L’exposition universelle de Milan : premier bilan Revue numérique

- [Télécharger l'article au format PDF]

Par Sophie Canova [1]

L’exposition universelle qui s’est tenue à Milan, en Italie, pendant 6 mois (du premier mai au 31 octobre 2015) vient de clore ses portes. Sur les 168 pays membres du BIE (Bureau International des Expositions, qui gère les conditions de déroulement de ces événements), 147 pays y ont participé.

On peut dès lors essayer de dresser un premier bilan de ces six mois d’activités liées au thème « Nourrir la planète, énergie pour la vie ». Le thème de la nourriture et de ses enjeux planétaires était bien évidemment lié aux huit objectifs du millénaire, lancés par l’ONU en l’an 2000, et qui sont arrivés à échéance en septembre 2015 ; il s’agit donc d’étudier les divers aspects de la "mise en œuvre" du thème par les autorités italiennes et les participants. L’EXPO 2015 a-t-elle réellement permis de mieux comprendre les enjeux alimentaires globaux pour l’avenir ?

I- Une exposition universelle marquée par son "italianité"

Une "italianité" qui ne s’exprime pas, comme on pouvait le constater à quelques semaines de l’ouverture de l’EXPO, à travers les affaires de corruption et les retards accumulés sur le chantier mais plutôt à travers des choix concernant le site mais aussi par le biais d’une forte présence italienne.

Le site

Le vaste site choisi, au nord-ouest de la ville et en grande partie dans sa banlieue proche, a permis aux architectes de rappeler le rôle de l’eau dans les paysages et l’agriculture de la Lombardie. En effet Milan se situe dans la zone des résurgences des eaux (fontanili) qui se sont infiltrées dans les Alpes calcaires et qui ressortent au contact de la plaine padane. Les cultivateurs ont depuis de nombreux siècles appris à canaliser ces eaux afin de les exploiter, en particulier pour la riziculture. C’est ainsi que le site de l’exposition était presque entièrement entouré d’un canal (comme on peut le voir sur la carte) qui passait au pied de l’arbre de la vie (lake arena) où se tenaient des spectacles de jets d’eau et de feux d’artifice le soir. Les visiteurs ont aussi eu à leur disposition de nombreuses fontaines où ils pouvaient gratuitement boire et faire provision aussi bien d’eau plate que d’eau gazeuse. Le rappel au monde de l’agriculture se fait aussi grâce à la préservation du seul édifice qui n’a pas été construit pour l’EXPO, mais seulement rénové, qui est un ancien bâtiment de ferme (la cascina Triulza) accueillant des membres de la société civile.

La structure interne avec les deux axes principaux se croisant reprenait la structure des villes romaines avec un decumanus faisant la longueur (ouest/est) du site et sur lequel on trouvait les pavillons, qui croisait le cardo (au niveau de l’arbre de la vie), axe choisi pour installer les bâtiments liés à l’Italie.

Enfin, à l’extrémité orientale du site, un espace "collinaire" avait été créé afin de montrer la végétation typiquement méditerranéenne mais le résultat était mitigé car cet espace se tenait près de la bretelle d’autoroute (avec le corollaire du bruit) et ne présentait pas un aspect paysager très fourni.

La charte de Milan

Bien avant l’ouverture de l’EXPO la municipalité milanaise, s’était engagée dans le cadre du sommet de Johannesburg des villes du réseau C40 [2], en février 2014 ; en effet son maire G. Pisapia, déclarait alors "la production, la transformation et la distribution de la nourriture, ainsi que le gaspillage alimentaire, nous concernent de très près pour notre proche avenir. Je voudrais impliquer toutes les villes présentes.... EXPO 2015 nous offre une grande occasion.... Là où les états ne réussissent pas à obtenir de résultats, les synergies entre les villes peuvent, en revanche, vaincre les défis auxquels nous devons faire face".

Cette initiative a été suivie de faits concrets puisqu’en septembre 2014 les villes du C40 ont défini le contenu du pacte et l’EXPO a été le moment où la municipalité milanaise a soumis les propositions de ce pacte aux citoyens qui pouvaient montrer leur adhésion en le signant. Le "Milan Urban Food Policy Pact" appelé plus simplement la charte de Milan a obtenu un million de signatures de la part de la société civile mais aussi de représentants politiques. Sa reconnaissance officielle, au niveau national et international, est intervenue à l’EXPO le 16 octobre 2015 en présence du président de la république italienne, M. Matarella, et du secrétaire général de l’ONU, M. Ban-Ki Moon et, bien entendu de M. Pisapia. Le document [3] a déjà été ratifié par 116 villes dans le monde. L’objectif, dans le cadre global de "zéro faim", est celui de développer (au niveau urbain) des systèmes alimentaires permettant d’avoir une nourriture saine et abordable dans le respect de l’environnement. Le président Matarella a invité les acteurs institutionnels à poursuivre leurs efforts au delà de l’Exposition universelle et G. Pisapia a déclaré qu’il s’agissait d’"un jour spécial pour Milan, pour l’Italie et pour le monde".

La présence multiforme de l’Italie

L’Italie est présente à travers de nombreux édifices qui sont, pour la plupart, dans la position centrale du carrefour. En effet le pavillon de l’Italie (dont le coût final s’est élevé à 92 millions d’euros !) a été installé le long du cardo, à côté de l’arbre de la vie [4] donc dans une position stratégique attirant les visiteurs qui désiraient voir les spectacles de l’arbre de la vie. Mais la présence italienne allait bien au-delà de ce pavillon national et s’exprimait à travers des acteurs et édifices variés.

La gastronomie italienne a été mise à l’honneur le long du cardo, le croisement avec le decumanus a d’ailleurs été baptisé "piazza Italia", et elle constituait la place d’arrivée pour tous les touristes arrivant en voyages organisés par bus (entrée de cascina merlata au sud). On y retrouvait ainsi des pavillons vantant et vendant des produits italiens ; mais la présence d’agents économiques était plus diffuse avec d’autres localisations, comme on peut le voir sur la carte (n’y sont pas indiqués les très nombreux points de vente constitués de petits stands comme ceux, par exemple, de la société Ferrero).

On peut subdiviser ces "pavillons" en catégories différentes :

ceux des sociétés qui produisent ou vendent des aliments.

ceux des représentants de la société civile.

ceux des sociétés qui n’ont aucun lien avec l’alimentation.

L’Italie a profité de l’EXPO pour mettre en valeur ses produits gastronomiques, qui connaissent un succès certain au-delà des frontières grâce à la vogue du régime alimentaire méditerranéen (dit régime crétois) et des plats / produits italiens. C’est ainsi que de nombreuses entreprises comme Citterio pour la charcuterie ou les glaces Algida (italiennes à l’origine), des producteurs de boissons comme les bières Poretti et Moretti ou la société Martini, le pavillon Eataly (vente et restauration de produits italiens labellisés pour la plupart), la société Ferrero (Kinder) se sont dotés de "pavillons". La chaîne de supermarché Coop a présenté le supermarché du futur (Future Food District) afin de donner une idée des formes de ventes et de consommation (pour ceux qui en auront les moyens) qui pourraient se développer à l’avenir. Rien de révolutionnaire en la matière si ce n’est que les "étiquettes" électroniques de chaque produit donnent sa valeur nutritionnelle et son empreinte écologique. Le pavillon de "Cibus è Italia" (de l’association "federalimentare") a servi de vitrine aux entreprises agro-alimentaires, les produits étant présentés par groupe (lait et dérivés, viande, pâtes....).

On peut donc voir que l’EXPO a été une bonne occasion de promotion et de vente pour les producteurs italiens. Enfin, le "biodiversity park" dont le nom évoquait un espace de biodiversité était en fait un supermarché de produits biologiques italiens (y compris du non alimentaire).

Les représentants de la société civile étaient peu nombreux car la plupart des associations et ONG ont refusé de participer à l’EXPO en dénonçant, d’une part, une exposition des multinationales illustrée par la présence emblématique et discutée des pavillons de Coca Cola et Mc Donald’s (dans la perspective de nourrir la planète ?). D’autre part, en arguant du fait que le prix du billet d’entrée (39 euros en plein tarif) ne permettait pas à tous d’accéder au site. C’est pour cette raison que ces associations ont créé un mouvement alternatif ("EXPO dei popoli", l’EXPO des peuples) à l’extérieur du site (à la "fabbrica del vapore" à Milan) mais qui a eu un impact très limité.

D’autres ont décidé de répondre présent comme la "Caritas" (ONG de la conférence épiscopale italienne), les Salésiens de Don Bosco (institut religieux de droit pontifical), l’association des agronomes ou encore "Slow food", association internationale no profit, visant à promouvoir des produits traditionnels du terroir. On peut regretter que cette dernière association ait été reléguée dans la partie orientale et ait reçu moins de visiteurs que d’autres pavillons. Il en a été de même pour la cascina Triulza, siège central de la société civile, décentrée par rapport au decumanus, le lieu le plus fréquenté était le "bazar" avec un artisanat venant de tous les continents et le stand de fabrication et vente du fromage Grana Padano. Les associations présentes ont souvent organisé des débats intéressants autour du thème des productions agricoles, de la souveraineté alimentaire, des formes de solidarité mais n’ont pas bénéficié d’une forte communication et ces actions sont restées, la plupart du temps, réservées aux travailleurs du secteur. Il est vraiment dommage que la plupart des visiteurs de l’EXPO, par manque d’information en amont, n’aient pas été (ou faiblement) présents dans les espaces consacrés à la société civile.

Tous les acteurs de la société civile ne sont pas présents sur la carte car ils ne disposaient pas de lieu dédié ce qui n’a pas empêché certains d’entre eux d’être très actifs pendant six mois comme le Banco Alimentare (ONG cofondée par l’organisation catholique Comunione e Liberazione et le patron de l’IAA Star) qui a récupéré les aliments invendus (fruits, pain, sandwichs...) sur le site.

Neuf tonnes ont été ainsi collectées pendant les trois premiers mois grâce à des volontaires équipés d’une bicyclette avec un grand casier, afin de les redistribuer (dès le soir même et, au plus tard, le lendemain matin) à des centres caritatifs et à ceux accueillant les immigrés d’Afrique et du Proche-Orient.

Le Banco Alimentare a ainsi démontré, à l’échelle locale, qu’il est possible de limiter le gaspillage et de redistribuer l’alimentation.

Enfin la présence quelquefois insolite de sociétés italiennes ne montrant aucun lien avec le thème de l’EXPO a pu surprendre comme la "Veneranda fabbrica del Duomo" (société qui s’occupe de la gestion et de l’entretien du Duomo de Milan) qui attendait le visiteur venant du métro au début du decumanus avec une réplique de la statue de la Madonnina qui domine la cathédrale milanaise. Etaient aussi présentes avec leur pavillon des entreprises aussi diverses que Technogym (fabriquant de machines pour salles de sport qui s’est engagé dans un programme intitulé "bouger pour un monde meilleur"), le Corriere della sera (journal édité à Milan), Ovs-Excelsior (société gérant de grands magasins comme le groupe COIN) choisie comme "official retailer" (création des objets-souvenirs de l’EXPO comme des tee-shirts), l’ENEL (distribution d’électricité), le groupe de marketing Alessandro Rosso, la compagnie aérienne Alitalia Etihad, la banque Intesa San Paolo (un des sponsors officiels). Pour terminer on trouvait aussi la confindustria, l’équivalent italien du MEDEF.

On peut donc dire que le monde de l’entrepreneuriat italien était bien représenté et certainement mieux que la société civile mais ces pavillons ont été globalement peu fréquentés par le grand public davantage attiré par les "sensations" ou l’"exotisme" offerts par les pavillons nationaux malgré les queues qui se sont allongées après les deux premiers mois où l’affluence avait été "maigre".

II- L’EXPO : un tour du monde en 184 jours

Une des puissantes raisons qui attire les millions de visiteurs des expositions universelles est l’impression que le monde vient à votre porte et c’est souvent davantage la curiosité de découvrir les pavillons de pays lointains qui sert d’aimant plus que le thème de l’exposition lui-même. Si cela est vrai pour Milan disons que le thème de "nourrir la planète" a attiré beaucoup de visiteurs qui l’ont, de manière souvent involontaire, confondu avec le thème de la gastronomie. L’EXPO s’est ainsi transformée en une occasion de manger autrement, de découvrir de nouvelles saveurs et de nouveaux produits, en particulier pour les Lombards qui ont pleinement profité des billets à tarif réduit (5 euros) qui permettaient d’entrer après 18h (après 17h à partir de septembre au vu d’une affluence grandissante), alors que pratiquement tous les pavillons fermaient à 20h. Pour ces visiteurs du soir l’EXPO devenait alors un lieu récréatif afin de boire, manger, regarder et écouter des spectacles jusqu’à 23h.

Si les visiteurs ont transformé l’EXPO en grande foire de la nourriture c’est aussi en grande partie lié aux choix de la plupart des pays présents (avec des excellences gastronomiques pour certains pavillons) qui ont mis en scène leur pavillon dans ce sens (comme pour le pavillon de la France).

Il est donc nécessaire de faire un état des lieux concernant les pavillons nationaux.

La carte illustre la participation massive avec les 147 pays qui ont participé à l’EXPO. [5]

On note une représentation mondiale importante avec au moins deux tiers des pays présents par continent : 70% des pays africains, 72,3% pour l’Asie par exemple. Mais pour appréhender le poids spécifique de chaque continent il vaut mieux étudier le graphique ci-dessous.

Les pays présents à l’EXPO par continent

Quand on rentre dans le détail en différenciant les pays qui ont eu les moyens financiers de construire leur propre pavillon on note de fortes inégalités puisque le graphique montre qu’aucun pays d’Océanie n’avait de pavillon, que seuls 7,9% des pays africains avaient le leur, en l’occurrence : l’Angola, le Maroc et le Soudan alors que 71,8% des pays européens étaient représentés (34,8% des pays d’Amérique, 55,9% pour l’Asie).

En comparant avec une carte par anamorphose des PIB on peut mieux mettre en évidence ces disparités puisqu’il y a une forte corrélation entre les pays possédant leur propre pavillon et le niveau de richesse du pays.

PIB-PPA en dollar par pays en 2014 (Source : http://www.worldmapper.org/display.php?selected=164)

C’est ainsi que la Chine, premier PIB mondial, a investi 60 millions d’euros dans son pavillon. La France, quant à elle, a dépensé environ 20 millions d’euros. Quand on constate la représentation des pays d’Afrique sur la carte on comprend mieux pourquoi seize d’entre eux ne sont pas présents et trente-cinq n’ont pas dépensé pour la construction d’un pavillon. Mais au-delà des frais, dimensions et architecture (très diversifiée) des pavillons nationaux, il est plus intéressant de faire un état des lieux de ce que les visiteurs ont pu voir à l’intérieur.

Reprendre de manière exhaustive le contenu des pavillons serait long et fastidieux, mais on peut constater que beaucoup d’entre eux reflétaient la volonté de leur gouvernement d’utiliser l’EXPO comme vitrine afin de se faire connaître du grand public pour susciter une curiosité et donc un flux touristique. Ces pavillons vendaient donc une image afin d’attirer des voyageurs (cela a été le cas de beaucoup de pays d’Asie centrale) ou se transformaient en boutique de l’artisanat comme dans le pavillon vietnamien. Ces pavillons ne présentaient pas ou très peu d’éléments liés au thème, on peut ainsi citer le pavillon de l’Autriche où a été reconstituée une forêt dans le but de faire la promotion du bon air et la nature.... Plus surprenant était le choix de l’Angola qui a investi dans un grand pavillon de trois étages où étaient mises en valeur les ressources minières et autres ainsi que les valeurs de la société avec le rôle des femmes ainsi que l’investissement dans l’éducation (éduquer pour innover) mais où les problèmes alimentaires n’apparaissent qu’en filigrane et en les cherchant bien...

La plupart des autres pays ont cherché à montrer et à vendre leur gastronomie (sodas, caviar et vodka dans le pavillon de la Russie....), puisque beaucoup de pavillons avaient leur restaurant ou leur boutique, et c’est ce qui a attiré les foules d’ailleurs. Les visites ont permis d’appréhender de façon souvent ludique (vidéo, écrans interactifs....) quelles étaient les productions de ces pays liées à un environnement particulier (Maroc, Chili, USA). Les pavillons des pays semi désertiques du Proche et Moyen Orient ont souvent fait un travail didactique intéressant sur le fait de pouvoir produire dans des conditions extrêmes (pour pallier le manque d’eau en particulier).

Au final très peu de pavillons ont su mettre en scène la problématique posée par le thème : nourrir la planète. Néanmoins certains ont essayé de transmettre un message dans ce sens. Il serait trop long de faire une étude exhaustive, on peut prendre quelques exemples pouvant illustrer la diversité des approches.

Le pavillon de la Corée du Sud a ainsi utilisé des œuvres d’artistes contemporains pour mettre en scène le gaspillage alimentaire et les disparités dans l’accès à la nourriture (cf photos), l’autre aspect était centré sur la méthode traditionnelle de conservation de la nourriture par fermentation (hansik) afin de conserver sans gaspiller.

Parmi les mises en scène les plus pertinentes, on trouvait le pavillon de la Suisse constitué de quatre tours qui avaient été remplies de produits alimentaires (5 tonnes de pommes séchées, du café, de l’eau et du sel) que tout visiteur pouvait prendre gratuitement. Au fur et à mesure que les tours se vidaient de leurs produits (le pays n’a plus rempli les tours, le défi étant d’arriver au 31 octobre avec encore des stocks) la plateforme de visite s’abaissait afin de faire prendre conscience aux visiteurs de la baisse des ressources alimentaires mais aussi de leur comportement de consommateur (les derniers visiteurs trouvent les tours vides), le guide incitait à ouvrir les sachets de pommes et à les partager. Mais à la mi-octobre les tours de l’eau et des pommes étaient complètement vidées de leur contenu, un message qui en dit long sur nos façons de consommer...

Les pavillons les plus attrayants par leur architecture ou leur mise en scène n’étaient pas nécessairement les plus intéressants. La Chine a, avant tout, misé sur son histoire et ses paysages avec une belle mise en scène d’un champ de céréales formé de leds mais le contenu était décevant. Seul un petit espace était consacré aux efforts faits sur la sécurité de la filière alimentaire, qui est en effet une préoccupation importante en Chine.

Le Brésil où le public faisait une longue queue pour déambuler dans un énorme filet suspendu au-dessus de la végétation et ne prenait pas nécessairement la peine de visiter l’intérieur du pavillon, avait pourtant fait un effort notable afin, à la fois, de montrer la place très importante des productions alimentaires du pays dans la production et l’exportation au niveau mondial et d’afficher la volonté de sauvegarder l’environnement en limitant la pollution, en utilisant les agro carburants (ce qui n’est pas vraiment compatible avec le thème de l’EXPO) et en préservant la biodiversité. Après cet état des lieux des panneaux expliquaient comment le pays a réussi à relever le défi d’éradication de la famine en accroissant sa productivité grâce à des innovations (semis sur la paille) et à l’aide technique et financière apportée aux paysans ; mais l’état a voulu montrer que son engagement ne s’arrête pas là puisqu’il aide les Brésiliens les plus pauvres à accéder à la nourriture grâce à des aides financières (la bolsa familia), la création de cuisines communautaires avec des repas à un prix très bas et l’éducation à de bonnes habitudes alimentaires.

Quand on compare le pavillon brésilien à celui de la principauté de Monaco on se demande, de l’extérieur, ce que peut bien contenir ce petit bâtiment fait de conteneurs empilés. Le pavillon monégasque est l’illustration du fait qu’on peut avoir ciblé le thème de l’EXPO sur une superficie réduite. En effet la principauté, en quelques vidéos et panneaux, met en avant les préoccupations pour les ressources halieutiques en méditerranée, tant pour la pêche (elle s’oppose à la pêche du thon rouge) que pour les problèmes de pollution ; mais elle montre aussi des engagements de solidarité à travers le monde comme le soutien apporté aux éleveurs de yacks de Mongolie ou la fourniture de fours à bois à combustion plus efficace au Burkina Faso afin de limiter la déforestation. Enfin, allant dans le sens de la durabilité, le pavillon est destiné à être réinstallé au Burkina Faso pour devenir un centre de secours de la Croix Rouge.

Les pays participants ont aussi fait l’effort, pour la plupart, de ne pas se limiter à des attractions folkloriques mais aussi de proposer des conférences et débats au cours desquels les intervenants avaient l’opportunité d’aborder le thème des ressources alimentaires de façon plus ciblée et approfondie, malheureusement la présence d’auditeurs était très limitée (sauf quand il y avait une célébrité politique ou médiatique) et force est de constater que sur les 20 millions de visiteurs estimés très peu ont participé à ces initiatives.

Si les pavillons nationaux ont rarement réussi à mettre en scène les enjeux de l’EXPO, la création de clusters thématiques apparaissait comme une approche alternative intéressante.

III- Les clusters : une approche thématique qui reflète la mondialisation alimentaire ?

Parmi les 147 pays participants 94 étaient présents à travers les neuf clusters thématiques qui étaient disséminés sur le site. La représentativité des pays par continent est figurée sur le graphique suivant (sur le graphique, en rouge, lire : dont les pays présents dans les clusters).

On note une sur représentation des pays en voie de développement avec 100% des participants venus d’Océanie et 92% des pays d’Afrique.

Les regroupements étaient conçus selon deux axes :

 des caractéristiques environnementales : îles, mer et nourriture ; les zones arides et enfin bio méditerranée.
 la typologie d’aliments : riz, fruits et légumes, épices, céréales et tubercules, cacao et chocolat, café.

La visite des clusters permet-elle de mieux comprendre les productions, commercialisation et distribution de ces produits ? En partie oui car les murs externes des édifices ont été utilisés par les organisateurs comme lieux d’informations, certains clusters étaient aussi dotés de petits jardins qui permettaient au public de mieux connaître la variété des plantes. Chaque cluster disposait aussi d’un point d’information de l’ONU avec des données chiffrées et des cartes.

Tout cela constitue l’ossature commune mais le contenu des salles était laissé à la discrétion du pays en question, les résultats ont donc été très divers.

Les clusters par zones géographiques

Le cluster le plus décevant était certainement celui des îles, mer et nourriture qui offrait pourtant l’opportunité de se pencher sur les ressources halieutiques or aucun des douze pays (essentiellement les Caraïbes avec la CARICOM et l’Océanie) présents ne les évoquaient ; leur stand présentait des jus de fruits, du rhum et de l’artisanat. Les Maldives offraient de belles photos de paysages marins mais pour vanter la plongée et le tourisme, seul le point ONU donnait des informations sur la pêche.

Le cluster des zones arides regroupait neuf pays dont sept pays d’Afrique (Erythrée, Libéria, Mali, Mauritanie, République Centre Africaine, Sénégal, Somalie) et deux d’Asie (Jordanie et "Palestine"). Chaque salle offrait une mini exposition de paysages, produits de l’artisanat et produits alimentaires (avec un mini marché de produits en boite). Le tout étant globalement décevant voire surprenant en ce qui concerne la salle occupée par la "Palestine", transformée en boutique de souvenirs pour pèlerins chrétiens...

Le cluster bio méditerranée apparaissait plus vaste et mieux équipé (voir schéma) avec 10 pays dont 6 européens, trois africains et le Liban pour le Proche-Orient.

Mais là aussi les disparités existaient : l’Albanie ne proposait que quelques informations touristiques tout comme le Monténégro avec une jolie décoration basée sur la production de laine (!), l’Egypte avait investi dans la reconstitution historique (en 3D) de l’époque des pharaons. Un seul pays approchait une partie du thème, la Serbie avec des références au partage et à la solidarité. Le point ONU était aussi décevant puisqu’il se focalisait sur les ressources fossiles. La cour intérieure aménagée avec quelques oliviers en pots accueillait les visiteurs attirés par les spécialités gastronomiques siciliennes ; le supermarché n’offrait quant à lui ni fruits et légumes, ni fromages frais alors qu’on aurait pu penser que le cluster ferait référence au "régime crétois".

Les clusters par produits alimentaires

Le cluster du riz était pauvre en informations, le Basmati pavillon présentait quelques graines mais surtout de l’artisanat indien ce qui surprenait au premier abord mais qui devenait compréhensible quand on finissait par comprendre (mais ce n’était pas évident) que l’Inde occupait ce pavillon. Les autres pays avaient affiché quelques photos, montraient quelques sacs de riz, quelquefois des instruments agricoles mais sans explication d’accompagnement ce qui laissait le visiteur sur sa faim...

Il en était de même pour les autres clusters :

 les clusters fruits, légumes et épices étaient installés dans une logique de proximité et de continuité ; l’extérieur avait été équipé de mini jardins où étaient cultivés essentiellement des légumes et des aromates ainsi que quelques plantes à fruits. Le cluster des fruits et légumes regroupait sept pays : quatre pays d’Afrique (Bénin, Gambie, Guinée équatoriale, Zambie) et trois pays d’Asie (Ouzbékistan, Kirghizistan et Sri Lanka).

La plupart des salles ne présentaient que des photographies ou des conserves de fruits et légumes. Le Kirghizistan insistait sur les paysages et certains fruits (abricots, prunes...) avec leur valeur nutritionnelle ; le plus intéressant était présenté par l’Ouzbékistan qui voulait montrer comment le pays était passé d’importateur à exportateur de céréales, la diversité des fruits et légumes et la modernisation de la chaîne de production afin d’éviter les pertes.

Un marché faisait le lien entre les deux clusters, on aurait pu y trouver des produis frais ou des épices mais en fait il s’agissait d’une exposition /vente de la société agroalimentaire chinoise Huiyan qui faisait la promotion de ses produits en boite.

 Pour le cluster des épices constitué de trois pays d’Afrique (République démocratique du Congo, Guinée et Tanzanie), deux d’Asie (Afghanistan, Brunei), neuf pays d’Océanie avec le Vanuatu et le Pacific Island Forum ; la visite s’avérait peu instructive puisque la plupart des salles n’offraient rien en relation avec les épices ou bien offraient des épices en vente (le safran d’Afghanistan ou des sachets d’épices de Zanzibar pour la Tanzanie) mais sans aucune illustration et explication.

 le cluster des céréales et tubercules comprenait sept pays dont quatre pays africains (Congo, Mozambique, Togo et Zimbabwe) et trois pays américains (Bolivie, Haïti et Venezuela). Il est intéressant de constater que sur ce thème, correspondant à la base de l’alimentation dans tous les pays du monde, il y ait aussi peu de pays et surtout qu’aucun des grands producteurs de céréales n’y soit présent (conséquence de la logique des pavillons nationaux). Les espaces extérieurs étaient occupés par de mini jardins, la plupart de ces pavillons offraient peu d’informations (Haïti vantait son rhum et ses paysages par exemple), certains ont fait des efforts de présentation de la diversité des plantes (la Bolivie pour les tubercules et leTogo pour les céréales), le Venezuela occupait le plus vaste espace mais n’offrait pas beaucoup plus d’explications (quelques prospectus avec les plats régionaux et les valeurs nutritionnelles) si ce n’est que le pays "nourrit la conscience de son peuple" (sic). Deux éléments pouvaient retenir l’attention, celui du point ONU qui évoquait le problème de la dégradation des sols et le Congo qui montrait sa disponibilité à vendre ou louer des terres arables, un aspect des productions agricoles très peu évoqué à l’EXPO. Pour terminer, force est de constater que l’affluence était beaucoup plus importante au stand de vente de pizzas situé dans le cluster....

 le cluster du cacao et chocolat et celui du café étaient contigus, ces deux espaces ont été probablement les deux clusters les plus fréquentés (pour d’évidentes raisons) mais ils étaient aussi intéressants quant à leur organisation.

On peut déjà faire quelques constats à partir du schéma suivant :

On note que le nombre de pays participants était plus limité avec seulement six pays mais que le cluster présentait des pavillons de multinationales (Lindt) ou de sociétés italiennes fabriquant du chocolat.

Les murs extérieurs offraient quelques informations sur l’économie du cacao.

Certains pays avaient des expositions où le chocolat était le grand absent comme pour Cuba et le Gabon, d’autres offraient peu d’informations (quelques photos) et peu de produits finis (Cameroun et Sao Tomé Principe où on trouvait du chocolat du pays transformé et vendu par l’ONG italienne Alisei).

Le Ghana et la Côte-d’Ivoire avaient fait un plus grand investissement dans la mise en scène et le matériel didactique avec deux prospectus (cf illustration), c’étaient les deux seuls pavillons dans lesquels on pouvait avoir un bref aperçu de la filière de transformation du cacao, le Ghana était le seul producteur présent à vendre des produits entièrement fabriqués dans le pays par la société ghanéenne Golden Tree.

Prospectus mis à disposition des visiteurs par la Côte d’Ivoire et le Ghana.

Si le visiteur voulait avoir des informations plus précises sur les phases de transformation du cacao il se rendait dans le stand de la société Lindt où l’attendaient une reconstitution des machines permettant l’élaboration du chocolat, une atmosphère chocolatée qui l’engageait à choisir parmi une multitude de produits en vente. Cette "pauvreté" d’exposition des pays producteurs face à l’abondance des stands des entreprises européennes offrait un contraste saisissant qui résumait les rapports de force mondiaux entre fournisseurs de matière première et multinationales. L’afflux sur le cluster était aussi dû au grand nombre de points de vente pour amateurs de chocolat.

On retrouvait la même dynamique dans le cluster du café composé de dix pays : cinq africains (Burundi, Ethiopie, Kenya, Ouganda, Ruanda), trois américains (Guatemala, République dominicaine, Salvador) et deux asiatiques (Timor est et Yémen).

Pratiquement tous les pavillons présentaient plus d’artisanat que d’explications concernant le café, seuls le Kenya et le Ruanda (Gorilla’s coffee) vendaient leur café national. Pour connaître les phases de la torréfaction mais aussi pour déguster, bien évidemment, les visiteurs avaient à disposition (au centre du cluster) le pavillon et bar de la société italienne Illy ; c’est là que l’animation était la plus forte car il y organisait aussi, chaque semaine, des "workshop" et conférences (cf illustration).

Mise en scène extérieure avec de faux conteneurs de café fournissant des informations.

La visite des clusters s’est donc avérée à la fois décevante par la pauvreté d’informations idoines dans de très nombreux cas mais aussi intéressante car elle permettait de voir la diversité de situations de pays qui n’avaient pas les moyens (ou qui n’ont pas su) d’investir sur ce projet se contentant d’essayer de faire la promotion touristique de leur pays ; comparés aux pavillons nationaux et de certaines multinationales le contraste évoquait de façon très claire les inégalités économiques mondiales.

On peut regretter que les propositions faites par le comité milanais, dans le dossier de candidature au BEI en 2007, n’aient pas été maintenues. Le dossier prévoyait en effet une déclinaison du thème en sept sous-thèmes (la science pour la sécurité et la qualité alimentaires, l’innovation dans la filière alimentaire, la technologie pour l’agriculture et la biodiversité, l’éducation alimentaire, la solidarité et la coopération alimentaire, l’alimentation pour les meilleurs styles de vie, l’alimentation dans les cultures et dans les ethnies) qui auraient permis une approche beaucoup plus intéressante et innovante dans un monde où continuer à penser au niveau national apparaît de plus en plus obsolète.

L’EXPO 2015 a été vécue par le visiteur "lambda" comme une grande foire gastronomique où l’Italie se taillait la part belle. On peut regretter que la logique des pavillons nationaux ait encore prévalu sur celle, plus intéressante, des clusters thématiques qui aurait permis à des pays plus ou moins riches d’œuvrer ensemble pour mettre en scène la thématique de manière plus appropriée Néanmoins il est juste de noter que l’EXPO a été un laboratoire d’idées (dont la charte de Milan est l’élément émergent), un lieu de rencontres et de débats pour politiciens, économistes et autres... qui a permis des échanges fructueux à travers des milliers d’événements qui se sont déroulés (en moyenne quarante par jour) sur le site mais qui supposait, pour les citoyens intéressés, un coût d’entrée élevé pour y participer.

On peut espérer que les échanges entre personnalités de pouvoir se transformeront rapidement en actions, permettant une meilleure répartition des denrées alimentaires sur la planète ; puisque les 17 nouveaux objectifs de l’ONU pour l’horizon 2030 comprennent toujours "d’éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable".

L’article complet - © Sophie Canova / Historiens & Géographes DR

© Sophie Canova, novembre 2015.

© Les services de la revue Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 25/01/2016.

Notes

[1Professeure d’Histoire-Géographie au Lycée Stendhal de Milan (AEFE). Elle a notamment publié dans la revue Historiens & Géographes et le site de l’APHG : "L’EXPO 2015 de Milan et les infrastructures de transport", 8/05/2015, en ligne : http://www.aphg.fr/L-Expo-2015-de-Milan-et-les-defis

[2groupe de 40 métropoles se réunissant afin d’évoquer les changements climatiques mais, de façon plus générale les enjeux du développement durable. http://www.c40.org/

[3http://carta.milano.it/it/ On y trouve une version en français.

[4Ces deux éléments ainsi que le pavillon zéro situé à l’entrée ouest sont les seules constructions qui resteront, avec la cascina Triulza, après la démolition des édifices du site.