L’Histoire de l’enseignement en France, XIXe-XXIe siècle compte-rendu de lecture / Histoire contemporaine

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Compte rendu de lecture de Jean-Noël Luc, Jean-François Condette, Yves Verneuil, L’Histoire de l’enseignement en France, XIXe-XXIe siècle, Paris, Armand Colin, 2020.

Par Emma Papadacci. [1]

L’Histoire de l’enseignement en France, XIXe-XXIe siècle, publié chez Armand Colin en 2020, est avant toute chose un ouvrage impressionnant par son ambition et son ampleur, tant de la période choisie – plus de deux siècles ; des pans étudiés – la totalité de ce que regroupe le terme d’« enseignement » ; que de la finesse et précision du contenu.

Les trois auteurs, Jean-Noël Luc, Jean-François Condette et Yves Verneuil, sont des historiens majeurs de l’histoire de l’éducation en France. Jean-Noël Luc est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne et grand spécialiste de l’histoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’éducation ainsi que de la force publique telle que la gendarmerie. Jean-François Condette, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lille et membre de l’Université d’Artois, s’intéresse à l’histoire de l’éducation à travers le biais des élèves, de l’École et les guerres ou encore des années de la massification scolaire. Yves Verneuil enfin, professeur en sciences de l’éducation à l’Université Lumière Lyon 2, travaille plus spécifiquement sur l’enseignement secondaire, les professeurs agrégés mais aussi le syndicalisme enseignant.

Cette somme peut être vue comme une synthèse exhaustive de l’histoire de l’enseignement dans la lignée de l’Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967 [2] d’Antoine Prost, ainsi complétée, enrichie et actualisée. Les trois auteurs se sont appuyés sur une bibliographie immense, intégrant tous les courants historiographiques qui ont traversé l’histoire de l’éducation, depuis les ouvrages fondateurs comme ceux d’Antoine Prost, entre autres, jusqu’aux renouvellements historiographiques les plus récents, en passant par les apports de la sociologie et des sciences de l’éducation.

Le découpage chronologique des trois premières parties de l’ouvrage, « Le système scolaire, du Premier Empire aux années 1870 » (Partie I), « De la république enseignante aux « Années noires » (1880-1944) » (Partie II) et « L’école de masse, des Trente Glorieuses aux années 2010 » (Partie III), indispensable pour traiter plus de deux siècles d’histoire de l’enseignement, permet d’avoir une vision claire des évolutions, ruptures et continuités.
Un premier temps se distingue autour de l’enseignement pendant les deux premiers tiers du XIXe siècle, permettant de comprendre comment l’enseignement s’est progressivement développé en France, grâce à des politiques éducatives cruciales et comment il s’est concrètement matérialisé pour les enseignantes et enseignants comme pour les élèves.
La deuxième partie s’arrête d’abord sur le moment décisif des lois Ferry (1881-1882) et le véritable tournant qui s’opère autour de la laïcisation. Cette partie se poursuit jusqu’à la rupture occasionnée par la Seconde Guerre mondiale, minorant peut-être un peu les transformations produites par la Grande Guerre.
Le troisième temps revient sur le grand moment de la massification scolaire de l’après 1945 jusqu’à la réforme Haby (1975) et interroge ensuite notre époque, des années 1970 jusqu’aux réformes les plus actuelles (réforme Blanquer, 2018).
La quatrième et dernière partie « La scolarisation en France : coups d’œil sur une évolution séculaire » complète le panorama en terminant par une lecture thématique de ces deux siècles d’histoire de l’enseignement. L’ouvrage revient sur les conflits et débats de ces dernières années à propos de l’enseignement scolaire en France. S’il n’ignore pas les dysfonctionnements possibles, ce livre permet de replacer l’histoire de l’enseignement dans le temps long et de rappeler ainsi l’importance du service public de l’Éducation nationale et de ses enseignantes et enseignants.

Ce livre, s’il met en avant les politiques éducatives, les grandes lois ou réformes, comme on peut le voir dans le découpage chronologique choisi, n’est pas uniquement la synthèse d’une histoire institutionnelle de l’enseignement. Bien au contraire, les auteurs ont eu le souci d’incarner cette histoire à travers tous les acteurs scolaires en s’appuyant sur la multiplicité des sources, en développant certaines fois des études de cas à l’échelon local par exemple et en étant attentifs aux pratiques et vies scolaires des acteurs.

Par cette approche, soucieuse de la nuance, les trois historiens ont, à de nombreuses reprises, rappelé et déconstruit des préjugés longtemps véhiculés. On pense entre autres aux lois de Jules Ferry qui ne s’imposent pas dans une France qui serait éloignée de toute scolarisation comme on le croit habituellement et qui ne résolvent pas non plus tous les obstacles ; à la « guerre scolaire » qui avant 1850 était en fait davantage marquée par la complémentarité que par la concurrence ; aux événements de Mai 68 enfin dont il faudrait légèrement relativiser la rupture.

Cet ouvrage est d’autant plus riche que les trois auteurs ont cherché à ne négliger aucun aspect du sujet, même des pans qui ont pu rester longtemps en marge de l’historiographie. D’abord et de manière systématique, les enseignements primaire, secondaire et supérieur sont étudiés à part égale. Il en va de même ensuite pour l’enseignement masculin et l’enseignement féminin. Enfin, l’enseignement technique, l’enseignement professionnel ou l’enseignement dans les colonies par exemple ne sont pas non plus oubliés.

En plus d’être passionnant, ce livre s’avère accessible et particulièrement utile aux spécialistes comme aux non-spécialistes ainsi qu’aux enseignants et enseignantes. La rigueur et la précision des données, les « repères chronologiques » en fin d’ouvrage, la bibliographie très actuelle, les cartes, figures et autres tableaux statistiques font de ce livre la synthèse de référence sur l’histoire de l’enseignement en France depuis le début du XIXe siècle jusqu’à nos jours, dans laquelle on peut piocher toutes les informations que l’on recherche. Ainsi, nous ne pouvons que souhaiter que cet ouvrage ouvre la voie à des synthèses similaires sur d’autres pays et permette ainsi de nouvelles approches comparatives et transnationales de l’histoire de l’enseignement.

Site de l’éditeur

© Emma Papadacci pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 25/02/2022.

Notes

[1Doctorante au Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP) et au LIER-FYT (EHESS)

[2Antoine Prost, Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967, Paris, Armand Colin, 1968.