En 1721, le duc d’Orléans assure la Régence du royaume. Le pays est exsangue, miné par les guerres de Louis XIV. Afin de consolider la paix entre la France et l’Espagne, en accord avec le souverain espagnol, le Régent décide de fiançailles croisées. Si le jeune Louis XV doit convoler en justes noces avec l’infante d’Espagne, la propre fille du duc doit épouser le prince des Asturies, héritier du trône espagnol.
DEUX MARIAGES ET DES ENTERREMENTS
Auteur du roman La Chambre des officiers, qui évoquait les gueules cassées de la Grande Guerre, Marc Dugain adapte ici le roman éponyme de Chantal Thomas, qui a d’ailleurs co-signé le scénario. Le film met donc en scène des enfants qui sont des instruments géopolitiques et dont les titres les transcendent et déterminent leurs vies. Dugain n’est pas homme à trahir l’histoire en plaçant une paire de Converse au détour d’un plan. Il n’est pas non plus dans l’admiration stupide d’un passé où une minorité de privilégiés présidait au destin de plus de 20 millions de personnes, comme l’avait finement souligné Pierre Goubert. Son regard sur la société de cour, sans doute aiguillé par les recherches de l’auteur du roman, nous montre l’envers du décor versaillais, à savoir une société minée par le deuil, une colonie de jalousies et un espace où le pouvoir obsède. Otages d’une Realpolitik de l’hymen et du berceau, les enfants en deviennent rapidement les victimes. Les interprétations des uns et des autres sont d’ailleurs remarquables et participent à la qualité du film.
UN FILM D’UN AUTRE GENRE
Les historiens du genre filmique auront sans doute des soucis pour classer ce titre. Est-ce un exemple de l’Heritage Film, chasse longtemps gardée des Anglo-Saxons ? Si l’importance des costumes et l’origine littéraire tire L’Échange des princesses vers ce courant, on ne trouve pas les autres éléments caractéristiques comme le budget pharaonique ou l’approche nostalgique et enthousiaste du passé. Marc Dugain livre en effet un portrait de Versailles sans concession, lieu d’un grand enfermement, espace où le clinquant des dorures s’efface devant les bassesses humaines. Il nous semble que le film relève plutôt d’une tradition française bien établie, celle des films en costumes avec (notamment) André Hunebelle et plus récemment Christopher Gans. Certes, Dugain nous filme un Versailles délocalisé… en Flandre. Les contraintes techniques et/ou financières (?) l’ont empêché de filmer dans le « vrai » château. Mais les spectateurs ne seront pas déçus. Les « décors » sont somptueux, magnifiés par un éclairage finement travaillé. Les adeptes des productions comme Le Bossu (1959) ou Le Capitan (1960) etc. y retrouveront les éléments du « genre » pour leur plus grand plaisir. Par ailleurs, Marc Dugain ajoute un titre de plus aux films mettant en scène le Régent, dont Bertrand Tavernier avait, avec Que la fête commence (1975), livré un portrait saisissant. L’Échange des princesses s’inscrit bel et bien dans une solide tradition.
En définitive, le film intéressera aussi bien les étudiants et nos collègues modernistes, les aficionados d’un genre filmique hier vigoureux, et les enseignants d’histoire-géographie et de lettres, plus toutes celles et tous ceux qui cherchent à passer un bon moment au cinéma.
POUR ALLER PLUS LOIN
Un dossier pédagogique est téléchargeable sur le site Zéro de conduite :
http://www.zerodeconduite.net/lechangedesprincesses/dossier_pedagogique.html
Un entretien avec l’historienne Pascale Mormiche sur la conception de l’enfance à l’époque du film est également disponible sur ce même site :
http://www.zerodeconduite.net/lechangedesprincesses/entretien.html
- ERLANGER, Philippe, Le Régent, Paris, Gallimard, 1966 [1938].
- PETITFILS, Jean-Christian, Le Régent, Paris, Fayard, 2013 [1986].
- THOMAS, Chantal, L’Échange des princesses, Paris, Seuil, 2013.
© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 18/01/2018.