Par Bernard Puissacq [2]
Un buste vient d’être dévoilé sur la tombe de Jacques Decour, professeur d’allemand au lycée Rollin, Résistant, arrêté par la police française de Vichy et remis aux autorités allemandes d’Occupation, fusillé comme otage le 30 mai 1942. Ce buste est le fruit de la volonté des membres de l’Association Sauvons le patrimoine !, du sculpteur Peter Thomas, de la Fonderie des Cyclopes et de la générosité de nombreux donateurs.
Jacques Decour aimait la langue allemande et savait en faire profiter ses élèves ; il avait créé plusieurs revues avec des amis sûrs, notamment L’Université libre avec les professeurs Solomon et Politzer dès l’automne 1940. Plusieurs articles, écrits par lui, y dénonçaient les méfaits du régime de Vichy et de l’Occupant.
Ses élèves ne l’avaient pas oublié. A la Libération, certains envoyèrent des messages au journal Les Lettres Françaises dont Jacques Decour fut l’un des fondateurs. Ils témoignaient de son engouement pour la culture allemande. "Nous nous rappellerons longtemps ses cours d’allemand vivants, loin du savoir livresque… Nous avions des cahiers bourrés de notes… En fait, une base de culture artistique… En été, on entendait clamer dans la cour, par les portes ouvertes, des lieder, des fragments de symphonies enregistrées sur disques…"
Jacques Decour repose ici depuis 70 ans… Si l’on connait son action comme "Résistant intellectuel", peu d’entre nous ont une connaissance précise de ses prises de position hardies contre le propagande d’Otto Abetz et de ses valets de Vichy, lui qui défendait la culture universelle.
Déjà en juin 1939, Decour avait écrit une série d’articles dans la revue littéraire Commune, créée en juillet 1933 sous l’égide de Paul Nizan et de Louis Aragon. Il y dénonçait les atteintes contre la culture allemande. Rappelons que les premiers bûchers de livres avaient débuté en avril 1933 quelques semaines après l’arrivée d’Hitler au pouvoir. L’un de ses articles, datant de juin 1939 mentionne que des écrivains éminents, juifs et non juifs, avaient dû s’exiler d’Allemagne. Il fait même le parallèle entre ces exils et celui d’Heinrich Heine qui s’était réfugié en France, un siècle plus tôt pour fuir la "réaction".
Heinrich Heine, l’auteur du célèbre poème "La Lorelei", est enterré dans ce cimetière de Montmartre et Decour de citer "les Libéraux de Vienne" qui lui ont fait construire un tombeau avec ces vers gravés en allemand :
Du Voyageur lassé ?
Sous les palmiers du Sud ?
Sous les tilleuls près du Rhin ?
Peu importe… Ici et là
J’aurai sur moi le ciel de Dieu
Et les étoiles de la nuit
Pour veilleuses funéraires."
Curieuse impression que produisent ces vers quand on sait qu’ils peuvent aussi s’appliquer au sort du Résistant Jacques Decour, reposant à quelques pas de la tombe d’Heinrich Heine.
Bernard Puissacq
Voir en ligne : Sauvons le patrimoine ! Association pour la préservation et la valorisation des richesses patrimoniales du collège-lycée Jacques-Decour
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Illustration : Pierre Favre, Jacques Decour, l’oublié des Lettres françaises, 1910-1942, Farrago (26 novembre 2002), 379 pages.