Été 44. L’insurrection des policiers de Paris Histoire / Seconde Guerre mondiale

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Christian Chevandier, Été 44. L’insurrection des policiers de Paris, Vendémiaire, 2014, 480 p., 24 euros.

Le livre de Christian Chevandier, professeur à l’Université du Havre et spécialiste reconnu de l’histoire des identités professionnelles (cheminots, infirmières, policiers….), s’attache à un épisode aussi bref (dix jours, du 15 au 25 août 1944) que paradoxal : l’insurrection, dans « la ville de toutes les révolutions depuis la fin du XVIIIe siècle », des responsables du maintien de l’ordre qui investissent des bâtiments officiels, arrêtent un Préfet de police, acclament un responsable communiste dans la cour de la Préfecture…

Magnifié par le livre Paris brûle–t-il ? de Dominique Lapierre et Larry Collins, puis le film éponyme de René Clément en 1964, l’« insurrection policière » a fait, plus récemment, l’objet d’une lecture hyper-critique : n’est-ce pas un « mythe » qui « occulterait » la longue fidélité obéissante au régime de Vichy, et, spécialement, la participation à la Rafle du Vel d’Hiv ?

L’ouvrage de Christian Chevandier apporte des connaissances précises et, pour nombre d’entre elles, neuves, sur l’ensemble de ces questions. S’ouvrant sur un récit chronologique de l’insurrection parisienne, il souligne la part prise par les policiers dans celle-ci : avec 167 tués sur 5000 gardiens de la paix, ils représentent I/6e des pertes totales des FFI dans la libération de Paris. La deuxième partie s’attache à une étude prosopographique des policiers insurgés, questionnant leurs origines sociales, leur parcours professionnel dans l’institution et leur place dans la hiérarchie. Pour l’essentiel, il s’agit de gardiens de la paix, jeunes, issus de milieux populaires, solidaires avec leurs supérieurs immédiats (brigadiers, brigadiers chefs), et important leur culture policière professionnelle au cœur d’une situation insurrectionnelle. Le livre reproduit un extrait fascinant des souvenirs Edgar Pisani décrivant ces policiers faisant le coup de feu par équipes successives « au rythme auquel ils avaient l’habitude de jouer les gardiens de la paix » (p. 228). Mais cet habitus professionnel leur permet aussi de s’opposer efficacement au lynchage de prisonniers allemands ou de collaborateurs capturés.

L’ouvrage revient enfin sur les étapes de la construction de la mémoire de l’épisode, de l’identification des corps à la confrontation des différents récits de l’insurrection (on appréciera la mise au point sur le rôle du général von Choltiz, commandant la garnison allemande et souvent abusivement présenté comme le « sauveur de Paris »). Les collègues de l’agglomération parisienne pourront utilement tirer profit avec leurs élèves de l’étude minutieuse des lieux et dates de l’installation de plaques et monuments commémoratifs.

Christian Chevandier revient en conclusion sur le sens de cette « semaine de transgression » dans la dernière insurrection de l’histoire de Paris. Il invite à ne pas la minimiser et à ne pas « confondre l’institution et les individus… l’erreur la plus commune des analyses de la société française pendant la Seconde guerre mondiale » : « La police a collaboré et des policiers ont résisté, ceux-là même qui se sont battus pendant les journées d’août » (p. 417). Une belle leçon d’histoire….

© Gilles Vergnon pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 24/04/2016.