Hommage à Alain Decaux (1925-2016) Communiqué de l’APHG et d’Historiens & Géographes

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Par Hubert Tison [1]

Notre ami, notre soutien, notre fidèle adhérent est décédé à l’âge de 90 ans dimanche dernier.

Dire notre grande tristesse, oui bien sûr, mais aussi notre fierté d’avoir eu le concours de l’historien populaire de la radio et de la télévision, d’un conteur d’histoires vraies, dans nos combats pour que l’enseignement de l’histoire revienne solidement à l’école primaire et au collège, d’un noble vulgarisateur qui a soutenu avec éclat les combats menés par l’APHG dans les années 1980. En dernière date, il avait signé la pétition contre la suppression de l’Histoire en Terminale générale scientifique en 2011.

Pourquoi le concours d’Alain Decaux a-t-il été décisif ? Lors de la grande campagne initiée par l’APHG dans les années 1980, Alain Decaux nous a apporté un soutien décisif. Nous étions allés le voir, Daniel-Jean Jay et moi, à la Société des auteurs-compositeurs, dont il était le président, pour lui exposer les graves carences de l’enseignement de l’histoire. Cet après-midi là, nous lui avons proposé d’être membre de notre association. Mais il refusa d’abord (je n’ai jamais été professeur d’histoire), mais nous lui avons dit qu’il était « un professeur d’histoire à la radio et à la Télévision pour le grand public », « un instituteur de l’histoire pour tous ». [2] Il révéla au grand public dans un article retentissant (« La colère d’Alain Decaux ») la situation de l’enseignement de l’histoire à l’école primaire et reçut 4 000 lettres de soutien (Le Figaro Magazine, 20 octobre 1979). [3] Un redressement eut lieu dès le ministère Beullac, puis Alain Savary, enfin Jean-Pierre Chevènement.

Alain Decaux avait créé et animé avec André Castelot « La tribune de l’histoire » (1951-1997), puis à la télévision animé « la Caméra explore le temps » (1956-1966) avec ses complices André Castelot et Stellio Lorenzi, puis ce fut « Alain Decaux raconte » (1969-1981) et « le dossier d’Alain Decaux », « one man show » qui passionna le grand public. Préparées soigneusement avec des recherches personnelles, la quête de documents et d’archives inédites (affaire Ben Bella, affaire Rajk), ces émissions avaient un grand retentissement auprès des téléspectateurs. Alain Decaux avait le respect de son public. Entré à l’Académie française en 1979, il y défendit l’histoire et son enseignement, la langue française à travers le Dictionnaire de l’Académie. En politique, Alain Decaux était d’une gauche « à la Victor Hugo ». Il avait signé en tant que chrétien un appel à voter François Mitterrand. Devenu ministre délégué chargé de la francophonie sous le gouvernement de Michel Rocard (1988-1991), il s’attacha au rayonnement de la langue française à travers le monde.

Très jeune, il découvrit Alexandre Dumas. A l’âge de 11 ans, il dévora Le Comte de Monte-Cristo en 5 volumes que lui avait offert son grand-père instituteur, puis il chercha dans les livres d’histoire, à l’âge de 15 ans, si ce que racontait Alexandre Dumas était vrai. [4] Il avait une passion pour les grands écrivains du XIXème siècle et leur consacra des biographies, en particulier Victor Hugo et Balzac (Dictionnaire amoureux de Balzac). Il fut l’un des rares biographes d’Auguste Blanqui, en s’appuyant sur les travaux de Maurice Dommanget et d’Henri Guillemin : « Ecrire la vie de Blanqui, c’est retracer l’histoire des révolutions du XIXème siècle ». [5] Il s’intéressait aux grands destins (Destins fabuleux, 2015).

II aimait le théâtre (il avait gardé l’appartement de Sacha Guitry alors qu’il avait été arrêté à la Libération), devint son ami et écrivit les textes des spectacles de Robert Hossein qui drainèrent les foules ; « Danton et Robespierre » fit un tabac en 1979, des scénarios de films...

Passionné en fait par l’histoire, les histoires de l’Homme, pas seulement des dirigeants mais aussi des humbles, Alain Decaux s’impose comme un grand passeur d’histoire. Ernest Labrousse, un grand auteur de l’histoire économique moderne, disait qu’Alain Decaux « a donné ses lettres de noblesse à la vulgarisation ». Voilà pourquoi l’association tient à rappeler qu’il a mené ce combat avec nous, ce qui est passé sous silence par des auteurs qui ignorent tout de cette histoire.

A son épouse Micheline, à sa fille et à ses deux fils, l’APHG exprime toute sa vive sympathie et son soutien.

Hubert Tison

Paris, le 30 mars 2016. © La Rédaction d’Historiens & Géographes. Tous droits réservés.

Illustration en "une" : Alain Decaux en 2011. Source

Notes

[1Secrétaire général de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie, Directeur de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes.

[2Alain Decaux, Le tapis rouge, Perrin, 1992.

[3Dossier « Combats pour l’histoire et la géographie » (Sous la direction de Daniel-Jean Jay et Hubert Tison) in Historiens & Géographes, n° 276, décembre 1979.

[4"Entretien avec Alain Decaux. Un conteur d’histoire", catalogue de l’exposition de l’APHG « Des repères pour l’Homme », BPI du Centre Georges-Pompidou,1982.

[5« L’Histoire et la Géographie dans les médias », Historiens & Géographes, n° 277, février-mars 1980.