Comme dans toute polémique, les esprits s’échauffent et l’on ne sait plus très bien de quoi on parle. Le cinéma en couleurs est antérieur à 1939 et tous les films tournés avant cette date l’ont été dans une esthétique qui prenait en compte le noir et blanc (tout comme le cinéma muet entraînait un jeu particulier des acteurs), notamment dans l’éclairage. Toute colorisation de ces films est une hérésie, réalisée par des exploitants voulant « moderniser » pour soi-disant rendre plus accessibles des classiques de l’histoire du cinéma.
La nature du documentaire est tout autre. Il a été tourné en noir et blanc faute de mieux. Dès l’origine de la photographie, on espère que la couleur adviendra. L’attente sera plus longue que prévu et il faudra l’autochrome Lumière en 1907 pour apporter une première réponse satisfaisante. Les contemporains, tels Méliès, continuaient à faire colorier leurs films par des petites mains délicates. Faute de mieux, on peignit quelques films documentaires dès le début du siècle, pour donner l’illusion de la réalité.
Cette réalité — en couleurs — est aujourd’hui accessible grâce au numérique. On peut en effet reconstituer avec une grande fiabilité les couleurs d’origine à partir d’un film en noir et blanc. Le principe en est relativement simple. Dès la fin du XIXe siècle, on avait remarqué que le bromure d’argent, devenu l’agent chimique standard, ne réagissait pas de la même façon aux diverses longueurs d’onde du spectre visible. Les chimistes corrigèrent ce défaut avec des colorants pour obtenir une pellicule panchromatique, c’est-à-dire également sensible à toutes les couleurs. Cette propriété des sels d’argent avait été exploitée pour la mise au point, dans les années 1860, du procédé de la trichromie additive qui permettait, à partir de trois négatifs noir et blanc, de reconstituer une image en couleurs.
Aujourd’hui, avec la numérisation des films noir et blanc, il est possible d’analyser chaque pixel et de déterminer la partie du spectre qui a généré le ton de gris et donc de reconstituer avec une bonne approximation le ton d’origine. Il ne s’agit donc pas de colorisation, mais de restitution de la couleur. Dès lors, le procédé semble justifié pour des films documentaires tournés en noir et blanc par défaut et où la couleur apporte non seulement une information supplémentaire mais aussi un indice de réalité qui en favorise la réception par les spectateurs du XXIe siècle.
© François Robichon
© Historiens & Géographes. Tous droits réservés. 24 décembre 2014.
Illustration : Sydney Greenstreet (profil) et Humphrey Bogart, in Casablanca, film américain de 1942 réalisé par Michael Curtiz. Source