ÉDITORIAL : Non, ça ne va pas mieux ! Historiens & Géographes n° 435

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La maison construite avec la salive ne résiste pas à la rosée - Proverbe africain.

Par Bruno Benoit [1]

Chères et chers Collègues,

Cet éditorial vise à exprimer des réflexions qui vont accompagner la rentrée 2016 dans les collèges avec la mise en place de la réforme. Je n’oublie ni les lycées, qu’ils soient d’enseignement général ou professionnel, où là-aussi se posent questions d’horaires et de programmes, ni les universités et surtout les facultés de lettres confrontées à des difficultés financières, ni les écoles primaires où la formation des professeurs des écoles en Histoire et Géographie laisse à désirer. Dans cet esprit, j’égrène au fil des lignes qui suivent quelques idées qui sont nées à l’ombre d’une chaude après-midi d’août 2016.

EÉRTNER

Quel drôle de mot ! Que signifie-t-il ? Tout simplement « rentrée ». J’ai volontairement écrit à l’envers le mot "rentrée" car celle qui est mise en place pour le collège à la rentrée 2016 crée un environnement scolaire sans dessus-dessous. En effet, la rentrée 2016 est, pour le collège, une rentrée à risque pour les élèves et pour les professeurs. Il n’y a que ceux et celles qui sont loin des classes de collège qui semblent ignorer la situation qui s’annonce. À cette rentrée, il va falloir jongler entre EPI « miraculeux » et horaires « désastreux ». Avec cette rentrée, chaque professeur de collège devra avaler quatre programmes, façon fast-food pédagogique, s’il a la malchance d’avoir les quatre niveaux. Cette rentrée a donc lieu avec encore une nouvelle réforme, non vraiment maîtrisée, et ce, au nom de l’amélioration de l’enseignement, de la lutte contre les inégalités, de la guerre déclarée à l’élitisme.

Non, ça n’ira pas mieux dans les collèges en 2016-2017, car cette réforme n’a pas été testée, est imposée de façon autoritaire et, surtout, ne correspond nullement à une amélioration pédagogique. Il serait bon que l’opinion publique, parents d’élèves en tête, le comprenne car il en va de la formation des futures générations qui accèderont à la vie active dans une dizaine d’années. La réforme étant globale, l’histoire et la géographie, comme les autres matières, sont prises dans cette tornade pseudo-réformatrice.

HUBRIS

Ce terme désigne la démesure, soit le contraire de la bonne gestion, de l’équilibre, de la sagesse. C’est le Ministère de l’Éducation nationale, qui depuis 2012, est porteur d’HUBRIS. Or, l’HUBRIS conduit à l’aveuglement et non à une démarche porteuse d’améliorations pour tous les acteurs du monde enseignant qu’ils soient élèves, professeurs, voire administrateurs.

L’HUBRIS s’oppose à la notion de respect pour ceux et celles avec qui on travaille, à rapports apaisés entre professeurs et administration centrale, à écoute mutuelle, à prise en compte du réel, à recherche de solution satisfaisante pour tous…

HUBRIS réside dans le fait que malgré toutes les entrevues faites depuis plus de quatre ans, la démesure n’a jamais quitté le discours officiel, ce qui s’est traduit par un véritable refus d’un dialogue authentique qui a été remplacé par une parole officielle disant le vrai. L’APHG a proposé - relire notre revue depuis quatre ans - mais n’a pas été entendue.

HUBRIS car le Ministère est parti de l’idée que les professeurs, en agents d’exécution qu’ils devraient être, appliqueraient la réforme sans s’interroger sur son bien-fondé, c’est-à-dire sur ses objectifs réels. Au fait, quels sont-ils ?

HUBRIS dans le discours habillé pédagogiquement alors que la réalité est politique. Où est la pédagogie dans cette réforme ? Dans la baisse des horaires ? Dans les EPI ? Dans les compétences ? Dans le calendrier brutal de la rentrée 2016 ?

HUBRIS qui tient à la très mauvaise communication du Ministère qui pense que les professeurs, en particulier ceux d’Histoire et de Géographie, prendraient les vessies réformatrices pour des lanternes pédagogiques. Nenni ! Nos matières nous ont appris à débattre, à commenter, à comparer, à être des citoyens responsables.

HUBRIS en mettant en avant le travail en commun lors des EPI comme réponse au malaise du collège, sans penser qu’un travail collectif de qualité ne peut reposer que sur une maîtrise parfaite de sa discipline. La démesure vient du fait qu’une parfaite maîtrise de la discipline n’est pas ce qui est mis en avant par le Ministère, il suffit de penser à la place accordée au scientifique dans les concours de recrutement.

L’HUBRIS du Ministère va à l’encontre de la devise de la République, devise qui se décline en liberté, égalité, fraternité. La liberté est fondée sur le respect mutuel ce qui l’éloigne de la démesure qui est une démarche personnelle, l’égalité, en valorisant le dialogue fondé sur la confiance, est tout le contraire de la démesure qui affirme sans écouter, quant à la fraternité, parce qu’elle porte en elle l’altruisme, lutte contre la démesure.

Avec l’HUBRIS, ça ne peut aller mieux. C’est mentir que penser que la réforme mise en place en 2016 dans les collèges rendra les élèves plus performants, permettra d’augmenter les vocations pour le métier d’enseignant, fera reculer l’ennui - si ennui il y a - en classe, chassera le malaise qui affecte profondément le corps des professeurs. Mesdames et Messieurs les décideurs, écoutez-nous et ça ira mieux.

CONTRADICTIONS

En effet, la réforme a été faite au nom de la réduction des inégalités sociales, territoriales ou encore culturelles, alors que le constat qui ressort, avant même la mise en place de la réforme et ce confirmé lors d’un entretien en haut lieu, est qu’il y a un risque à accentuer les inégalités territoriales, que ce soit entre le rural et l’urbain, entre banlieues et centre-ville, entre un collège et un autre, c’est- à-dire un risque d’augmentation des inégalités sociales et culturelles et qui comme d’habitude concernera, en premier, les élèves des milieux les plus fragiles.

La contradiction réside, face à la multiplication des attentats qui portent atteinte au consensus républicain, dans le fait que sont mis en avant les principes fondateurs de la démocratie française par les autorités de la République et que, parallèlement, rien n’est fait sur le terrain pédagogique pour que ces principes fondateurs soient relayés dans les classes, devant les élèves par les professeurs, en particulier d’Histoire et de Géographie qui sont, à l’image des canuts de Lyon, « tous nus en horaire » !

En lisant la presse après le Brexit, je découvre à la Une du Monde du 6 juillet 2016 que le Premier Ministre pour attirer la finance mondiale à Paris « a promis baisse de l’impôt sur les sociétés, exemptions fiscales pour les étrangers qui s’installeront à Paris, multiplication des classes bilingues… ». Curieusement, il n’a pas promis de supprimer les EPI !

Non, ça ne va pas mieux, parce qu’une réforme doit être conduite avec l’assentiment de ceux et celles qui sont concernés. Une réforme républicaine doit apporter plus de liberté, plus d’égalité, plus de fraternité et non être porteuse de fractionnements et de tensions.

QUESTIONNEMENTS

Ceux-ci sont inspirés par la perspective électorale de l’année 2017, cette année revêtant en démocratie et surtout en Ve République, une importance particulière, puisque la campagne présidentielle est l’occasion de formuler des doléances et celles-ci sont nombreuses pour l’APHG. Déjà en 2012, l’APHG avait utilisé l’élection présidentielle pour faire passer des messages aux candidats, en particulier sur le rétablissement de l’Histoire et Géographie en TS et cela avait abouti. L’APHG ne renonce pas à cette démarche de démocratie directe qui lui est donnée d’avoir à partir de la rentrée 2016.

L’APHG, reconnue association d’intérêt général [2], s’interroge sur la place réelle que les gouvernants, de Gauche comme de Droite, accordent à l’Histoire et à la Géographie dans la formation des enfants de France de l’école primaire au lycée. Si l’Histoire, ce qui n’est pas le cas de la Géographie, est instrumentalisée par le pouvoir politique, elle est de plus en plus marginalisée, avec la Géographie, dans les horaires qui lui sont attribués durant tout le cursus scolaire. Cette marginalisation ne correspond ni à un mieux vivre ensemble, ni à la formation d’un esprit civique qui se révèle aujourd’hui de plus en plus indispensable. C’est pour cette raison que l’APHG demande d’une façon claire que l’EMC soit attribuée officiellement aux professeurs d’Histoire et de Géographie.

L’APHG demande donc aux candidats à l’élection présidentielle à avoir, non un discours, mais une réelle politique en faveur de nos matières qui sont fondatrices de la devise républicaine. Multiplier les postes est une chose, réduire les horaires en est une autre et celle-ci ne va dans le bon sens. L’opinion doit être alertée sur cette situation déplorable que chaque professeur d’Histoire et de Géographie, et ce jusqu’à l’Université, constate en lisant et corrigeant les copies de ses élèves / étudiants.

Heureusement que pour l’APHG, il y a des motifs de SATISFACTION...

• Dans ce climat peu propice à un moral d’acier, l’AGORA d’Amiens, compte tenu des inscriptions en cours et à venir, sera un beau succès. Les collègues sont au rendez-vous, car le programme est alléchant, varié, avec un plateau d’intervenants de premier ordre et, le tout, accompagné de sorties de qualité. Savoir organiser des réunions à la fois scientifiques et festives est la preuve de la bonne santé de l’APHG. Avant l’AGORA d’Amiens qui commence le mercredi 19 octobre, l’APHG est bien représentée aux festivals de St-Dié ou de Blois début octobre. [3]

Le site de l’APHG est de plus en plus visité, car il est régulièrement alimenté, ce qui permet à nos membres et à tous les collègues d’y trouver ressources, informations pratiques, et communiqués.

Je tiens à rappeler que l’APHG étant une association loi de 1901, elle n’a pas à prendre de positions partisanes, mais elle accepte le débat d’idées argumentées de façon scientifique qui peuvent prendre place dans une tribune. Elle ne refuse pas, sachant que ses matières sont au sens noble du terme des matières politiques, la contradiction, mais elle n’a pas à faire l’apologie de tel ou tel système. La parole est libre, mais respectueuse ; la parole est donnée à tous et à toutes si elle fait avancer la réflexion, la connaissance ; la parole a le droit de dénoncer un abus concernant un fait historique ou un territoire géographique si ceux-ci sont malmenés ou déformés. L’APHG est fille des Lumières et, en cela, elle accorde beaucoup de sens aux notions de liberté, tolérance, respect mutuel.

L’APHG a une revue qui publie des dossiers de haute tenue scientifique. C’est pour cette raison que cette revue continuera à être publiée sous forme papier, mais qu’elle aura bientôt une diffusion numérique. [4]

© Bruno BENOIT
Président de l’APHG

Lyon, le 24 août 2016

INFORMATION : CHANGEMENT DES COTISATIONS À PARTIR DU NUMÉRO 436

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© Les services de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes n° 435 - Tous droits réservés. Paris, le 22 septembre 2016.