Cet éditorial énumère trois pistes de réflexion. La première évoque le fondement de la réforme qui a occupé beaucoup de temps de ma présidence. La seconde précise la question du récit en Histoire qui a fait couler pas mal d’encre. Enfin, la dernière évoque les exigences, et non plus doléances, que nous formulons dans le cadre des élections présidentielles.
À propos de la réforme
1 - La réforme du collège, appliquée brutalement, a provoqué un choc structurel auprès des formateurs (pas tous !), des élèves (car au contraire de ce qui est annoncé, l’élève n’est plus au Centre), des professeurs (en les divisant) et des parents d’élèves (plongés dans la plus grand incompréhension). Son résultat ne peut donc qu’être très en-deçà des attentes. En effet, une bonne réforme est une réforme que les différents acteurs s’approprient, c’est-à-dire qu’ils comprennent, acceptent et appliquent de façon volontaire.
2 - La réforme est chronophage car tout ce qui est mis en place, en particulier l’imbrication des démarches, demande un investissement temps. Dans une perspective de « réforme durable », ce qui devrait être l’objectif d’une « pédagogie écologique », tout le monde doit être gagnant. Or, que gagnent les enseignants ?
3 - Cette réforme entraîne une inversion de la posture de l’enseignant, puisqu’il est amené à mettre en avant les compétences et non plus les connaissances, celles-ci étant, aux dires des pro-réforme, faciles à acquérir via les tablettes ou les smartphones !!!! Si l’acquisition de compétences a son utilité, la construction d’une personnalité commence par l’acquisition et la maîtrise de savoirs.
4 - La place tenue par le Conseil pédagogique et par le chef d’établissement en collège font que la réforme emprunte une voie décentralisatrice, chaque établissement fixant sa mise en place, ses EPI et sa manière d’évaluer, ce qui fait que cela rompt le pacte républicain d’unité territoriale et contribue, à sa manière, au choc structurel pour les élèves et les parents d’élèves. Il y a donc un constat de parcellisation et non d’unification, ce qui est facteur d’inégalités.
À propos du récit en Histoire
Depuis le dernier débat de la primaire de la Droite et la victoire de François Fillon, la question du récit en Histoire est revenue au premier plan et a suscité de nombreuses polémiques quant à la notion de « récit national ». L’APHG a produit un communiqué largement repris par les médias nationaux [2] qui a révélé que l’APHG n’est pas une vieille dame endormie, mais une association réactive et qui est écoutée et entendue. En tant qu’historien, quels sont les rapports entre Histoire et récit ?
Avant de revenir à cette question, qu’en est-il du récit en Histoire ? Parce qu’il est au cœur même de la démarche historique de Thucydide à Braudel en passant par Michelet, il appartient au quotidien des professeurs d’Histoire et de Géographie. Le récit met en perspective des événements, des hommes, des femmes, des textes, des époques et sert de lien entre tous les acteurs de la trame historique. C’est par le récit que le professeur construit sa progression, c’est par le récit que le professeur captive ses élèves, quel que soit leur âge, c’est par le récit qu’il fait valoir sa problématique aux dépens de la simple accumulation de connaissances. Par le récit, l’Histoire est !
Il est fondamental de bien préciser que le récit, architecture de la démarche historique, n’a rien à voir avec le roman historique. Si celui-ci appartient au genre littéraire, il ne peut être un outil pédagogique. Pourquoi ? Si l’Histoire est de dire comment les choses se sont passées, le roman historique, parce qu’il est sélectif, parce qu’il valorise le glorieux, parce qu’il oublie les pages noires, le roman historique est anhistorique.
Alors qu’en est-il du récit national ? Il est évident qu’évoquer l’histoire du pays dans lequel on grandit, dans lequel on va travailler et dans lequel on est citoyen et citoyenne paraît évident. Ce qui prête à discussion c’est d’évoquer le « récit national » tout seul, comme si nous, Français, notre histoire s’était déroulée sans interactions, sans influences, sans comparaison, sans confrontation, bref comme si la France était seule au monde. Oui au récit national à condition qu’il soit associé à un récit européen, de plus en plus fondamental tant l’Europe semble de moins en moins être une préoccupation nationale, mais aussi à un récit mondial qui montrerait que la France fut et continue à être un acteur non négligeable de l’histoire de l’humanité. Histoire et récit cheminent de concert, ils se nourrissent l’un de l’autre, point d’Histoire sans récit et point de récit sans Histoire. Le récit sur l’histoire nationale est bien sûr le bienvenu, à condition qu’il s’accompagne d’un récit sur l’histoire de l’Autre, c’est-à-dire sur l’histoire de celui et de celle qui ne sont pas nous. Ceci est valable dès l’école primaire et se continue sans discontinuité jusqu’en terminale.
Tous les candidats à la présidentielle doivent avoir en tête que l’Histoire est une science humaine. Elle ne sélectionne pas le bon du mauvais, selon l’idéologie en cours ou de l’intervenant ! Un bon récit, qu’il soit national, européen ou mondial, est d’abord un récit historique.
À propos de nos exigences
L’APHG formule des exigences pour les présenter aux candidats à la présidentielle et qui seront regroupées dans un Cahier d’exigences ou un Livre blanc. [3] À vous, de les faire connaître à vos futur(e)s député(e)s, à vos collègues non membres de l’APHG et de les faire adhérer à cette occasion. Une dernière fois, je rappelle que l’avenir de l’APHG repose sur vos adhésions.
1 - La première exigence est que dans toute réforme concernant l’Ecole, de l’Ecole primaire à l’Université en passant par le collège et le lycée, en ce qui concerne particulièrement l’enseignement de l’Histoire et de la Géographie, l’élève et l’étudiant doivent être au centre des propositions. Au-delà de cette affirmation fondamentale, toute réforme ne peut être mise en place sans un consensus fort des professeurs et aucune réforme ne doit passer en force.
2 - Il me semble que la deuxième exigence, celle sans laquelle toutes celles qui vont suivre perdent de leur force, est la liberté pédagogique de chacun et chacune d’entre nous et ce, dans le cadre de programmes, à condition qu’ils soient adaptés au niveau de classe et à l’horaire qui leur soit affecté.
3 - La troisième exigence veut que le Ministère de l’Education nationale mette fin à l’indécence des horaires, et ce à tous les niveaux, compte tenu des attentes pédagogiques qu’il met en avant. Aucun travail sérieux ne peut être fait, avec l’élève au Centre, si le temps avec la classe est devenu une peau de chagrin.
4 - La quatrième exigence est de donner priorité aux savoirs sur les compétences. IL n’est pas possible d’accepter ce changement de posture au nom d’objectifs où sont mis en avant lutte contre l’échec scolaire, mieux préparer les élèves à un avenir professionnel, meilleure adaptation au monde, comme si ces trois données n’étaient pas déjà inscrites dans notre démarche.
5 - La cinquième exigence découle de la précédente. Il faut une solide formation scientifique pour les futurs professeurs et cela relève de la mission de l’Université. Avec cette solide formation, les futurs collègues seront mieux armés au début de leur carrière et le risque de les voir démissionner, constat régulièrement évoqué actuellement, ne peut que diminuer.
6 - La sixième exigence tient au maintien de programmes nationaux. Seuls des programmes nationaux évitent de découdre les territoires au lieu de les rapprocher. Dans une société où les parents sont amenés à bouger, il est nécessaire de maintenir l’unité face au risque de parcellisation.
7 - La septième exigence affirme que chronologie reste la base de la démarche historique. Que le récit est partie intégrante de notre travail, que ce récit soit local, régional, national, européen ou mondial. Il en va de même en géographie où l’étude de tous les territoires, du local au mondial, est nécessaire.
8 - La huitième exigence déclare que l’Histoire et la Géographie ne doivent pas être des matières instrumentalisables par le pouvoir politique. Ces deux matières, au delà des savoirs scientifiques, ont pour principale compétence à faire acquérir à nos élèves et étudiants, celle de la citoyenneté et du vivre ensemble.
9 - La neuvième exigence porte sur l’enseignement de l’Histoire, de la Géographie et de l’EMC dans les classes des lycées professionnels et technologiques qui ne doivent nullement être les parents pauvres de l’architecture scolaire.
10 - La dixième exigence est que l’EMC soit enseignée au collège par les professeurs d’Histoire et de Géographie. Cela n’est nullement une démarche corporatiste, mais relève du constat que les professeurs d’Histoire et de Géographie sont les plus à mêmes de le faire.
Un de mes premiers éditoriaux évoquait les douze travaux de l’APHG. [4] Ils n’ont pas tous été réalisés, mais une bonne partie a été faite. Je rends hommage à toute l’équipe qui m’a accompagné pendant ces six ans, dont une partie a quitté le bureau en cours de route et dont une autre continue avec la nouvelle présidence. [5]
Je leur souhaite bonne chance.
Bruno BENOIT,
Président national de l’APHG
Le 12 janvier 2017.
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