Filmer les Pyrénées. Une montagne au fil des saisons Compte rendu de lecture / Cinéma

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Par Yohann Chanoir. [1]

CADÉ, Michel (dir.), Filmer les Pyrénées. Une montagne au fil des saisons. Films amateurs et documentaires, Canet, Éditions Trabucaire/Institut Jean Vigo/Cinémathèque de Toulouse, 2017. Avec un DVD comportant un film de Clémentine Carrié. 20 €.

Après la mer, la montagne !

Deuxième ouvrage d’une collection qui souhaite mettre à la disposition du public une partie des archives filmiques collectées par l’Institut Jean Vigo et la Cinémathèque de Toulouse, ce titre évoque les Pyrénées. Dans l’introduction, Michel Cadé rappelle que les films amassés « appartiennent à des catégories d’œuvres dont le dénominateur commun est d’être abandonnés des circuits de distribution et des lieux de diffusion ». Il s’agit donc de films d’amateurs, de famille, d’entreprises, de documentaires ou de productions institutionnelles sauvés de l’oubli par cette grande collecte. Les différents contributeurs ont mis en forme ce corpus, replaçant les titres dans des thématiques plus larges, donnant à voir (avec le film) et à réfléchir sur cette histoire visuelle des Pyrénées entre 1907 et 1978.

Les Pyrénées, montagne habitée

6 contributions différentes sont proposées. La première, de Guillaume Lacquement, dresse le cadre physique de cette narration filmique : le massif pyrénéen. Il le replace dans le temps long de son occupation par l’homme, en évoque les permanences et les mutations, sans oublier de s’intéresser au temps présent. La deuxième thématique, abordée par Jean-Michel Minovez, s’intéresse aux conséquences des mutations de la production sur le genre de vie des Pyrénéens. Il éclaire aussi les zones d’ombre du corpus, telle l’industrie peu représentée, ou les topoï comme la transhumance, qui fascine opérateurs d’hier et d’aujourd’hui.

Un espace touristique

Steve Hagimont a rédigé les deux contributions suivantes. La première analyse le tourisme pyrénéen des deux côtés de la chaîne, avec une nette domination des sports d’hiver et une sous-représentation des cures thermales. Peu de plans de soin sont en effet présents. Le tourisme montagnard, sous ses différents aspects (randonnées, courses...), bien représenté, est toutefois dépassé par les fort nombreuses images sur les sports d’hiver des années 1920 aux années 1970. Si les premiers titres offrent une mise en scène des preneurs d’image qui forment alors un groupe social privilégié, la massification des sports d’hiver couplée à la commercialisation du Super 8 change le regard porté. La performance sportive est désormais sacrifiée à l’anecdote familiale. Le second article de cet auteur porte sur le pyrénéisme, philosophie de « toute personne qui a parcouru les Pyrénées et les a décrites dans le but de les faire aimer » (p. 81). Le mot apparaît en 1898. Il est donc contemporain de l’invention du cinéma qui, après les récits, les dessins, les peintures et les photographies, s’empare du massif. Le pyrénéisme est aussi étudié dans la dernière thématique où le président de l’Institut Jean Vigo avec le renfort de Guillaume Boulangé, dialogue avec deux cinéastes qui ont fait des Pyrénées non pas un simple objet filmique mais un véritable sujet.

Lire les Pyrénées

L’avant-dernière contribution est rédigée par Claudette Peyrusse, dont les travaux sur Le Midi dans le cinéma (1986) demeurent à la fois une référence et un précieux outil de travail. Son article, intitulé « Voir les Pyrénées », rappelle l’histoire de la représentation des Pyrénées dans le cinéma documentaire, histoire qui débute dès les origines mêmes du média. Elle aborde aussi le panthéon pyrénéen que dessine le cinéma documentaire (Foch, Joffre, Galliéni, Bernadette...), la logique de promotion de l’espace naturel, de l’industrie qui le modernise et du train qui le désenclave. Si elle signale aussi les lieux surreprésentés comme ceux oubliés, des « vedettes permanentes » aux « absents obstinés », si elle conte les « poussées régionales » des images, elle n’oublie pas de proposer une grille de lecture de l’image dont pourront tirer profit nos collègues. Car « l’image reste rarement fermée quand on l’interroge » (p. 105). Sa contribution souligne ainsi une de nos missions essentielles : apprendre à nos élèves à lire l’image. Bref, un beau film, doublé d’un livre stimulant, dont la lecture durant les congés estivaux, à la mer et surtout en montagne, s’impose. Il rendra en outre des services à nos collègues enseignant en classes de premières.

© Michel Cadé - Tous droits réservés.

© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 17/06/2018.

Notes

[1Agrégé d’Histoire, Professeur d’Histoire-Géographie en section européenne allemand au Lycée Jean-Jaurès de Reims, Secrétaire de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes.