Si, en dépit de tout ce que nous avons déjà dit, il est un passé qui passe aujourd’hui, c’est malheureusement celui du fascisme, au moins pour sa connaissance par les élèves de collège et de lycée, comme le démontre un remarquable petit ouvrage consacré aux dérives actuelles de l’enseignement de l’histoire. [3] Avec le fascisme, c’est aussi l’enseignement de l’antifascisme qui disparaît alors que l’antifascisme fut pourtant un moment important de la conscience européenne (en France comme en Croatie). Mais pour les responsables des programmes actuels, le fascisme comme l’antifascisme ont le tort d’être des faits politiques ancrés dans une période précise de l’histoire, à un moment où la discipline a tendance à abandonner l’analyse chronologique pour l’analyse thématique, l’étude des faits pour celles des concepts et la mise en oeuvre des savoirs pour celles des compétences. Ainsi, par une sorte de mouvement inversé qui a commencé il y a une vingtaine d’années, tandis que le "fait" fasciste disparaissait progressivement des programmes, le "concept" du totalitarisme prenait une place de plus en plus grande.
Le totalitarisme, en voilà un beau concept ! Les auteurs rappellent que pour Denis Peschanski "conceptualiser, c’est systématiser, généraliser, démarche totalement contraire à celle de l’histoire, l’historien devant étudier chaque événement de manière spécifique, dans sa singularité, même si la méthode comparative est possible, voire utile". Mais pour les tenants de la "Nouvelle Histoire", il faut être moderne et asséner - en toute objectivité, bien sûr - que communisme et nazisme étaient les deux faces d’une même réalité, d’un même modèle. Selon les auteurs de l’ouvrage, "la question n’est plus pourquoi l’événement mais comment faire fonctionner le modèle qui est lui-même l’explication et qui n’admet que les événements qui s’y ajustent". Au rebut, donc, la singularité des faits et la recherche honnête de leurs causes ! On voudrait désintéresser les élèves de l’histoire qu’on ne s’y prendrait pas autrement...
A ces attaques internes contre la discipline, s’ajoutent aussi des attaques externes. La "Refondation de l’Ecole", dans sa version actuelle, en constituant le dernier avatar. Celle-ci ne va en effet laisser à l’enseignement de la matière qu’un horaire croupion au profit d’enseignements transdisciplinaires considérés comme le nec plus ultra de la modernité pédagogique, et d’une Education Morale et civique conçue comme la solution à tous les maux de notre société. Or, le professeur d’histoire n’enseignera pas obligatoirement l’Education morale et civique et les professeurs des écoles appelés à enseigner demain en 6e n’auront pas tous reçus une formation dans la matière. L’histoire, comme discipline d’enseignement formant les élèves à la réflexion et au jugement critique, apparaît donc vraiment menacée de dissolution, voire de disparition pure et simple. Les auteurs y voient la conséquence d’un projet néolibéral pensé par les hautes sphères de l’Union européenne et de l’OCDE, pour former, sous couvert d’égalité des chances, des travailleurs dociles et interchangeables. Chacun jugera, mais leur argumentation est solide, et les menaces pointées sur l’enseignement de l’histoire sont multiples et bien réelles.
Si le passé restera encore présent dans notre société demain, il risque ainsi de devenir moins intelligible pour nos futurs concitoyens et, par là-même, de favoriser des instrumentalisations encore bien plus importantes aujourd’hui. Marine Le Pen, résistante ? Les Oustachis fascistes de Croatie, défenseurs de la liberté ? Il faudra beaucoup de commémorations pour compenser tout cela...
© Franck Schwab, Le Patriote Résistant (Revue mensuelle de la Fédération Nationale Déportés et Internes Résistants et Patriotes, créé en 1946) n° 909 - juin 2016,p. 20. Tous droits réservés.
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