L’enracinement, à l’ombre des cafés (un documentaire) Compte-rendu de la rédaction / Géographie

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Par Yohann Chanoir. [1]

L’enracinement, à l’ombre des cafés, Arthur Binninger, Antoine Machuel, Clément Simon, Fr., 2016, AMAC, 52 minutes.

Documentaire réalisé par trois anciens lycéens rémois dont des ex-élèves de l’auteur de ces lignes, L’Enracinement s’intéresse à la disparition d’un lieu de sociabilité typiquement français : le café. Il en existait 200 000 en 1960, un peu plus de 41 000 en 2003, guère plus de 35 000 en 2011. En 2015, 6 000 établissements ont fermé. Afin de comprendre les raisons de cette hémorragie, ces trois amis d’enfance ont parcouru le Sud-Ouest pour interroger les tenanciers des cafés des petits villages.

Filmé sobrement, avec une bande-son ingénieuse et éclectique, le documentaire laisse émerger deux grandes figures de tenanciers : d’une part, ceux qui ont connu la « Belle Époque » d’une clientèle fournie, et, d’autre, ceux plus jeunes, qui tentent de reconquérir le client dans des territoires en perdition. Le spectateur s’apercevra d’ailleurs que la profession se féminise, attirant davantage les femmes dans ces lieux naguère très masculins. Bref, le « gros rouge » et le « petit jaune » sont concurrencés par le cocktail, alors que le demi résiste toujours… Ce documentaire est ainsi une évocation d’un art de vie à la française, en frôlant parfois l’esprit des Brèves de comptoir. Aucun des spectateurs ne pourra plus désormais avaler une chips sans penser à un petit café du Sud-Ouest. Dans cette terre, les stratégies adoptées pour sauver le café et souvent son village, ou pour vivre tout simplement de son bien, sont plurielles : offrir de nouvelles activités comme des soirées à thème, vendre des produits de terroir (foie gras, miel…), ouvrir une épicerie, devenir un centre PMU.

On plonge donc dans le quotidien de ces hommes et de ces femmes, des Colette, Jean-Claude, Véronique, Jos et Marion... On s’aperçoit que leurs jours sont éperonnés par les taxes, les factures et les prélèvements du RSI. Les pouvoirs publics, à l’exception des maires des petites communes, s’occupent bien peu de ces bistrots. Les grandes déclarations sur la lutte contre la désertification des espaces ruraux, sur la redynamisation des territoires sont sans effet sur la détresse des zincs de nos campagnes. Outre de belles images sur les paysages d’été, le documentaire nous offre ainsi une vraie réflexion géographique et politique.

Premier film du trio, qui a su trouver des sponsors, qui a tourné en 2015 et monté le soir en 2016, L’Enracinement possède d’évidentes qualités. Le spectateur reste toutefois un peu sur sa soif. 52 minutes (sur 25 heures de rushes), c’est un peu court. Nous espérons donc que les patrons nous offriront bientôt une seconde tournée ! En attendant ce moment, l’addition est plaisante. Sans être des professionnels de l’image, les trois auteurs ont réussi un tour de force : faire parler des personnes plutôt habituées à écouter. Les tenanciers, ces « prêtres du zinc », se sont pourtant confessés sans fard à nos trois impétrants. Qu’ils se rassurent, ils n’ont pas été trahis ! Ce film leur rend un hommage aussi sincère qu’il est mérité.

Quant à voir d’anciens élèves sur la scène, des deux côtés de la caméra, présenter leur beau projet dans une salle comble de notre ville, c’est un immense plaisir personnel que tout enseignant devrait connaître une fois dans sa carrière.

© Yohann Chanoir pour la revue Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 04/03/2017.

Pour plus d’informations ou organiser une projection : alombredescafes@gmail.com

La bande-annonce est visible à cette adresse et ci-dessous : https://vimeo.com/176038614

L'enracinement, à l'ombre des cafés - Bande-annonce from AMAC on Vimeo.

Notes

[1Agrégé d’Histoire, Professeur d’Histoire-Géographie en section européenne allemand au Lycée Jean Jaurès de Reims, Secrétaire de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes.