Les lecteurs non germanophones seront peut-être étonnés que l’ouvrage commence en 1806, année de la défaite prussienne à Iéna. Cette « étrange défaite » est le point de départ d’une régénération de la Prusse dans le but d’en faire un acteur majeur du continent européen. La victoire de Leipzig en 1813 souligne la rapidité de cette œuvre régénératrice. Si 1814 ouvre une période de restauration et de « chape de plomb » sur les idées libérales, elle voit aussi le processus d’industrialisation s’accélérer, ajoutant à l’équation de l’histoire allemande la question sociale. En 1844, les tisserands de Silésie se révoltent et Marx et Engels publient quatre ans plus tard Le manifeste du parti communiste. Comme une large partie de l’Europe, l’Allemagne connaît en 1848 une vague révolutionnaire rapidement brisée, mais sans extirper les aspirations démocratiques. L’accession au poste de chancelier de Bismarck, habité par l’ambition de l’unité, la victoire de Sadowa (1866) qui évacue l’hypothèse d’une unification sous la tutelle autrichienne et le succès de Sedan (1870) qui a uni les peuples allemands contre les Français, débouchent sur la proclamation d’un nouveau Reich. Peu à peu, l’Allemagne s’impose comme une puissance majeure dans un contexte de forte croissance démographique.
À la mobilité intérieure (en 1907, plus de 50% de la population ne vit pas où elle née) s’ajoute une mobilité extérieure, que nos collègues pourront évoquer en classe de seconde. De 1871 à 1893, deux millions et demi d’Allemands partent, soit autant que depuis 1820, essentiellement vers l’Amérique. Au recensement de 2000, 15% de la population étatsunienne déclare ainsi une ascendance allemande, loin devant l’origine irlandaise (11%) ou italienne (5,6%). L’Allemagne devient aussi une puissance industrielle, avec notamment la chimie, où les innovations se succèdent comme l’aspirine en 1899 par Bayer. Si la Grande Guerre est une catastrophe pour l’Allemagne, si la République apparaît presque sans républicains, malgré ses avancées sociales et politiques (vote des femmes en 1919), l’auteur rappelle que 1923 est aussi une « année terrible » pour les Allemands (occupation franco-belge, effondrement du mark, putschs). Johann Chapoutot convoque le cinéma, dont le fabuleux Le Dernier Homme de Murnau pour évoquer une « société de bacchanales ».
1914 est aussi pour les Allemands le début d’une « catastrophe originelle » précipitant la nation dans le nazisme, la terreur et la Seconde Guerre mondiale. En 1945, comme en 1647, l’Allemagne est « en morceaux ». L’auteur rappelle toutefois, que loin du mythe d’une « année zéro », l’industrie outre-Rhin est intacte à 85%. Ainsi s’explique la force et la rapidité du « miracle économique allemand », qui voit la RFA devenir en 1956 une puissance économique mondiale. Les Rémois corrigeront d’eux-mêmes l’erreur sur la date de la capitulation de la Wehrmacht (p. 88), non le 8 mai mais bien le 7, date que l’histoire n’a hélas pas retenue pour commémorer la fin du conflit.
Les trois derniers chapitres évoquent l’histoire des deux Allemagne, qui seront bien utiles pour les collègues de Terminales (L et ES. NDLR) en prise avec la leçon sur le socialisme en Allemagne, puis l’unification (et non réunification, voir p. 116) en 1990. Ce processus ample, coûteux (1 500 milliards d’euros dépensés entre 1990 et 2009), alimente frustrations et nostalgie à l’est, que les réformes libérales menées par Schröder dans le cadre de l’agenda 2010 vont exacerber. En 2014, la nation allemande a bel et bien changé. L’engagement en 1999 au Kosovo, l’élection d’une femme à la chancellerie et la force du creuset allemand (la Mannschaft gagne la coupe du monde en 2014 avec de nombreux joueurs issus de l’immigration (tel Mesut Özil) en sont autant de signes. Les défis restent toutefois nombreux (p. 121).
Cet opus nous livre donc une nouvelle clé de lecture de l’histoire de notre voisin. C’est sans doute dans cette synthèse entre unité, droits et liberté que réside ce fameux modèle allemand qui fascine une partie de notre classe politique, sans toutefois en comprendre la nature et en connaître la genèse.
Voir en ligne sur le site de l’éditeur
© Yohann Chanoir pour la Rédaction de la revue Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 7 août 2016.