ÉDITORIAL : Le vent des pages Historiens & Géographes n° 461 (parution le 28/02/2023)

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Par Franck Collard. [1]

Le vent des pages.

Appellation parfois donnée à des librairies de quartier, le vent des pages, outre qu’il renvoie au mois révolutionnaire durant lequel paraîtra cet ultime éditorial de ma plume, correspond précisément à la circonstance : des pages qui se tournent, par l’œuvre de divers souffles, d’autres qui s’ouvrent, que leur blancheur défend, d’autres encore à marquer dans un monde où n’être pas à la page condamne au périclitement, mais en premier lieu, surtout, les pages de cette belle revue « Historiens & Géographes » qu’on se plait à savourer, dans un ordre de lecture propre à la fantaisie de chacun, avant de la refermer dans l’attente de la livraison suivante.

Une page se tourne

Ouvrir ce n° 461, c’est d’abord avoir une pensée emplie de gratitude pour celui qui l’a bouclé avec la même minutie et le même perfectionnisme que pour la vingtaine de livraisons dont il a eu la responsabilité, après avoir pris crânement la suite du rédacteur-en-chef à qui la revue et l’APHG étaient depuis des années associées, Hubert Tison, frappé par la maladie. Toutes nos pensées vont à lui à chaque assemblée de l’association. C’est avec méthode et résolution mais aussi avec l’énergie de la jeunesse et la prudence du pragmatisme que Marc Charbonnier avait accepté une lourde charge qui l’a passionné, habité même, mais aussi accaparé en toute saison, voire fatigué contre toute raison. Maîtrisant, impavide et courtois, toutes les étapes de la chaîne de production, depuis la conception intellectuelle, certes partagée avec le comité de rédaction, jusqu’à la fabrication, en passant par le respect des obligations légales et les cruciales problématiques de trésorerie, exigeant de faire mieux en moins de pages, de donner plus en moins coûteux, Marc a déployé magistralement des talents multiples pour remplir un cahier des charges particulièrement lourd tout en exerçant ses activités enseignantes. La rénovation de la publication, forme et fond confondus, ses extensions numériques, son enrichissement de rubriques nouvelles sont largement de son fait. Grâces lui soient rendues, nous lui sommes tant redevables ! Il a d’autre part été un secrétaire général adjoint puis de plein exercice à la présence grave et pondérée aux rencontres avec les Autorités, à l’implication infatigable dans les nombreux partenariats de l’association, à l’engagement entier dans les manifestations scientifiques et culturelles de Blois à Saint-Dié en passant par Pessac ou Perpignan. Sa connaissance prodigieuse des statuts, sa mémoire de patriarche aux dehors juvéniles du passé de l’APHG, sa grande familiarité avec le tissu associatif en ont fait un acteur cardinal du Bureau National et une référence obligée quand quelque incertitude réglementaire, quelque hésitation organigrammatique, quelque imbroglio de fonctionnement se présentaient. Des motifs qui n’appartiennent qu’à lui ont engendré le souhait de donner une nouvelle orientation à sa carrière au sein de l’Éducation nationale, une certaine fatigue après des années intenses et parfois heurtées a joué aussi pour ainsi conduire Marc à prendre – douloureusement – ses distances avec une association à laquelle il a tant donné, à laquelle il reste tant attaché. Il aura été pour pour l’APHG un gond d’airain et pour la revue un maestro à la hauteur de son prédécesseur.

Une page se tourne aussi à la trésorerie avec le départ de Max Auriol et Brice Boussari. Leurs longs, bons et loyaux services appellent également d’immenses remerciements. Extérieur au monde enseignant, l’esprit alerte, clair et direct, Max a mis au service de l’APHG sa grande expérience associative, son agilité financière et sa vision pragmatique des choses. Ses rudoiements, ses impatiences ont reflété tout le prix qu’il accordait à la santé matérielle de l’association ; son analyse fine mais implacable de ses faiblesses, de ses errements, de ses marges de progression ont beaucoup fait pour la mettre sur les rails d’une nouvelle efflorescence. Homonyme du grand argentier du Front Populaire, Max Auriol aura été un trésorier lucide, inventif et résilient. Présider à ses côtés a été d’un grand enrichissement, au sens purement intellectuel s’entend. Total respect.

D’autres membres du Bureau national à un moment ou à un autre de cette présidence achevée ont marqué bien de l’engagement et de l’enthousiasme dans les domaines ô combien cruciaux du numérique ou de l’enseignement professionnel. Les personnes se reconnaîtront. Mais ainsi vont les associations qui perdurent parce qu’elles savent changer, sans tout changer.

…mais la page n’est pas tournée

Le temps est arrivé, selon une respiration démocratique bienvenue, d’un nouveau Conseil de gestion et d’un nouveau Bureau national. Au passif du président passé, entre mille autres motifs d’insatisfaction, l’insuffisante implication des collègues universitaires. Il faut dire qu’en se retirant lui-même du Conseil de gestion, il a montré quelque incohérence entre les exhortations lancées, en vain, à ses consœurs et confrères de l’alma mater et la décision de ne pas s’y représenter. Heureusement, un certain rajeunissement a marqué le scrutin de décembre 2022, mais la réticence à s’engager des enseignants de l’université dans les instances associatives nationales est regrettable, même si beaucoup d’entre eux n’hésitent pas en revanche à beaucoup s’impliquer dans des projets scientifiques proposés par l’APHG. Le nouveau Bureau national se ressent de ce reflux. En rupture avec une tradition à laquelle il n’avait jamais dérogé, il ne compte plus d’universitaires. D’aucuns s’en inquiéteront, d’autres s’en réjouiront au nom du fait que la grande majorité des adhérents appartient au secondaire et qu’ainsi la direction de l’APHG s’est mise en adéquation avec sa composition. Coupons court aux passions tristes et réjouissons-nous plutôt de l’avènement à la présidence d’une femme jeune encore, la deuxième seulement de l’histoire de l’APHG à remplir ces fonctions, d’une figure éminente des CPGE, d’une personnalité forte, indépendante et déterminée, imaginative et rigoureuse, créative et vigoureuse, au bilan impressionnant à la vice-présidence de l’association qu’elle a plus que tout autre puissamment contribué à relancer, à redimensionner, à revitaliser au prix d’un travail incessant empreint d’un volontarisme salutaire. Pleinement consciente des enjeux et des écueils, elle saura porter haut l’image de l’APHG et défendre nos intérêt dans une subtile alchimie de modernisation et de fidélité aux traditions et aux valeurs qui sont les nôtres. Produit de l’élitisme républicain, éprise de l’idéal d’émancipation par l’École et par l’instruction, la présidente Alazard a tous les talents pour réussir sa mission. Elle pourra compter sur une équipe formée de figures confirmées, visages et voix connus de l’association, et de nouveaux arrivants stimulés par l’ampleur et la noblesse de leur tâche. De toute notre amitié, nous leur souhaitons bonne chance, avec un appui tout particulier au nouveau rédacteur en chef de la revue, publication si magnifique et si fragile.

Mais tourner une page n’est pas tourner la page. De toutes et tous, on peut attendre sans craindre d’être déçu la poursuite du renouveau dans la fidélité aux traditions, la recherche du consensus dans le respect du pluralisme, le sens du collectif et la promotion des talents, l’impulsion bienveillante et l’écoute des Régionales, une parole forte à porter à l’Institution ainsi que des propositions raisonnables et nuancées qui n’édulcorent ni n’exagèrent la situation éducative. S’il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer, gageons que, donnant tort à Guillaume d’Orange, celui de la Glorieuse Révolution, pas de la geste carolingienne, la présidente que s’est donnée l’APHG et son bureau réussiront justement parce qu’ils ne désespèrent pas et persévèreront d’autant mieux dans leurs entreprises qu’elles seront couronnées de succès.

Être à la page

Ce n’est pas que la tâche s’annonce facile. Pour prospérer, une association comme l’APHG doit être à la page. Dans le sens non pas d’être à la dernière mode ou à la remorque des dernières innovations de l’intelligence artificielle comme des dernières injonctions inclusives, mais d’être parfaitement à jour des nouveautés qui surgissent en matière de technologie numérique, en matière de communication et de diffusion, en matière de production scientifique. Elle a pris résolument mais prudemment le tournant dans le premier domaine, elle a fourni de très grands efforts pour être réactive et visible sur les réseaux sociaux, elle assure une veille sur les grands débats historiographiques ou géographiques et sa revue recense les livres importants. L’APHG a su aussi se mettre à la page de la jeune recherche. Qu’elle continue d’ouvrir les colonnes d’Historiens & Géographes aux frais docteurs (mon masculin est toujours inclusif), en associant en toute horizontalité les trentenaires aux projets scientifiques, voire en leur en laissant l’initiative, en promouvant aussi les expériences didactiques et pédagogiques qui viennent des générations en phase avec les mutations du système. Être à la page, c’est aussi sentir ou anticiper les besoins nouveaux des collègues sans sacrifier pour autant l’impératif de formation continue dans le cadre des journées des régionales ou du national, sans renoncer à la mission d’aide aux candidats aux concours à travers les bibliographies, les journées d’étude, les publications d’ouvrages estampillés APHG, heureuse innovation redevable à l’impulsion de la nouvelle présidente. À côté de la revue et du site, elle matérialise dans les librairies l’action inlassable de l’association. Être à la page, enfin, c’est suivre de très près l’actualité du monde éducatif pour y jouer un rôle de lanceur d’alerte et de producteur de propositions en restant des interlocuteurs obligés des acteurs institutionnels comme des médias. C’est prendre une part aux débats sur l’École, sur ses missions qui se brouillent et sur ses déficiences qui s’accusent, c’est s’exprimer sur la condition des professeurs, sur la nature et l’honneur de leur métier en grave risque de déclassement si on laisse se poursuivre les processus en cours, sur les réalités de leur formation initiale et de leur recrutement. S’adapter à l’époque sans en adopter les délires ni transiger avec certaines valeurs, tenir compte du réel sans s’interdire de le faire évoluer, se faire entendre et respecter sans mauvais procès ni invectives, voilà ce que l’APHG s’est efforcée de faire ces six dernières années marquées par des événements graves ou tragiques qui lui ont donné l’occasion de montrer sa réactivité et son utilité. Avec, dans la nouvelle équipe présidentielle, la présence de celles qui ont œuvré sans désemparer à la création et au bon déroulement du prix Samuel-Paty, pour que jamais ne soit tournée la page de son assassinat, l’association sera au rendez-vous de ses devoirs.

Tourner les pages d’une revue en renouveau

Dans les tourments du monde, où la guerre, la falsification, l’obscurantisme, le dévoiement des causes progressistes par des revendications regrettablement régressistes qui laissent pantois et desservent les combats légitimes à mener pour la parité, la tolérance ou la planète, dans une conjoncture éducative des plus sombres où les Autorités refusent d’entendre la plainte des enseignants devant des réformes nuisibles qui les mettent non seulement en difficulté mais aussi en souffrance, et pour une durée de peine allongée, sans parler du tort qu’elles causent aux élèves et des « opportunités » en or qu’elles offrent au secteur marchand, alors que des actes d’agression et de contestation se produisent toujours contre la personne et l’autorité des professeurs, qu’il fait bon de tourner les pages de la revue papier et d’en sentir le vent léger, même si les sujets abordés sont graves puisqu’ils touchent aux conflits et à leurs mémoires à faire connaître aux élèves par de multiples voies, dont les concours scolaires, pour autant qu’il reste du temps et de l’énergie à leurs professeurs encore désireux de s’impliquer dans cette énième tâche bénévole. Très orientée Défense, cette livraison rappelle que, bien qu’éprise d’un pacifisme fondamental et quoique allergique à tout esprit cocardier, l’APHG n’oublie pas le rôle des maîtres dans la sensibilisation des élèves aux enjeux internationaux et à l’engagement patriotique au service de la préservation de la souveraineté et de la liberté nationales. Le regard impérativement critique qu’on doit avoir sur l’histoire des armées et sur celle des conflits contemporains ne doit pas conduire à négliger la dimension civique de l’apprentissage de la chose militaire. La spécialité HGGSP y invite du reste. Consultée par le ministère compétent, l’APHG a demandé qu’une reconnaissance concrète de leur tâche soit accordée aux référents Défense des lycées.

Ce n° 461 d’Historiens & Géographes est donc le dernier du rédacteur en chef comme du directeur de la publication. L’aventure fut belle et intense, la confiance totale, l’amitié sincère. Souhaitons à Marc Charbonnier toute la réussite dans ses futures activités, à la revue un brillant avenir et à la nouvelle équipe dirigeante l’épanouissement de tous ses talents dans la concorde, le désintéressement et le dévouement à la maison commune des géographes et des historiens, on ne se lassera jamais de cette formule, qu’est l’APHG.

Reims, le 10 février 2023

Sommaire en ligne du n° 461 de la revue Historiens & Géographes

© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes - Tous droits réservés. Février 2023. Mise en ligne le 17 mars 2023.

Notes

[1Président national de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie - APHG. Professeur en Histoire médiévale à l’université de Paris-Nanterre.