Histoire d’un film d’histoire... populaire Algérie, 50 ans après...

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Mise à jour du 23 décembre 2016 avec un encart "Appel à contributions".

Interview de Jean-Paul Julliand, Réalisateur du documentaire « Ils ne savaient pas que c’était une guerre ! » (Algérie, 50 ans après…) par la revue Historiens & Géographes.

REVUE H ET G : D’où vous est venue l’idée de réaliser un film sur le vécu d’anciens appelés de la guerre d’Algérie ?

JPJ : Je ne suis absolument pas spécialiste de cette question. Professionnellement, je filme surtout des situations d’enseignement. Mais au sein de l’association des Amis de Bourg-Argental, je filme l’histoire locale de mon village natal ; un gros bourg de trois mille habitants du département de la Loire. Au départ, mon objectif est simplement de « mettre en boite » les paroles d’anciens appelés de ce village, pour en conserver la mémoire, puis de projeter un montage de ces interviews, dans la salle de cinéma locale. Devant les émotions ressenties lors de ces projections - notamment de la part des enfants et des petits enfants, qui s’étonnent d’entendre parler leurs pères ou grands-pères pour la première fois -, on décide de voir plus loin.

REVUE H ET G : Comment tournez-vous votre film ?

JPJ : Pour réaliser les interviews, nous « réveillons » l’ex-cinéma du village, fermé au public depuis plus de vingt-cinq ans. Avant nous entrons en contact avec quinze anciens appelés, que nous pensons représentatifs de la diversité sociale et idéologique de l’époque ; ce qui, avec le recul, s’avère effectivement vrai, si l’on en croit les « spécialistes » qui ont découvert le film. Beaucoup de ces anciens appelés n’ont jamais parlé de cet épisode dramatique de leur jeunesse. En même temps, nous collectons les photos de cette période qu’ils ont conservées. Nous utilisons aussi des images super 8 montrant l’Algérie, notamment ses paysages. Mais celles-ci sont tournées en 1966, toujours par un habitant du village, alors incorporé dans les troupes françaises, gardant la base de Reggan, destinée aux essais atomiques. Nous rajoutons des images super 8 du village à cette époque. Elles donnent une certaine idée de la réalité d’une France très rurale en 1954… et déjà un peu moins en 1962.

Jean-Paul Julliand © JPJ DR

REVUE H ET G : Quelle construction au montage ?

JPJ : Le cœur du film est constitué de témoignages qui se répondent, de façon assez rythmée, les uns aux autres. Une dizaine de thématiques se succèdent. Que savent les futurs appelés de l’Algérie avant de partir ? Comment sont-ils formés militairement ? Quel voyage ? Les premiers jours en Algérie ? Leur vie quotidienne et notamment leurs relations avec les populations locales d’origines Algérienne ou Européenne ? Les informations dont ils disposent une fois sur place ? Le putsch du 21 avril 1961 ? Le moral des troupes ? Les combats proprement dits ? Les morts et les blessés ? La « sale guerre » ; autrement dit les tortures auxquelles ils assistent, les exécutions sommaires, voire les tristement célèbres « corvées de bois » ? Comment vivent-ils la période entre le cessez le feu et l’indépendance de l’Algérie ? Leurs retours dans le silence et l’anonymat ? Quel bilan tirent-ils de cette tragédie cinquante ans plus tard ?

REVUE H ET G : Sans raconter le film, avez-vous obtenu des réponses qui vous ont surpris ?

JPJ : Une foule… Par exemple, la plupart des appelés ne savent presque rien de l’Algérie avant de partir, que ce soit en 1954 - ce qui peut se comprendre -, mais aussi en 1961 ; ce qui est plus surprenant. Autre découverte, leur formation militaire est totalement inadaptée au type de guerre qu’ils vont connaitre. Là aussi, en 1954 ça s’explique. En 1961, plus du tout… Mais je suis surtout ému par le naturel et l’authenticité des « paroles offertes ». Ces quinze papys, de plus de soixante-dix ans à l’époque et qui souvent parlent pour la première fois, nous font une confiance totale et nous disent tout ce qu’ils n’ont jamais dit à personne. J’en connais très bien deux ou trois, un peu une dizaine et pas du tout certains. Et pourtant, tous jouent le jeu à fond. Résultat : depuis nous sommes devenus des amis et ils sont très fiers d’avoir osé témoigner. Ils savent que le temps passe et que bientôt....

REVUE H ET G : Le film est ensuite diffusé à la télévision…

JPJ : « Ils ne savaient pas que c’était une guerre ! » est diffusé sur France 3 Sud-Est fin 2014. Il réalise une très bonne audience, surtout vue l’heure tardive. Ensuite, le film est sélectionné pour le festival de « la mémoire commune » de Nador, une ville du nord-est du Maroc. Enfin, je sollicite un visa du CNC, pour pouvoir le projeter dans des salles de cinéma ; ce qui sera le cas à partir du mercredi 15 mars 2017 ; jour de sortie des films le plus proche du 19 mars, qui marquera le cinquante cinquième anniversaire de la signature des accords d’Evian.

REVUE H ET G : Vous allez donc distribuez le film…

JPJ : Exactement… ce qui sera nouveau pour moi. Pour le moment, je ne compte pas organiser ce que l’on appelle une grande « sortie nationale », qui implique qu’à une date précise, le film soit proposé dans un maximum de salles et dans tout le pays. Je pense surtout répondre, au coup par coup, aux sollicitations des exploitants de salles, préalablement alertées sur l’existence de ce film et qui seront intéressées pour organiser des projections, voire surtout des projections-débats.

REVUE H ET G : Pourquoi des projections-débats ?

JPJ : Parce que le film est construit pour cela. Sa durée de 52’ seulement - au lieu des 90’ classiques - laisse du temps pour des échanges. Ensuite, parce que beaucoup de questions sont simplement soulevées dans le film. Les paroles simples - mais au combien vraies et franches - des interviewées ouvrent des « dossiers », qui appellent des réponses plus complètes. Sans négliger les difficultés de vocabulaires dues au temps qui passe. Par exemple, face à de jeunes lycéens - le film a été aussi écrit pour eux -, il est impératif d’expliquer des termes comme « Transistor », « Conscription », « Quille »… sans oublier la tristement célèbre « Gégène ».

Enfin, la complexité même de la guerre d’Algérie pousse aux débats. Je suis très heureux de constater que, cinquante-cinq ans après l’armistice, ces débats deviennent possibles, voire souhaités ; même si, parfois, ils restent un peu « chauds ».

Débarquement des troupes en Algérie © Vanel

REVUE H ET G : Les projections en salles seront-elles le seul moyen pour découvrir le film ?

JPJ : Il est encore trop tôt pour répondre. Allons-nous ou pas respecter ce que qu’on l’on nomme la « chronologie des médias », qui veut qu’un film, sorti en salles de cinéma, ne soit disponible en VOD (Vidéo à la demande) et en DVD que quatre mois plus tard ? Au contraire, peut-être choisirons-nous de jouer sur tous les canaux à la fois. La réflexion est en court… et dépendra surtout des réactions du public lors des avant-premières qui débuteront en janvier 2017… D’ailleurs, je lance un avis aux amateurs intéressés pour mettre sur pieds des avant-premières !!!

REVUE H ET G : Qu’espérez-vous de la part des enseignant(e)s d’histoire et géographie ?

JPJ : D’abord qu’ils voient le film et qu’ils réagissent à cette approche atypique de l’Histoire… Une histoire avec un petit « h » ; autrement dit, une histoire d’une part populaire - aucune parole de « spécialiste » dans le film - et locale, même si, évidemment, notre pari est de parler du général à partir d’un particulier. La meilleure façon de découvrir le film, c’est de le voir en salles de cinéma ; images et sons plongent alors le spectateur dans l’émotion, ce qui est beaucoup moins le cas devant un ordinateur ou un poste de télévision. Pourtant, nous pensons proposer un système de visionnage du film sur le Web, réservé notamment aux membres de votre association qui en feront la demande ; ce qui sous-entend qu’ils soient susceptibles de « porter » le film par la suite. Bref, on est prêts à « investir »…

Si après visionnage, ces enseignant(e)s sont convaincus de l’intérêt de ce documentaire, notre idée est qu’ils puissent le proposer aux salles de cinéma de leur connaissance, notamment aux salles Art et Essais, friandes de projections-débats. Si en plus, ils « embarquent » avec eux des collègues, des amis, etc., les exploitants, que nous contacteront immédiatement de notre côté, devraient assez facilement se laisser convaincre. Mais notre demande la plus complexe porte sur la fonction d’animateur de débats. Dans la plupart des salles, le film ne sera projeté que s’il est accompagné d’un échange avec le public. En tant qu’enseignant d’Histoire, se proposer comme animateur du débat (ou repérer un animateur potentiel dans la ville en question) sera un argument clé pour convaincre un exploitant.

REVUE H ET G : Et les élèves dans tout ça ?

JPJ : A cette étape, le film existe d’abord à leur intention. Chaque fois que des conditions locales permettent de le proposer devant des classes en salles de cinéma, il ne faut surtout pas s’en priver. Bien au contraire, une proposition de séances scolaires (en général à des tarifs très attractifs) devient un argument de poids pour obtenir d’un exploitant l’accord pour une projection grand public en soirée.

Par ailleurs, un livre va sortir en même temps que le film. Même titre. Même visuel. Edité à la Chronique Sociale de Lyon, il comprend, en complément d’interviews plus étoffés, articulées entre eux et mis à distances, des encarts rédigés par un collègue professeur d’Histoire et Géographie. Ces encarts sont pensés pour apporter les informations que sont susceptibles d’attendre des élèves de lycée ; sans oublier la liste des sources d’où sont tirés ces apports. Parallèlement, très rapidement, nous commercialiserons des DVD PRO ou des clés USB PRO, spécifiquement réservés aux projections dans les établissements scolaires.

REVUE H ET G : Pourquoi ce titre ?

JPJ : Au fil des interviews, puis du montage, le titre s’impose : « Ils ne savaient pas que c’était une guerre ! » (Algérie, 50 ans après…). « Ils » désigne évidemment l’opinion publique d’alors, souvent peu au courant de ce qui se passe au-delà de la mer Méditerranée. Mais, paradoxalement, « Ils » ce sont aussi, et même au premier chef, les jeunes appelés, qui partent au « casse-pipe », sans rien connaître, ni du monde en général, ni de l’Algérie en particulier, et encore moins des enjeux d’une guerre dont tout est fait pour nier la réalité.

Enfin merci de noter mes contacts :

  • Jean-Paul Julliand : julliand.jean-paul@wanadoo.fr et de ne pas hésiter à en user pour donner une nouvelle vie à ce film.

Encart. CHERCHE ANIMATEURS D’ÉCHANGES AVEC LE PUBLIC

Jean Paul Julliand réalisateur et distributeur du film « Ils ne savaient pas que c’était une guerre ! » (Algérie, 50 ans après), recherche des collègues intéressés pour faciliter les échanges avec le public à l’issue des projections de ce documentaire de 52’. Si l’expérience vous tente, après avoir découvert le film sur le Web par lien privé, vous serez mis en relation avec une salle de cinéma proche de chez vous qui programmera le film en 2017. Vous pouvez aussi proposer à une salle de le projeter. Tous les animateurs se verront offrir un exemplaire du livre tiré du film, publié à La Chronique Sociale. Renseignements : julliand.jean-paul@wanadoo.fr et/ou 06 67 41 03 71.

© Jean-Paul Julliand et les services de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 27/11/2016 et 23/12/2016.