« Howard Zinn : Une histoire populaire américaine » Critique de film

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Par Jacques Portes [1]

« Howard Zinn : Une histoire populaire américaine »,
Film d’Olivier Azam et de Daniel Mermet, 2015
Premier épisode.

Howard Zinn (1922-2010), né d’une famille d’immigrés juifs venus de l’empire austro-hongrois, ouvriers à Booklyn, a fait des études d’historien en même temps qu’il militait activement dans tous les combats de son temps : droits civiques, opposition à la guerre du Vietnam etc... Cette double expérience lui a fait découvrir des aspects méconnus, qu’il a fouillé systématiquement pour écrire son grand ouvrage, Une histoire populaire des États-Unis, paru pour la première fois en 1980. Le succès a été rapide, avec des millions d’exemplaires vendus dans les vingt ans qui ont suivi tant aux États-Unis que dans de nombreux autres pays comme la France, où l’ouvrage a trouvé un large écho grâce à la puissante tradition anti-américaine qui y subsiste.

Zinn, interviewé dans le film présente très honnêtement son projet : redonner toute leur importance aux luttes de classes qui ont façonné les États-Unis, alors qu’elles étaient absentes des manuels scolaires et des habitudes scolaires. Ce juste constat à l’époque où il a écrit son ouvrage est aujourd’hui modifié, car les manuels américains donnent depuis leur place aux luttes sociales comme aux oppositions à la guerre.
Le documentaire, dit par la chaude voix de Daniel Mermet, est le premier d’une série de trois, afin de couvrir l’ensemble de l’œuvre de Zinn.

Il traite du début de la carrière de Zinn, de sa contribution à la mise à jour de grandes luttes sociales, en particulier celle de Lawrence (Massachussetts) en 1912, qui a été marquante, mais aussi des ses prises de position sur le syndicalisme, sur la répression sauvage des Industrial Workers of the World à Ludlow (Colorado) en 1913 et sur les débuts de la Première guerre mondiale causée, selon lui, par la volonté du gouvernement américain de briser le mouvement social.

Le traitement choisi par Olivier Azam est classique pour les documentaires : une image apparaît immédiatement quand un personnage ou un lieu est cité, souvent d’origines diverses, ce procédé frise parfois le kaléidoscope. Des caricatures de quelques grands personnages comme John D. Rockefeller s’animent pour émettre des phrases bien senties.

Quelques erreurs auraient pu être évitées, même si on les trouve chez Zinn : les terribles événements de Haymarket en 1886 ne sont pas cause directe de l’institution du 1er mai férié en Europe ; le torpillage du Lusitania en 1915 n’est pas la cause de la guerre déclarée deux ans plus tard, la responsabilité des hommes d’affaires est loin d’être à la base de la guerre, même s’il est facile de trouver une déclaration dans ce sens.

La dernière partie du documentaire ne suit plus le livre de Zinn mais aborde la censure de la Première guerre mondiale et les horreurs qu’elle a occasionnées, en faisant porter mécaniquement la responsabilité aux intérêts économiques.
Cela nuit à la cohérence du propos qui avait été maintenue jusque-là et l’interprétation biaisée sur ce point que défendent Zinn et le journaliste Chris Hedges ne sont pas les plus convaincantes.

Jacques PORTES
Historien de l’Amérique du Nord

1er Mai 2015 - Revue Historiens & Géographes. Tous droits réservés.

Notes

[1Jacques Portes est Professeur émérite d’Histoire américaine à l’Université de Paris VIII- Vincennes. Il a présidé l’APHG de 2007 à 2011. Il est Président d’Honneur de l’Association.