Lettre ouverte d’un collectif de collaborateurs de Jean-Louis Crémieux-Brilhac
L’Élysée et les médias ont fait, dès l’annonce de la disparition de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, l’éloge que méritait le résistant, le haut fonctionnaire et l’historien. Il fut également, comme l’a rappelé le président Hollande dans l’hommage national prononcé à l’Hôtel des Invalides le 15 avril dernier, « l’âme de la Documentation française, celui qui a porté cette volonté inédite de l’État de s’ouvrir aux débats publics et d’aider à la compréhension du monde ».
C’est vrai, Jean-Louis Crémieux-Brilhac n’a pas seulement mis la Documentation française sur les rails. Il a donné à cette institution publique au service de l’information des citoyens, le formidable élan qui a fait, jusqu’à ce jour, sa notoriété tant dans le monde administratif qu’universitaire, notamment grâce à ses publications. Au cours de ces dernières années, la Documentation française s’est dessaisie d’un certain nombre d’entre elles qui fournissaient des outils d’analyse sur des régions du monde mal documentées. D’autres avaient pour vocation d’alimenter le débat public sur la France, en proposant une approche distanciée, contradictoire et indépendante de l’actualité politique, économique et sociale. Or, leur utilité civique est plus forte que jamais.
Si la Documentation française a acquis une telle notoriété, c’est grâce à la personnalité de Jean-Louis Crémieux-Brilhac qui a su associer à sa rigueur intellectuelle la confiance qu’il accordait à ses collaborateurs. Ses remarques sur les manuscrits des « publications maison » qu’il annotait, parfois avec humour quand une idée ne le convainquait qu’à moitié, témoignaient toujours de son respect envers le travail de ses équipes et celui des auteurs. Pour nombre de ces derniers, publier à la Documentation française permet d’étendre leur audience au-delà du cercle des spécialistes.
Institution atypique, à la fois administration centrale et maison d’édition, la Documentation française a su conserver au fil des ans l’estime de ses publics (journalistes, étudiants, enseignants, fonctionnaires, etc.) parce qu’elle respecte le principe d’une information démocratique inscrit dans ses statuts au lendemain de la Libération. Jean-Louis Crémieux-Brilhac a dû les défendre à plusieurs reprises devant la représentation nationale et tous ses successeurs ont fait appel à ses conseils.
Aujourd’hui, la « marque DF », au sein de la Direction de l’information légale et administrative, porte toujours l’empreinte de l’héritage de Jean-Louis Crémieux-Brilhac. Mais pour combien de temps ? Une énième refonte de l’offre éditoriale, y compris de l’édition publique et institutionnelle, est à l’étude qui en restreindrait considérablement la diversité et la richesse. Faut-il comprendre, au vu de ces évolutions, que la pédagogie républicaine n’est plus aujourd’hui du ressort de l’État ?
Paris, le 25 avril 2015.
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