ÉDITORIAL : Qui sommes-nous aux yeux du Ministère ? Historiens & Géographes n° 433

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Par Bruno Benoit [1]

Qui sommes-nous aux yeux du Ministère de l’Éducation nationale ?

« C’est pas tout de commencer que d’arriver au bout ».
La plaisante sagesse lyonnaise : Catherine Bugnard (Justin GODART).

Chères et Chers Collègues,

Est-ce nécessaire de vous dire que l’APHG ne cesse d’agir pour vous et pour vos élèves ! Rien qu’au cours du mois de janvier 2016, nous avons été reçus à l’Elysée par le conseiller du Président HOLLANDE, Christophe PROCHASSON, puis, au Ministère de l’Éducation nationale par le cabinet de la Ministre et enfin par la DGESCO. Notre site, de plus en plus fréquenté, relate ces rencontres. [2]

Lors de ces rencontres, nous ne cessons d’y rapporter le malaise que ressentent les enseignants, de réclamer des allègements pour le programme dément en TS par rapport à l’horaire, de rappeler la très mauvaise réception de la réforme du collège compte tenu de son passage en force, d’affirmer notre attachement fondamental à la discipline et aux savoirs plutôt qu’aux valeurs et aux compétences, de douter de la solution miracle vantée par le Ministère que sont les EPI, enfin de parler de l’EMC pour les bacs pro et de savoir si pour la Présidence de la République et pour le Ministère, l’Histoire et la Géographie sont toujours des matières fondamentales à la construction du citoyen… On nous écoute, mais nous entend-t-on ? J’ai des doutes. Il me semble que le dialogue est un dialogue de collègues sensés - l’APHG - avec des sourds, les institutions officielles ! La situation pour la rentrée 2016 est actée. Rien - pour le moment - ne fera changer les choses de la part du Ministère, d’autant plus que, comme nous l’a rapporté M. PROCHASSON, le président ne s’occupe pas des programmes !

Le titre et le contenu de mon éditorial sont bâtis à partir de la circulaire du Ministère de l’Éducation nationale, diffusée dans l’Académie de Créteil le 1er octobre 2015 avec le titre « Conduire la Réforme du collège ». Cette circulaire est divisée en cinq chapitres : 1 - le calendrier. 2 - l’analyse préalable. 3 - qu’est-ce qui motive les enseignants ? 4 - principes de conduite du changement 5 - les résistances au changement avec la question de savoir pourquoi résiste-t-on au changement ?

Le point 5 est le plus intéressant pour répondre à la question de savoir qui sommes-nous, nous les enseignants, en particulier d’Histoire et de Géographie, aux yeux du Ministère ?

Le premier constat est de découvrir le classement des professeurs face à la réforme par le Ministère

• Les professeurs qui soutiennent la réforme sont devenus des agents. Le terme agent a remplacé celui de professeur. Le professeur est celui ou celle qui enseigne une science ou un art, alors que l’agent est celui ou celle qui fait les affaires de l’État. Il y a une différence fondamentale entre l’agent, celui qui applique les ordres, et le professeur qui maîtrise une science au gré d’une démarche personnelle. Devenir agent est donc privatif de liberté d’exécution, ce qui est tout le contraire de la conception même du métier de professeur.

• Il faut dire que le terme « agent » désigne les professeurs favorables à la réforme, voire, selon la formule de la circulaire un « pro-actif ». Les choses sont claires, l’enseignant favorable à la réforme l’applique donc sans discuter et est devenu un agent, un exécutant. Mesdames et Messieurs les collègues favorables à la réforme êtes-vous encore des professeurs ? Ouvrez les yeux.

• Il faut dire que tous les autres collègues : les opposants, les neutres et ceux et celles en position d’attente ne sont plus désignés par le terme d’agent, cela est évident puisque l’agent exécute les ordres, mais ne sont pas davantage désignés par le terme de professeurs. Ces collègues n’ont plus de nom, ils ne peuvent et ne veulent être des agents, mais le Ministère leur refuse le nom de professeurs !!!!! J’appartiens personnellement à la catégorie des opposants, des professeurs opposants, tout en rappelant que mon opposition est liée au passage en force de la réforme, au recul du disciplinaire et à la diminution des horaires en faveur des EPI dont personne ne sait ce qui sera mis dans ces enseignements.

Le second constat est de se pencher sur la grille de lecture du Ministère face à la résistance des professeurs au changement

La première affirmation du Ministère est : « Peur de perdre quelque chose de précieux ». Réfléchissons un peu. Qu’avons-nous peur de perdre de précieux ? Evidemment notre métier, tel que nous l’avons appris de nos maîtres qui étaient des professeurs et non des agents, tel que nous l’avons enseigné au terme de concours, de stages et de formation continue, tel que nous l’avons partagé avec nos élèves, ce qui permet de dire, au passage, que nos matières font partie de celles que les élèves préfèrent. Le « quelque chose » du Ministère est un métier, un beau métier qui est en train de perdre beaucoup de son intérêt. La résistance dénoncée par le Ministère n’est pas une résistance d’arrière-garde, mais, bien au contraire, une résistance d’éclaireurs qui disent à tous ceux et celles qui veulent les entendre que cette réforme est en train de tuer le métier et que résister est un honneur. Au royaume de Pédagogia, l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, devrait être médité.

La deuxième affirmation du Ministère est : « Peur de l’inconnu ». NON, bien au contraire, nous avons peur de ce qui nous attend, car ce n’est pas l’inconnu qui nous attend, mais le trop bien connu ! Il faudrait être aveugle pour ne pas avoir peur de la rentrée 2016. Quatre programmes à affronter au collège avec des manuels vite faits, des horaires qui fondent, des EPI qu’aucun professeur lucide n’est capable de décliner avec clarté et efficacité, un programme de TS qui est impossible à faire correctement, des enseignements en bac pro qui attendent toujours d’être précisés. Au royaume de Pédagogia, on affirme des choses sans réfléchir.

La troisième affirmation du Ministère est : « Peur de perdre des points de repères ». Une fois encore NON, car depuis la précédente présidence et le Ministère Chatel, nous avons perdu nos points de repère !!! Nous attendions d’un Président et d’un gouvernement qui mettaient en avant la jeunesse et l’enseignement que ces repères perdus nous soient rendus. NENNI. L’opacité grandit, l’horizon disparaît, règne la confusion. Au royaume de Pédagogia, la chose la moins partagée est bien la clarté.

La quatrième affirmation du Ministère est : « Doute sur l’intérêt du changement ». EN EFFET, NOTRE DOUTE N’A CESSÉ DE GRANDIR. Nous l’avions confié au CSP, à la DGESCO, au Ministère, à l’Inspection générale. Ce doute nous a envahis quand, en haut lieu, nous avons entendu que la réforme et son application brutale à la rentrée 2016 relèvent d’un choix politique et non pédagogique. Tout dirigeant sensé sait que le devenir d’une nation se joue dans sa capacité à investir dans l’enseignement. Dans ces conditions, le pédagogique doit l’emporter sur le financier et, encore plus, sur le politique. Au royaume de Pédagogia, il semble que les priorités ne sont pas les bonnes.

La cinquième affirmation du Ministère est : un « Réflexe naturel de protection ». NULLEMENT, car nous refusons tout corporatisme, nous sommes conscients que le monde évolue, que la société change, que le public élève mute, que la manière d’enseigner doit s’adapter à ces changements. Nous les enseignants d’Histoire et de Géographie, nous accompagnons ces changements et ce, au rythme de leur évolution. Au royaume de Pédagogia, l’image des enseignants est une image déformée, peu flatteuse qui nous représente en hommes et en femmes ayant peur d’affronter la modernité et ses changements, ce qui est fondamentalement faux.

La sixième affirmation du Ministère est : « Rupture d’un certain confort ». VENEZ DANS NOS CLASSES, Mesdames et Messieurs du Ministère et de la DGESCO, nous vous accueillons à bras ouverts. Vous serez étonnés du confort ! En collège, classes surchargées et public très hétérogène ; en lycée, distorsions entre des programmes ambitieux et des publics à qui il faut tout apprendre ; en lycées professionnels, publics fatigués face à nos cours souvent en fin de journée. Au royaume de Pédagogia, il semble que les responsables ignorent la réalité du terrain.

La septième affirmation du Ministère est « Expérience de changements antérieurs mal vécus ». AH, ÇA OUI ! Les enseignants savent que ce terme correspond parfaitement à la réalité régulièrement vécue des réformes sans que la précédente n’ait eu le temps d’être évaluée ! À ce propos, la réforme Chatel des lycées est actuellement en train d’être évaluée avec les fédérations de parents d’élèves, les syndicats d’enseignants et de lycéens, mais sans les associations de professeurs, en l’occurrence l’APHG ! Une réforme qui veut durer se doit d’être acceptée, donc testée, discutée, expliquée et surtout correspondre à la réalité du terrain, sans chercher à jouer contre ou pour l’élitisme, contre ou pour plus d’égalité. Au royaume de Pédagogia, il semble que ceux et celles qui occupent les postes dirigeants n’ont pas de mémoire, que du passé ils ont fait, pour le plus grand malheur de nous les enseignants, table rase, pas pour le meilleur, mais pour le pire.

Chers et chères collègues, ces sept affirmations doivent vous faire réagir et servir de base de discussions dans vos établissements. L’APHG, malgré un horizon actuellement bouché, reste ouverte à la discussion et est une source permanente de propositions.

© Bruno BENOIT
Président de l’APHG

Lyon, 6 février 2016.

Quelques remarques sur la vie de l’Association

La revue et le site accueillent des tribunes libres de collègues membres de l’APHG. Ces tribunes sur des sujets d’actualité concernant l’enseignement, la laïcité, l’Histoire et la Géographie, voire d’autres thèmes qui peuvent intéresser nos adhérents, voire un public plus large, sont à envoyer au Secrétariat général qui en accord avec le Président les publiera. Actuellement, il y a celle de notre collègue Michel BARBE sur l’Etat d’urgence. [3]

Les inscriptions à l’AGORA d’Amiens sont lancées. [4] Faites la connaître et inscrivez-vous massivement afin de soutenir ces réunions triennales, mais aussi parce que le programme est de qualité. Je remercie toute la régionale de Picardie et son président Christian LAUDE. [5]

N’hésitez pas à répondre aux questionnaires qui vous sont envoyés par les responsables de Commissions, en particulier la Commission civisme sur l’EMC.

Faites nous parvenir toutes les informations qui intéressent nos matières et que vous avez recueillies dans vos académies.

Merci

Bruno BENOIT.

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