspens. De la mise en place du « choc des savoirs » résulte ainsi un flou artistique du plus bel effet sur les « groupes de besoin » voulus par la ministre, qui seront peut-être, là où les enseignants ont le moins résisté, les « groupes de niveaux » souhaités par Gabriel Attal, et qui dans tous les cas auront été mis en place au profit d’autres dispositifs offerts aux élèves. Les nombreuses remontées de terrain des adhérents montrent la variété des solutions adoptées (suppression de dédoublements, disparition du latin, fin d’une pratique artistique jusque-là proposée aux élèves), alors que plus de 80% des collèges ont vu leurs moyens chuter.

Les enseignants de collège n’ont par ailleurs aucune nouvelle des épreuves de brevet qui devaient être modifiées : les textes, au 1er septembre, ne sont toujours pas publiés. On ne sait d’ailleurs plus si le brevet, qui devait constituer un couperet pour l’entrée en seconde, le sera, tandis que les « prépas seconde », qui devaient accueillir les élèves n’ayant pas décroché leur brevet, sont bien peu nombreuses. Apprendrons-nous la publication des textes attendus par les réseaux sociaux ? Par la presse ? Et pour les élèves ayant accepté d’aller dans cette « prépa seconde », quand ils n’ont pas obtenu leur brevet, leur dira-t-on finalement que le brevet n’est plus obligatoire pour passer en seconde ?

Qu’en sera-t-il, enfin, de la réforme de la formation initiale des enseignants ? Si nous nous félicitons, comme de nombreuses sociétés du supérieur, que ce chantier qui devait placer le CAPES à bac +2,5 ait été suspendu, nous craignons que la réforme ne soit pas tout à fait enterrée : consentirons-nous, à l’heure où les discours complotistes, les vérités alternatives et les fake news requièrent une formation solide face aux élèves, à tirer un trait sur la formation disciplinaire des étudiants qui se destinent à l’enseignement ? La large mobilisation, avec un soutien inattendu venu du ministère de l’économie… refusant d’augmenter les enseignants stagiaires, semble avoir porté ses fruits mais restons vigilants et continuons à prôner le retour à un système plus sage qui a longtemps fait ses preuves, celui d’un CAPES préparé en un an après l’obtention de la licence, avec de vraies épreuves disciplinaires aux écrits comme aux oraux.

Parce que l’APHG rime avec solidarité

Alors que plus de 1600 nouveaux adhérents ont rejoint nos rangs l’an dernier, contribuant à renforcer notre représentativité, j’aimerais également écrire quelques mots, dans cet éditorial de rentrée, sur ce qu’est devenue l’APHG et sur les prochains événements que nous organisons. L’association des professeurs d’histoire et de géographie, régulièrement consultée ou reçue (nous avons ainsi une audition devant le Conseil supérieur des programmes le 26 septembre prochain) est une ruche dans laquelle s’affairent de nombreux bénévoles, enseignants de terrain qui se réunissent fréquemment, dans les régionales comme lors des réunions nationales, en présentiel ou en ligne, pour organiser des événements scientifiques, pédagogiques et conviviaux autour de l’histoire-géographie. Convaincus que nos savoirs scolaires doivent être continuellement irrigués par les travaux universitaires pour maintenir le niveau de formation du corps professoral, mieux transmettre et conserver des ambitions scientifiques et pédagogiques pour tous les élèves, nous vous proposons cet automne trois événements d’envergure dont vous pourrez très vite trouver le programme sur notre site, avec des remerciements pour tous les organisateurs : une journée sur le conflit israélo-palestinien à Sciences-Po Lille le 28 septembre, deux journées de formation « Armées et territoires » à Thionville les 15 et 16 novembre et, le samedi 7 décembre, une journée organisée avec Parlons démocratie sur l’État des libertés en France.

Parce que la solidarité n’est pas un vain mot, nous œuvrons aussi à soutenir toutes celles et tous ceux qui passent un concours : alors que Martin Rocher, étudiant normalien en master d’histoire organisera un cycle de six cafés pour les khâgneux qui planchent sur le beau programme « Exilés, réfugiés, étrangers en France de 1848 à 1986 », Nassimo Berland, Emmanuelle Gord et Claire Gauthier animeront un grand cycle destiné aux candidats du CAPES et des agrégations. Alors que l’opération « Coup de pouce pour l’agreg interne » rentre dans sa troisième année – merci à Camille Lambin, Hélène Lanusse-Cazalé, Laureen Parmentier, Aurélie Tinard, Olivier Erudel, Anthony Guyon et Florian Nicolas pour notre joyeux copilotage, nous avons aussi lancé, sous la houlette de Stéphane Dupont, Marie Digout et Marine Sorano, une opération similaire pour le Capes interne. Parce que nous avons été profondément affectés par l’assassinat de Samuel Paty, trois ans avant qu’un nouvel assassinat par un islamiste ne coûte la vie à Dominique Bernard, nous avons également fondé un prix qui porte, avec l’accord de la famille, le nom de notre collègue défunt. Remis cette année encore dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, le 19 octobre prochain, il promeut les projets de classe en EMC comme les appréciait notre collègue du Bois d’Aulne, autour d’un thème annuel (thème du concours 2025 : « Comment règles et lois nous protègent-elles de l’injustice ? »).

Mais l’APHG, c’est aussi un site avec de nombreuses ressources, dont les fameuses « Fenêtres sur cours » mises en ligne par notre vice-Président François da Rocha Carneiro, des webmestres réactifs – merci à Céline Delorge, Camille Lambin, Frédéric Claeyman et Olivier Erudel – et une revue fondée par des professeurs pour des professeurs, Historiens & Géographes. Outil de notre indépendance – rappelons que nous ne vivons que de vos adhésions et abonnements pour conserver notre liberté – elle est dirigée avec maestria par notre cher secrétaire général et rédacteur en chef Philippe Prudent, assisté de deux nouveaux rédacteurs adjoints, Elena Pavel et Ivan Burel : que nos trois collègues et amis soient publiquement remerciés pour le travail accompli dans le désintéressement le plus total, au profit du collectif et des abonnés de plus en plus nombreux, qu’ils soient étudiants ou enseignants.

En espérant vous croiser à Saint-Dié, à Blois ou lors de nos nombreux évènements et en vous renouvelant, au nom du bureau national de l’association, nos vœux de rentrée,

Associativement vôtre,

Joëlle Alazard

Lille, le 1er septembre 2024

Sommaire en ligne du n° 467 de la revue Historiens & Géographes

© La Rédaction d’Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 15 septembre 2024.

Notes

[1Présidente nationale de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie – APHG. Professeure d’histoire en khâgne au Lycée Louis-le-Grand (Paris).