L’Invention de l’histoire nationale en France : 1789-1848 Compte-rendu de la rédaction

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David GAUSSEN, L’Invention de l’histoire nationale en France : 1789-1848 ; préface de François Hartog, Marseille, Editions Gaussen, 2015, 327p. – 25 euros.

On ouvre ce livre en maugréant - « encore un livre sur l’histoire romantique et sur l’organisation de la science historique par François Guizot sous la Monarchie de Juillet ! » - mais on le referme heureux d’avoir bénéficié d’une stimulante leçon d’histoire qui ne correspond nullement à ce que l’on redoutait. Prenant à rebroussepoil les ouvrages canoniques de l’histoire de l’historiographie, David Gaussen évoque de manière novatrice ce qu’il appelle avec raison la naissance et le développement d’une histoire nationale savante. Elle se construit, de l’époque du Directoire à la Seconde République, en opposition à la fois à l’histoire monarchique, dominante sous l’Ancien Régime, et aux chantiers érudits patronnés par l’Etat entre 1830 et 1848, en voulant rendre compte du passé de toutes les composantes de la nation. Son livre se révèle ainsi déterminant pour au moins trois raisons : il propose une nouvelle généalogie des sociétés qui animent la recherche scientifique ; il fait émerger des figures de savants peu ou mal connues ; il s’appuie sur un socle documentaire en grande partie renouvelé.

Il montre d’abord de manière convaincante que, sous la Monarchie de Juillet, l’Institut historique fut la plus grande association vouée à l’animation de la recherche historique en France et qu’elle fut un concurrent redoutable pour la Société de l’Histoire de France protégée par Guizot. Il exhume des archives la Société bibliophile-historique, lancée par une bande d’amis qui se sont connus sur les bancs du lycée Louis-le-Grand à Paris en 1834-1835 et dont l’aventure se poursuit, au Quartier latin, à travers la direction de revues comme l’Etudiant et le Journal des Ecoles. Certes, le parcours de la Société fut bref : de 1835 à 1839. Cependant, ce lieu de convivialité fut aussi un vivant espace de réflexion sur ce qu’était le métier d’historien, qui a grandement contribué à faire émerger de nouvelles figures dans la recherche savante.

Parmi celles qui s’imposent dans le livre de David Gaussen – même si elles n’étaient pas inconnues de Sophie-Anne Leterrier, un peu trop absente, à mon goût, de ce livre, malgré la brève note 3 de la page 285 qui la cite – trois méritent assurément d’être valorisées par lui : Amans-Alexis Monteil (1769-1850) ; Félix Bourquelot (1815-1868) et Henri Bordier (1817-1888). Par son Histoire des Français des divers états du XIVe au XVIIIe siècle, Monteil renouvelle l’histoire en dénonçant « l’histoire-bataille » - il est bel et bien le premier à employer cette expression péjorative reprise plus tard par Lucien Febvre – et en privilégiant une authentique histoire sociale de la France. Bourquelot et Bordier, deux chartistes disciples d’Augustin Thierry (ce n’était pas incompatible), furent d’infatigables promoteurs critiques de la professionnalisation de la recherche historique. Les intuitions pionnières du premier – ses études sur le suicide et son histoire économique des foires de Champagne au Moyen Age (il était natif de Provins) - en font un véritable précurseur des problématiques de l’Ecole des Annales.

On pouvait craindre que ce livre si savant, qui porte sur l’érudition de la première moitié du XIXème siècle, soit fort ennuyeux. Or, il n’en rien. Adossé à la correspondance de Bordier, de Bourquelot, de Léon Gautier, Gaussen sait reconstituer avec vigueur et humour le bouillonnement créatif des Années romantiques. On y voit Bourquelot, jeune, combattre les vieilles barbes de son temps, puis, devenu un digne professeur, endormir son auditoire par son débit monocorde…

Pourquoi, ces associations et ses animateurs ont-ils été ainsi oubliés ? David Gaussen nous propose une explication pertinente. Lorsque Gabriel Monod lance, en 1876, la Revue historique, manifeste autant politique que scientifique d’une nouvelle manière de Faire de l’histoire influencée par les valeurs républicaines – le combat pour la laïcité et la démocratie –, il aurait délibérément fait l’impasse sur les chantiers de rénovation de l’histoire des années 1830-1848 – notamment ceux de Bordier et de Bourquelot, pourtant d’authentiques laïques eux aussi - pour mieux placer son entreprise scientifique dans le sillage exclusif du prophète Michelet et en amplifier ainsi le caractère novateur sur le plan professionnel et intellectuel. Par sa capacité à nous faire découvrir de nouveaux horizons, l’ouvrage de David Gaussen me semble en tout cas le complément naturel de celui de Sylvain Venayre : les Origines de la France : quand les historiens racontaient la nation, paru, en 2013, aux éditions du Seuil.

© Christian Amalvi pour les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 07/01/2017. Tous droits réservés.