La Cité de la Mer, Cherbourg Dossier n°459 / Article

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Par Yannick Pincé et Myriam Ternant.

La Cité de la mer, Cherbourg-en-Cotentin (50100)

Historique

La Cité de la mer s’inscrit dans un site dont l’histoire coïncide avec celle de Cherbourg.
Alors que la construction de la plus grande rade artificielle du monde s’étale sur un siècle (1783-1895), le site est déjà le terminus de lignes ferroviaires internationales et le point de départ vers les États-Unis et le Royaume-Uni.

Achevée en 1912, la gare maritime est équipée d’une salle de restaurant et d’une salle des pas perdus. À ce titre, elle accueille le Titanic le 10 avril de la même année. Pendant une heure et demie, le géant des mers débarque 15 chanceux passagers et embarque 281 malchanceux, dont 21 Français, avant de quitter sa dernière escale continentale, à 20h10. Outre les 102 passagers de troisième classe, le paquebot contient à son bord 151 passagers de première classe parmi lesquels figurent quelques-unes des plus grandes fortunes du siècle, à l’instar du milliardaire John Jacob Astor, colonel, sa femme et leur fidèle compagnon canin. L’escale est également l’occasion de s’approvisionner en produits du luxe agricole français : vins, notamment vins de champagne, et fromages divers.

En 1913, près de 70 000 passagers transitent par la ville. Si le flux est provisoirement stoppé par la Première Guerre mondiale, il ne reprend pas dans les mêmes proportions ensuite, en raison notamment de la loi des quotas promulguée par les États-Unis. En 1922, la ville enregistre néanmoins encore une moyenne de 48 000 émigrants par an, principalement originaires de l’est, du sud et du centre de l’Europe.

C’est encore à Cherbourg que Charles Lindbergh fait halte en 1927, au retour de son vol transatlantique. Mais avec la crise de 1929, l’émigration transatlantique marque à nouveau le pas.

Toutefois s’impose la décision de se doter d’un espace encore plus monumental, à la hauteur des ambitions maritimes de la ville : l’architecte René Levavasseur, les ingénieurs Marcel Chalos et Raymond Fleury, ainsi que le décorateur Marc Simon, érigent le plus grand bâtiment français de style Art déco, « chef d’œuvre de l’architecture de voyage » (Gérard Destrais), surmonté d’un campanile de 70 mètres. La gare transatlantique est inaugurée en 1933 par le président de la République Albert Lebrun.

Jusqu’à sept trains – depuis la gare parisienne de Saint-Lazare, à 3h30 – et deux paquebots quotidiens y charrient les voyageurs, se croisant dans l’immense galerie couverte d’embarquement de près de 500 mètres, le long du quai de France.
L’heure de gloire de l’infrastructure est pourtant de courte durée, enrayée par les bombardements allemands du 23 juin 1944 et bien que reconstruite quatre ans plus tard, elle subit la concurrence croissante de l’aviation dans les années 1970. Menacée de destruction, elle ne doit son sauvetage qu’à son classement aux Monuments historiques en 1989.

En 2002, le joyau retrouve son éclat grâce à l’ouverture de la Cité de la Mer et son musée océanographique. Si sa fonction muséale est aujourd’hui bien établie, le site ne s’y limite pas, puisqu’il présente l’originalité d’être toujours actif avec son terminal croisières et 60 escales de paquebots en 2022.

Espaces extérieurs et jardin ©Vincent Rustuel Cité de la mer. DR.

Les espaces de la cité de la mer

La Cité de la mer comporte plusieurs « espaces » muséaux :

  L’océan du futur
17 aquariums dont un aquarium abyssal de 10,7 mètres de profondeur, permettent d’observer de nombreuses espèces marines, de l’infiniment petit jusqu’aux cachalots et aux requins.
Le parcours entièrement rénové en 2019 est mis en relation à partir de bornes multimedias avec les témoignages de scientifiques, de passionnés et d’explorateurs des abysses. Beaucoup ont bénéficié du soutien de la Cité de la mer comme l’apnéiste Laurent Marie dont le frère, Vincent, a filmé ses rencontres avec la biodiversité et les populations de l’Arctique dans Les Harmonies invisibles en 2021.

L’océan du futur ©Vincent Rustuel Cité de la mer. DR.

  La grande galerie des engins et des hommes

Le grand hall de la Cité de la mer, en accès gratuit, est d’emblée digne d’intérêt puisque l’on y distingue encore les emplacements des voies et des quais des trains qui déversaient les voyageurs pour que ceux-ci puissent emprunter les escaliers en direction des salles d’embarquement.

Juste après la porte d’entrée, le visiteur peut s’arrêter devant un canon du corsaire sudiste l’Alabama, repêché en 1994. Il rappelle le combat qui vit le naufrage du navire face au nordiste Kearsage le 19 juin 1864, entré dans la culture par un tableau d’Édouard Manet et un album des « Tuniques bleues ». Cet affrontement face à Cherbourg, se fit devant de nombreux spectateurs puisque le Kearsage attendait la sortie de l’Alabama réfugié pour réparations dans le port. Trois marins sont enterrés dans le cimetière des Aiguillons faisant de Cherbourg, avec le site de l’épave, un lieu de mémoire de la guerre de Sécession.

Le visiteur se retrouve ensuite face à un ensemble de 14 sous-marins et bathyscaphes authentiques ou en maquette à échelle 1, qui permettent de prendre la mesure des progrès de l’exploration sous-marine. Cette diversité comprend notamment une réplique du Nautilus fabriqué par l’ingénieur américain Fulton passé au service de la France pour s’attaquer, sans succès, à la flotte britannique en 1800. On remarquera également des répliques de l’Alvin américain et des deux Mir russes qui réalisèrent des plongées sur l’épave du Titanic. Les Mir effectuèrent les prises de vues utilisées par James Cameron pour le tournage de Titanic.

La Grande Galerie des Engins et des Hommes ©B. Almodovar Cité de la mer. DR.

  Le Redoutable

La Cité de la mer offre une visite exceptionnelle puisque Le Redoutable est, dans le monde, le seul sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) accessible au public. Avant d’entrer dans le submersible, il convient de visiter les espaces pédagogiques expliquant les progrès de la réalisation de submersibles à vocation militaire qui soulignent la révolution que représente la propulsion nucléaire tant pour l’autonomie que la vie des équipages. Les explications méritent cependant quelques nuances puisqu’elles reprennent un narratif stratégique de la dissuasion nucléaire copie conforme d’une interprétation gaulliste de celle-ci. Or les travaux d’histoire nucléaire menés depuis les années 1990 ont démontré le rôle majeur de la IVème République ainsi que les difficultés techniques de conception du bâtiment, notamment en ce qui concerne la miniaturisation du réacteur, qui amenèrent à envisager que le sous-marin expérimental à propulsion diesel Gymnote, réalisé pour tester les missiles, soit mis en service actif. C’est un soutien américain qui permet de régler le problème, ce qui écorne le mythe de l’indépendance nationale gaullienne.

La visite du sous-marin en elle-même permet de prendre la dimension de cette révolution nucléaire et contribue à souligner la permanence des forces de dissuasion aujourd’hui. En effet, par de nombreux aspects, l’engin est proche des quatre actuels SNLE qualifiés de NG (nouvelle génération ou classe Triomphant, opérationnels à partir de 1997). Bien que plus longs de 10 m et plus larges de 2 m, les évolutions sont limitées. Il s’agit principalement de l’acoustique – pour conserver la discrétion – et l’armement – avec des missiles aujourd’hui mirvés (une à dix têtes nucléaires par missile). Notons enfin que des missiles antinavires « exocet » remplacent les traditionnelles torpilles.

La visite guidée, avec les explications d’un ancien commandant du bâtiment via l’audioguide, permet de découvrir les espèces de propulsion, la centrale électrique, le recyclage de l’eau de mer en eau douce et en oxygène pour la vie de l’équipage. Ses espaces de vie sont considérés comme confortables pour un sous-marinier (une bannette par marin) et indiquent que la seule limite est humaine : les vivres et la nécessité d’avoir une vie normale à terre. Le réacteur n’est évidemment plus visitable et est entreposé sur le site de Naval Group (entreprise de construction marine militaire succédant à DNCS puis DCN) avec ceux des cinq autres SNLE de la première génération.

On visite avec intérêt la tranche missiles (16), lieu de vie pour les activités sportives ainsi que le poste de commandement avec les instruments de pilotages, les cartes, les périscopes et les moyens de communication pour recevoir l’ordre de tir. La priorité de la patrouille et la permanence de la dissuasion se comprennent puisque pendant celle-ci (approximativement 70 jours) seules les bonnes nouvelles sont transmises par les familles à leurs proches. Les maladies, interventions, et soins dentaires sans gravité sont tous traités à bord comme l’indique la salle d’opération / cabinet dentaire.

Il est possible de mettre à profit la visite du Redoutable avec une classe de lycée pour se livrer à une réflexion sur la phraséologie gaullienne et la dissuasion. Dans un premier temps, les limites perceptibles du Redoutable, seulement vingt ans en service, permettent d’identifier le décalage entre les déclarations d’intention du général de Gaulle et les possibilités techniques et financières de la France. Les premiers missiles (extrêmement puissants, chacun représentant 15 fois la bombe d’Hiroshima, attention l’audioguide mentionne la troisième génération de missiles) n’ont qu’une portée de 2 000 km et ne pouvaient qu’être tirés en même temps vers un objectif unique, probablement Moscou. Le Redoutable entre en patrouille en 1971 et complète une flotte de bombardiers Mirage IV dont la faible portée permettait de ne viser que Leningrad ou bien une ville du sud de l’URSS. Ces limites sont à mettre en relation avec un discours de puissance tenu par de Gaulle et l’affichage d’une vocation « tous azimuts » selon le général Charles Ailleret en 1967. Surtout, un SNLE doit le tiers de l’année être mis en cale pour entretien. Il faut donc attendre 1974 pour que la France dispose d’une permanence de la « force de frappe ». Enfin, à l’appui du visionnage du film Le Chant du loup (Antonin Baudry, 2019), il peut être question de souligner l’ambiguïté du terme de « dissuasion », essentiellement utilisé en France pour désigner une arme de « non-guerre » dont pourtant tout est fait pour assurer la capacité de sa mise en œuvre.

Le Redoutable © A. Picot Cité de la mer. DR.

  Titanic retour à Cherbourg
Gravitant autour de la thématique du Titanic, la Cité de la mer a élaboré trois dispositifs :

La Salle des bagages, au cœur de l’ancienne Gare Maritime Transatlantique Art Déco, retrace de manière interactive le contexte plus large de l’émigration vers les Amériques. De fait, Cherbourg est un nœud dans les flux migratoires : les compagnies Cunard, White Star Line et Red Star l’ont dotée de l’Hôtel Atlantique, bâtiment de 5 400m² cumulant infrastructures d’hébergements et contrôles sanitaires, pouvant loger et restaurer 2 500 personnes par jour.
La gare maritime de Cherbourg fonctionne alors à plein régime, avec 7 à 8 escales quotidiennes et un afflux pouvant atteindre 1 500 passagers. La White Star Line y a installé ses locaux et affecté deux transbordeurs, le Nomadic et le Traffic, qui acheminent femmes, hommes, bagages, sacs postaux jusqu’aux paquebots transatlantiques tels que l’Olympic (1911) et le Titanic (1912).

Une zone immersive dévoile les dernières heures du « plus grand navire du monde », comme le titre le journal Cherbourg Éclair, le 10 avril 1912 : traversée, collision puis naufrage du « vaisseau de Gargantua [avec ses] 75 000 livres de viande, 15 000 bouteilles de bière, 10 000 de vin et 12 000 d’eau minérale » (Cherbourg Éclair). L’espace immersif est accolé à une salle dédiée à l’enquête sur la fin du paquebot de la White Star Line.

Une exposition permanente « Titanic, retour à Cherbourg », présente 53 artefacts prélevés sur ou à proximité de l’épave. Ces objets du quotidien lèvent le voile sur une traversée transatlantique à la Belle Époque, qu’il s’agisse de passagers de première, deuxième ou troisième classe : bijoux, montres, livres, accessoires de beauté, téléphone de bord, etc.

L’émission de Valérie Nivelon offre un embarquement sonore à bord de celui qui était alors réputé insubmersible.

Le Titanic ©Vincent Rustuel Cité de la mer. DR.

Pour les enseignants :

La Cité de la mer organise des cycles de conférences avec des experts de l’IFREMER et de géopolitique. À titre d’exemple, voici les conférences prévues en 2023 :

Niveau collège ou lycée :

L’océan profond : l’ultime frontière à explorer (collège) / L’économie bleue et l’équilibre des grands fonds (lycée) :

  • Les énergies fossiles
  • Les ressources minérales : cuivre, terres rares, nodules polymétalliques.
  • Les enjeux de l’exploitation des ressources sous-marines
Niveau lycée :

20 000 câbles sous les mers :

  • Les câbles sous-marins, autoroutes de l’information du télégraphe à internet
  • Les enjeux stratégiques de la sécurité collective :
    -la guerre des câbles
    -les câbles sous-marins, outils d’espionnage ?
    -la gouvernance internationale des océans
Projection du documentaire  : 20 jours pour Cherbourg :

À l’Auditorium de la Cité de la mer est projeté un documentaire sur la bataille de 20 jours dans le Cotentin, dont l’objectif consistait à libérer Cherbourg. L’œuvre est réalisée en partenariat avec le Mémorial de Caen et permet de saisir pourquoi la plage d’Utah-Beach a finalement été ajoutée au plan de débarquement par Eisenhower et comment Cherbourg a fait fonction, pendant plusieurs mois, du plus grand port logistique du monde au service des alliés.

Le site de la Cité de la mer propose également des ressources en ligne – dossiers thématiques, fiches –, en corrélation avec les programmes scolaires.

Activités pédagogiques à destination des collèges et lycées

Plusieurs approches pédagogiques sont proposées, y compris des activités :
  Activités :
o Dans la peau d’un émigrant
o Migrations européennes
o Partir vers l’Amérique, de l’individu à la grande histoire
o Activités pouvant faire l’objet d’EPI au collège :
https://www.citedelamer.com/enseignants/colleges-lycees/epi-college/
https://www.citedelamer.com/wp-content/uploads/2017/05/presentation-epi_redoutable_web.pdf
  Livret :
o Que mets-tu dans ta valise ?
  Ressources en ligne, en lien avec la médiathèque de Cherbourg :
o Conférence : « Entre deux mondes : les émigrants européens ».
o Le témoignage de monsieur Pivain : « souvenir d’enfance d’un gamin cherbourgeois ».
o Fiches : équipage du Titanic
o Dossier : la gastronomie à bord du Titanic
o Dossier : les objets du Titanic, restauration et conservation
o Dossier : les gares maritimes transatlantiques de Cherbourg
o Dossier : le Redoutable
o Dossier : les métiers à bord d’un sous-marin nucléaire

Contacts, liens et sources :

https://www.citedelamer.com/
Avec pour professeur référent en histoire-géographie, Jean-Luc Allais

https://cherbourg-titanic.com/

Autour de la Cité de la mer :

Les archives historiques de la défense sont ouvertes au public sur rendez-vous. Pour plus d’informations : https://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/centres-shd/cherbourg-centre-historique-des-archives-de-la-marine-en-atlantique-et-dans-le

© Yannick Pincé, Myriam Ternant pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 24/09/2022.