Quarante ans après la grande exposition « Paris-Moscou » du Centre Pompidou, le Grand Palais, partenaire du Centre Pompidou, présente une exposition rassemblant 450 œuvres et documents variés, pour beaucoup jamais exposés en France, et 19 artistes, des plus grands aux simples témoignages. Elles proviennent du Centre Pompidou, de Nanterre (La Contemporaine), de la Bnf, mais surtout de Russie. Ont collaboré, les grandes institutions de Moscou comme la Galerie Trétiakov, le Musée d’Etat Pouchkine, le Musée central d’Etat d’histoire contemporaine, les Archives nationales russes de la littérature et l’art (RGALI), le Musée d’Etat du théâtre Bakhouchine, le Musée de recherche d’architecture Chtoussev, le Musée d’Etat Maïakovsky de même que le MultimediaArt Museum ; St Petersbourg, avec le Musée d’Etat russe et le Musée du théâtre et de la Musique. La participation de collections particulières a été très précieuse également. Des apports plus modestes mais complétant heureusement les précédents viennent de Krasnogorsk, Saratov. Hors de Russie, la Lettonie est présente avec le Musée national des Beaux-Arts, comme la Grèce avec le Musée d’art moderne de Thessalonique.
Cette liste peut sembler bien fastidieuse mais elle fait apparaître des institutions souvent mal connues, la concentration des artefacts dans certains centres et aussi la géographie européenne d’un événement qui a tant marqué le continent et le monde.
Le commissaire de l’exposition, Nicolas Liutcci – Goutnikov retrace un parcours qui va de la Révolution d’Octobre 1917 à la mort de Staline le 5 mars 1953. Il ne présente pas une collection « d’art » : le titre est explicite qui a pour propos d’explorer les rapports entre la Révolution prolétarienne de 1917 en marche se figeant dans le stalinisme dès 1929 et l’Art, domaine de l’immatériel, de la liberté, traversé dès la fin du XIXème siècle par la tentative d’en finir avec la tradition. Utopie politique et Utopie artistique confrontées.
Cette démonstration s’appuie sur une démarche chronologique en 2 parties.
La première, consacrée à « L’art dans la vie : le productivisme » pose la question du rôle de l’art dans la nouvelle société socialiste. Gustave Klucis, Vladimir Maïakosky, Lioublov Popova, Alexandre Rodchenko, Varvara Stepanova et tout le courant de l’architecture constructiviste s’efforcent de construire cette fusion de l’art dans la vie. Mais très vite, les premières fractures s’annoncent entre ceux qui militent pour un art révolutionnaire - s’appuyant sur les grandes expositions des pays capitalistes comme celle de 1924 en Allemagne - et ceux qui sont pour « un art compréhensible des masses » bénéficiant du soutien du pouvoir bolchévique. Aller vers les masses, « inventer les objets du quotidien » en sortant du musée sont la priorité comme le montrent ici la peinture, la sculpture (l’art dans la rue), la céramique, l’architecture constructiviste inventant la ville « idéale » fondée sur le collectivisme ("l’architecture des condensateurs sociaux"). La salle qui lui est consacrée précède l’espace dédié au théâtre dont la tâche est de clamer la dénonciation de l’Ancien Monde et la proclamation du Monde nouveau incarné dans un corps libéré. La photographie aussi a une place de choix : nouvel angle de prise de vue, avec plongée et contre-plongée, et procédé du photomontage bouleversent les autres arts, notamment l’imprimé et le cinéma. Régulièrement des séquences filmées présentées en regard des autres œuvres les interrogent, comme la reconstitution de la prise du Palais d’Hiver en 1920… 3 ans après les faits réels.
De tout cela rend compte le train de l’agit –prop, instrument de propagande mais aussi d’éducation populaire de masses largement analphabètes : il apparaît dans une séquence filmée émouvante, comme ces vieilles images ressurgies des fins fonds de la mémoire.
La deuxième partie est intitulée « La vie rêvée dans l’art : vers le réalisme socialiste ». C’est désormais la confrontation de l’Utopie et du régime totalitaire accompagné du culte de la personnalité qui se met en place avec le grand Plan quinquennal (1928-32 ). L’exposition en montre les prémices et les manifestations. Il ne faut pas moins de 6 salles, au 1er étage, pour décliner méthodiquement le propos, à savoir : « Ennemis de classe et ennemis du peuple », « Une culture de la vigueur », « La ville stalinienne », « L’Internationale des arts », « Avenir radieux », « peinture d’histoire et mythification ». Des œuvres de très grand format d’artistes majeurs mais souvent mal connus en France, comme Alexandre Deïneka, Youri Pimenov, Alexexei Pakhomov vont tenter de définir les fondements picturaux du réalisme socialiste, résolument figuratif.
Exposition ambitieuse et singulière servie par une muséographie efficace, à l’aise dans les vastes espaces du Grand Palais. L’enseignant y trouvera nombre de documents nouveaux ou très célèbres pour illustrer ses cours d’histoire et d’histoire de l’art. Egalement pour nourrir une réflexion sur art et société comme : la ville ; la peinture d’histoire ; nouvel Etat et quête d’images ; le rôle de la photographie et du cinéma ; la naissance du design ; qu’est-ce que l’art productiviste, art utile et nécessaire ; le « dressage de l’art » ; le réalisme socialiste » et la quête des formes... On s’apercevra, grâce à cette exposition, que l’art soviétique n’est peut-être pas un art totalement soumis au politique comme le soulignent les dernières recherches.
En conclusion, nous retiendrons 2 œuvres emblématiques du parcours proposé : « Correspondant ouvrier » de Viktor Perelman. Peinture sur toile. 1925 (Moscou. Galerie nationale Trétiakov) pour la 1ère partie de l’exposition ; pour la 2ème partie , l’affiche de l’exposition « L’URSS est la brigade de choc du prolétariat mondial », d’après l’œuvre de Gustav Glacis. 1931 (Riga. Musée des beaux – Arts).
Tout une programmation culturelle enrichit encore cette exposition, depuis les Rendez-vous du mercredi aux lundis sur scène, aux films du vendredi pour le cycle Sergei M. Eisenstein et la Soirée partenaire du lundi 27 mai. La Nuit européenne des Musées du samedi 18 mai, les performances design du samedi 15 juin, la Fête de la Musique le vendredi 21 juin clôturent ces manifestations.
Les activités pédagogiques, à voir sur le site, ne sont pas oubliées.
Et pour ceux qui ne pourraient assister à ces manifestations restent : Le Journal de l’exposition (6 euros) ; le DVD « ROUGE. L’art au pays des Soviets » (14,50 euros) ; le catalogue (en librairie le 20 mars) à la boutique du Musée (www.boutiquesdemusee.fr) et dans toutes les librairies.
© Violeta Auriol pour Historiens & Géographes, tous droits réservés, 31/03/2019.