Avec Paris, New York est la ville la plus filmée du monde. Dans cette fabuleuse fabrique d’imaginaires qu’est le cinéma, ville réelle et ville fonctionnelle se mélangent. Le septième art, toutefois, est une source de premier plan pour étudier le processus de métropolisation, les fractures socio-spatiales ou la gentryfication. Ce livre, qui s’inscrit dans une collection ambitieuse et originale, rendra donc service à nos collègues de terminales qui ont décidé d’offrir aux élèves l’exemple de New York, mais aussi à ceux qui enseignent en classe de seconde et qui voudront étudier Ellis Island.
New York, une ville sous l’œil de la caméra
La filmographie consacrée à New York est vaste, d’autant que certains réalisateurs lui consacrent la majeure partie de leur travail. Sur les 46 longs-métrages (1966-2016) de Woody Allen, 29 sont consacrés à New York. Sur les 23 films de Martin Scorsese, treize évoquent la Grosse Pomme. Cette focalisation entraîne une polarisation sur certains espaces, comme Manhattan, alors que la ville se compose aussi de Brooklyn, du Bronx, du Queens et de Staten Island. Au cinéma, New York est souvent réduite à la skyline de Manhattan. Une focalisation excessive récusée par certains cinéastes comme James Gray [2]. Ce dernier voit Manhattan comme un « ghetto du gotha », pour reprendre l’expression de Michel Pinçon et Monica Pinçon-Charlot. Le cinéma a, il est vrai, une tendance à réifier les frontières socio-spatiales, comme dans le cultissime Les Guerriers de la nuit (Walter Hill, 1979). New York peut être ainsi résumée par des espaces privilégiés, des quartiers mais aussi des ponts, tel celui de Brooklyn (Godzilla, 1998 ; Je suis une légende, 2007).
New York au cinéma, entre réalisme et fiction
L’auteur, ancien patron de la rédaction des Cahiers du cinéma, rappelle dans un chapitre stimulant, que la ville oscille entre réel et imaginaire. Le regard du cinéaste peut épouser le réalisme (La Cité sans voiles, Jules Dassin, 1948) ou la fiction. New York est sans doute une des villes les plus détruites au cinéma. Le Queens est rayé de la carte par les Aliens dans La Guerre des mondes de Spielberg, Manhattan est immergé au fond de l’océan dans A.I. : intelligence artificielle, voire totalement gelé dans Le Jour d’après. Il y a dans ces films, avec des extraits bien choisis des pistes propices pour la classe de seconde pour la leçon sur les risques. L’auteur n’oublie pas les comédies musicales qui développent aussi « une vérité non réaliste » sur la ville (p. 39-41).
New York, une ville violente
New York n’est pas que la ville des taxis jaunes et de la skyline. C’est une métropole dure. En 1988, elle a enregistré près de 2044 homicides ! Le cinéma s’est emparé de cette violence. Pourtant, elle a été, elle est et elle reste un rêve pour tous les migrants. De nombreux films mettent en scène l’arrivée à Ellis Island, comme Le Parrain 2 de Coppola ou The Immigrant (James Gray, 2013), sans oublier Gangs of New York (Martin Scorsese, 2002), dont plusieurs séquences pourront nourrir des exercices sur la première leçon d’histoire en seconde, notamment celle de l’arrivée de Leonardo di Caprio. Scorsese a aussi rappelé dans ce film que la brutalité formait « le véritable ADN de la cité » (p. 46), et que les différentes mafias (qui sont autant de références aux vagues de la mondialisation) étaient loin d’épuiser la violence de cette ville. Celle-ci peut être aussi perpétrée par des cols blancs. Métropole financière, New York abrite une faune de financiers, de banquiers, de brokers prêts à tout. Le générique de Wall Street : l’argent ne dort jamais (Oliver Stone, 2008), transforme le topos de la skyline en graphique de cotations boursières, soulignant ainsi la communauté de destin et d’intérêts entre un espace, une population et une globalisation qui est toujours, quoiqu’on en dise, territorialisée.
New York, une ville éclatée en synecdoques
Dans le chapitre hauts lieux, Jean-Michel Frodon suggère que New York est une ville où les parties renvoient au tout. La Statue de la liberté, au-delà d’être un plan récurrent dans une perspective illustrative ou touristique (fin du film Le Cerveau, Gérard Oury, 1969), est le symbole de la métropole. Symbole de la ville toute entière (New York 1997, John Carpenter, 1981), elle incarne l‘humanité comme dans la fin de La Planète des singes (Franklin Schaffner, 1968). On trouvera dans ces pages un rappel que l’image filmique et télévisuelle privilégie la synecdoque, belle occasion pour entamer une séance d’éducation aux médias. D’autres lieux emblématiques, comme L’Empire state Building sont évoqués, notamment avec King Kong (Caldwell Cooper et Ernest B. Schoedsack, 1933), que l’auteur analyse de manière fort stimulante (p. 68-69).
Le livre se termine sur le « souffle de la ville », sans doute une des scènes les plus célèbres du cinéma, celle où Marilyn Monroe voit sa jupe se soulever (Sept ans de réflexion, Billy Wilder, 1955). Métaphore sexuelle évidente, cette scène illustre également le « pouvoir suggestif du cinéma affectant notre regard sur une ville ». Désormais, on ne pourra plus apercevoir une bouche d’aération new-yorkaise sans songer à cette séquence, à ce film, au cinéma. Si l’ouvrage verse parfois dans l’énumération, contrainte inhérente à une telle collection qui ambitionne de balayer un espace, d’en révéler les lignes de force, les mutations et les ruptures, ses analyses stimulantes, sa large érudition, son caractère utile pour notre pratique en justifie l’achat. N’oublions pas, c’est de saison, que le livre forme aussi un remarquable guide de voyage.
© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 12/07/2017.