Benes, issu d’une famille de modestes paysans, cadet de dix enfants, s’élève par les études et parachève sa formation à Paris où il arrive en 1905. Il restera toujours un ardent francophile. Journaliste et enseignant, il affiche d’abord des idées marxistes avant de se ranger sous la bannière d’un socialisme modéré. Il s’engage en politique et devient rapidement le protégé de son aîné Masaryk, futur fondateur et premier président de l’Etat tchécoslovaque. La naissance de celui-ci doit beaucoup à l’action multiforme que Benes déploie à Paris pendant la Grande Guerre et la conférence de la Paix. Pragmatique, il négocie, affirme les droits historiques de son pays, rétribue des journalistes français défendant sa cause. Ministre des Affaires étrangères, il collabore à l’organisation du jeune Etat multinational, mise à l’extérieur sur la Petite Entente et la sécurité collective.
En 1935, Benes est tout naturellement le successeur de son mentor Masaryk à la présidence de la République. Les accords de Munich en 1938 marquent son mandat d’une note dramatique. Il se refuse d’abord à croire que Paris pourrait abandonner son alliée : « Je connais la France… Elle n’a jamais manqué à sa parole », dit-il à Hubert Beuve-Méry. Mis devant le fait accompli, il quitte ses fonctions en octobre 1938 et s’exile en Angleterre. Personnalité respectée, il plaide durant toute la guerre la cause de son pays occupé et devient le chef de la Résistance extérieure.
A ce titre, il entretient de bons rapports avec le général de Gaulle, mais, par souci d’efficacité, il s’aligne sur l’URSS. Il effectue un retour triomphal à Prague le 16 mai 1945. Ses choix à venir sont controversés : expulsion des Allemands des Sudètes, refus de gracier le dictateur slovaque Tiso, manque de combativité contre les communistes lors du coup de Prague en février 1948. Très affaibli par la maladie, il meurt peu après.
Le livre d’Antoine Marès se signale par la richesse de l’information ainsi que par un remarquable sens de la nuance et de l’équilibre. L’auteur ne veut pas se laisser entraîner dans l’hagiographie ou le pamphlet, comme c’est le cas dans de nombreuses études consacrées à Benes. Il évalue les forces et les faiblesses de l’homme, son intelligence et son optimisme constant, ses qualités de stratège et son manque de charisme, l’unité de sa pensée et de son action confondues avec l’intérêt national.
Antoine Marès, sur des questions annexes comme l’élimination du soviétique Toukhatchevski, comme sur les points centraux, les capitulations de Munich en 1938 et de Prague en 1948, l’expulsion des Allemands, le choix de l’URSS, l’affaire Tiso, présente les thèses antagonistes et les interprétations les plus vraisemblables. Il souligne les incontestables convictions démocratiques et nationales de Benes, sa lucidité et son patriotisme, vertus qui ne suffisaient pas pour affronter les tourbillons du temps. L’auteur brosse avec finesse le portrait d’un héros très humain, avec ses ombres et ses lumières.
Ralph Schor pour Historiens & Géographes
Note de la Rédaction : Un entretien avec Antoine Marès par Hubert Tison est publié dans le numéro 432 de la revue Historiens & Géographes, novembre-décembre 2015, pp. 199-212. http://www.aphg.fr/-No-432-novembre-decembre-2015-
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