L’école de la République se meurt. Lettre ouverte aux élus de notre pays Tribune soutenue par l’APHG

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L’école de la République se meurt. Lettre ouverte aux élus de notre pays.

Par Élodie Lecuppre-Desjardin [1] et Renaud Le Goix. [2]

En pleine crise sanitaire, pendant que la France regarde ailleurs, que chacun se soucie légitimement des chiffres de progression de la Covid, de ses contaminés, de ses morts, que tous, dans un effort sans précédent, multiplient les sacrifices pour tenir le virus à distance au risque de perdre leur emploi et de fragiliser des liens sociaux et familiaux essentiels aux jeunes comme aux plus âgés, les ministères de la recherche et de l’éducation nationale avancent à peine masqués pour achever de détruire la transmission des savoirs dans notre pays.

La nouvelle réforme des concours d’enseignement du second degré, qui avait déjà fait l’unanimité contre elle l’année dernière, au point que le gouvernement avait dû la suspendre, est de retour avec la promesse d’une mise en application dès la rentrée prochaine. [3]

Après avoir multiplié les pétitions, les lettres, les tribunes, les demandes de rencontres - toutes ignorées avec le plus grand mépris -, au bout de notre espoir et de notre foi en notre métier, nous en appelons aujourd’hui, nous, enseignants et étudiants, à nos élus de tous bords confondus pour stopper cette machine infernale qui, au mépris de l’avis éclairé et unanime des principaux intéressés, porte un coup fatal à la qualité des enseignements dispensés aujourd’hui dans notre pays dans un esprit d’égalité des chances que nous tentons de maintenir tant bien que mal.

Le nouveau CAPES (Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement du Second degré) se réduira dans les mois prochains à un entretien d’embauche destiné à évaluer le degré de motivation des candidats, leur capacité à « tenir » une classe selon leur « connaissance de l’environnement et des enjeux du service public de l’éducation », et à adopter des techniques pédagogiques qui feront d’eux des animateurs scolaires interchangeables. Pour le dire simplement et brutalement, en appliquant une solution simpliste et à courte vue, les ministres associés répondent à la chute d’attractivité du métier en baissant le niveau de recrutement. Si le salaire n’est pas assez élevé au regard du diplôme, alors baissons les exigences du diplôme pour maintenir un salaire indigne, qui figure parmi les plus bas d’Europe. Faut-il y voir un lien avec un autre classement catastrophique tel que celui révélé par l’enquête Timss en 2020 et qui place les résultats en mathématiques de nos enfants à la dernière place des pays européens et à l’avant-dernière des pays de l’OCDE ? Faut-il s’alerter du recrutement via pôle emploi des enseignants en mathématiques faute de candidats au CAPES de cette discipline ? Apparemment non, puisque nos ministres ont décidé de généraliser ce type d’embauche et de remplacer l’épreuve disciplinaire qui, elle-même, avait déjà était réduite en 2010, par un oral de motivation mené par un jury extérieur à la profession, en sacrifiant au passage la qualité d’enseignement et donc l’avenir de nos enfants. Savoir-faire, faire savoir, mais sans savoir : le nouveau Capes est arrivé !

Le monde de l’éducation est comme la grenouille de l’expérience qui, plongée dans une eau froide que l’on porte progressivement à ébullition, s’engourdit et s’habitue à résister comme elle le peut à la hausse de température jusqu’à claquer subitement au dernier degré supplémentaire. Avec cette énième réforme, qui s’inscrit dans une longue et triste lignée de mesures qui toutes ont contribué à dégrader les conditions de travail et les chances de réussite de notre jeunesse, un dernier coup est porté. Et celui-ci risque bien d’être fatal.

Que chacun comprenne que ce qui touche aujourd’hui une corporation ne sera pas sans conséquences sur la construction des savoirs et l’avenir de nos enfants. Il en va de la responsabilité de nos élus, qui ont laissé passer ce décret, comme ils ont voté la loi de programmation de la recherche contre l’avis d’une majorité de chercheurs, eux aussi malmenés dans leur discipline au point d’aller exprimer leur excellence à l’étranger. Puisque nous ne sommes ni entendus, ni écoutés, c’est à vous mesdames et messieurs les députés, les sénatrices et sénateurs, c’est à vous mesdames et messieurs qui briguent une candidature aux élections présidentielles de la République de prendre vos responsabilités et de sauver ce qui reste de notre école républicaine qui ne fait malheureusement plus rêver et qui ne portera plus les ambitions de la jeunesse en France, décidément bien maltraitée.

© Elodie Lecuppre-Desjardin et Renaud Le Goix pour Historiens & Géographes n°453 - Tous droits réservés. 09/03/2021.

Notes

[1Professeur d’histoire médiévale à l’Université de Lille.

[2Professeur de géographie à l’Université de Paris.

[3Sur ce sujet et sur la LPR [loi sur la programmation de la recherche], voir Élodie LECUPPRE-DESJARDIN et Renaud LE GOIX, « Enseigner et chercher au pays des Shadocks… », Historiens & Géographes, n°449, février 2020, p. 25-27.