La Shoah et la rencontre des cultures (ARES 2017) Compte rendu de l’université d’été à Marseille

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Par Hubert Tison. [1]

La Shoah et la rencontre des cultures. Université d’été d’ARES (Association de la recherche et enseignement de la Shoah) avec le concours de l’APHG (Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie), Marseille, du 11 au 13 juillet 2017. Sous la Présidence du recteur Philippe Joutard.

L’association ARES avait invité pour son université d’été Simone Schwarz-Bart, écrivaine guadeloupéenne à venir témoigner de sa créolité. Associée étroitement au souvenir de son mari André Schwarz-Bart, écrivain juif chantre de la culture yiddish, Prix Goncourt pour Le dernier des Justes en 1951. Ce fut un moment magique quand lui fit dédié un poème écrit par Yves Yacouël mis en musique et chanté par Georgette Pantz à (l’ESPE et dans la bibliothèque du Mucem.

Mardi 11 juillet

Après l’accueil par la Présidente de l’ARES, Renée Dray-Bensousan, Philippe Joutard, Historien, ancien Recteur des Académies de Besançon et de Toulouse, ancien Président de la Régionale d’Aix-Marseille de l’APHG, souligne que l’approche de l’étude de la Shoah à ARES se renouvelle constamment à la lumière de nouveaux champs de recherche. "Cela fait 18 ans que se tiennent les université d’été d’ARES, c’est extraordinaire, c’est un défi. Car la disparition des témoins comme Simone Veil crée une obligation de transmette cette mémoire. Dans quel esprit ? Siégeant au jury du Prix Corrin avec Hubert Tison, je me souviens que Simone Veil qui présidait le jury aurait bien aimer ce thème, car elle ne voulait pas enfermer la Shoah. Sachez constamment vous renouveler, tel était son message et éviter le piège de la concurrence des mémoires."

Trois orientations :

1. Eviter de s’enfermer dans cet événement. Ce n’est pas nier le caractère exceptionnel, son unicité. S’intéresser au sort des gitans, des arméniens, des rwandais. Réfléchir aux liens entre les autres crimes de l’humanité. Parler de l’esclavage, notamment dans les classes où il y a de la diversité permet de faire taire les revendications contre le silence à son égard. Il faut situer l’histoire de la Shoah dans le temps long et court.

2. S’appliquer uniquement à l’émotion, faire pleurer aboutit à une impasse. Ce n’est pas faire honneur, ne pas respecter les victimes. La Résistance à la barbarie se tient dans les petits gestes des déportés. Primo Levi en donne de multiples exemples. Parmi les Justes, Philippe Joutard cite le pasteur Manin qui égrène tous les petits actes de résistance au camp des Milles et rend hommage aux parents qui acceptent de remettre leurs enfants aux organisations de sauvetage des enfants juifs. L’humour juif est aussi une forme de résistance.

3. L’expression artistique et littéraire. 1er exemple : le grand peintre Max Ernst s’oppose à l’art officiel prôné par le régime nazi. Il présente à Paris une grande exposition sur l’art libre. Pour les nazis, l’abomination de la désolation, c’est la culture juive.

4. Après le Seconde Guerre guerre mondiale, les survivants n’ont pas été écoutés « Quand nous sommes rentrés, on a cherché à raconter, personne ne nous a cru. Alors on s’est tu... Arrêtez, n’en parlez plus », témoigne Simone Veil. Il s’agissait de se reconstruire, de s’intégrer dans la société des Trente Glorieuses.

10h à 11h30 : Un paradigme de la rencontre des cultures : Simone Scharwz-Bart.

Simone a connu très tôt André. Il a rencontré l’incompréhension à l’évocation de la Shoah. Avec son époux la culture antillaise et la culture juive s’unissent. Par l’écriture littéraire, par l’art, on peut dépasser le malheur et en faire un moyen d’informer. C’est l’union du créole et du yiddish. Le génocide et la traite des noirs deux épopées, deux histoires de sang mêlé.

Après la mort d’André, il a fallu se reconstruire et continuer l’oeuvre grâce à Elie Duprey, agrégé d’histoire, qui vient aider Simone à classer ces archives dans sa maison de Guadeloupe. Simone lit plusieurs textes d’André. Elie parle du cycle antillais, Adieu Bogota, Paris, années 1950...

"Marie travaille dans une maison de retraite. D’origine antillaise, elle s’est liée d’amitié avec Jeanne dont elle s’occupe avec douceur et humanité qui lui raconte sa vie. Avant de mourir Jeanne l’incite à écrire sa propre histoire. Née à l’aube du XXème siècle, la jeune Mariotte quitte la Martinique après l’éruption de la Montagne Pelée qui a détruit la ville de Saint-Pierre en 1902. Son rrance l’a conduit d’abord en Guyane, où elle s’éprend d’un ancien bagnard reconverti dans l’orpaillage et sur le point de quitter l’île. Il entraîne Mariotte avec lui à New York, puis en Colombie jusqu’à Bogota, où il l’abandonne. Livrée à elle-même, la jeune fille puise dans sa vitalité le courage de se tourner vers un autre homme, de quitter Bogota et d’aller dans un autre continent". Simone et André Schwarz-Bart, Adieu Bogota, Seuil, réédition, 2017.
"Un plat de porc aux bananes vertes, c’est l’histoire d’un hospice où vit et meurt la grand mère Mannlouise. Vieille femme noire abandonnée dans un hospice parisien, Mariotte se souvient de la Martinique, son île natale. Sur les sinistres murs de sa chambre, elle projette les couleurs du passé Rouge et noir pour l’esclavage, les larmes et le sang. Vert et jaune pour la douceur amère et tendre d’un plat de porc aux bananes vertes". Simone et André Schwarz-Bart. Un plat de porc aux bananes vertes, Points, Editions du Seuil, 1967.

Simone continue à écrire sur la créolité. Elle parle du projet de Franck Cassenti, spécialiste de l’histoire des musiques qui est venu tourner un film dans la maison des Schwartz-Bart et a enregistré le fils Jacques saxophoniste à New York, à Paris et en Guadeloupe. On suit les promenades d’André, ses visites au Mémorial de la Shoah. Le film a été montré à l’ ESPE. Un hommage poétique est rendu avec le chant Mazol Tov Simone, Paroles d’Yves Yacoüel, mis en musique et chanté par Georgette Pantz.

Session de l’après-midi

C’est la présentation du film de Franck Cassenti : Jacques Schwarz-Bart, La Voix des ancêtres. Documentaire, 52 minutes.

Mercredi 12 juillet

Matinée

Placée sous la présidence de Gérald Attali, Inspecteur d’Académie, Inspecteur Pédagogique Régional d’Histoire et de Géographie. Gérald Attali rappelle que le thème du Concours de la Résistance et de la Déportation s’inscrivait dans cette perspective « La négation de l’homme dans l’univers concentrationnaire ».

Le Camp des Mille est un lieu qui témoigne des rencontres artistiques et culturelles pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est l’objet de nombreuses visites de classes qui ont des salles pédagogiques pour réaliser des travaux.

Il présente ensuite Augustin Giovannoni, Agrégé de philosophie, auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l’exil. Les figures de l’Homme trompé, Les épreuves de l’exil (2017). Il traite de « L’idée d’humanité à l’épreuve de l’histoire ». Il est nécessaire de lancer un appel à un approfondissement des Lumières. Renouveler le « questionnement » des Lumières, relire la Déclaration de l’Homme et du Citoyen de 1789. Il faut dialoguer sur les valeurs, introduire dans le droit international la notion de crime contre l’Humanité et intégrer l’universalisme. Il soulève la question de démocratie, la capacité d’être maître de son destin. La souveraineté de l’Homme doit primer sur tout. Comment régler le problème des migrations, des phénomènes climatiques à l’intérieur d’un pays ? Peut-on parler de globalisation dévastatrice et de mondialisation heureuse ?

Gérald Attali introduit ensuite Renée Dray-Bensousan, Agrégé d’histoire, présidente d’ARES depuis 1999, ancienne présidente de la Régionale d’Aix-Marseille de l’APHG, auteure de nombreux ouvrages d’histoire (Histoire des femmes, Histoire des juifs à Marseille, Histoire de la Shoah). Elle va traiter du thème : Quel rôle pour la musique dans les rencontres des cultures ? A l’aide d’un diaporama, elle porte un double regard sur le patrimoine musical juif et la musique pendant la Shoah.

1. Elle fait un état des lieux sauvegarder le patrimoine musical, valoriser par la transmission, mainmise du Reich sur la musique, racisme et totalitarisme.

2. Le rôle de la musique dans les ghettos.

3. Le rôle de la musique dans les camps. Elle mentionne la découverte de 1 500 cylindres musicaux en Ukraine, bibliothèque internationale.

Enfin Gérald Attali introduit le rabbin Moïse Claude Journo, une figure familière de la rue des Rosiers. Ce denier traite d’une journée des mémoires de la rue des Rosiers. La rue des Rosiers, à la rencontre des Mémoires. Il a vécu et vit dans le quartier du Marais et a pu s’intéresser au langage et à l’étymologie des noms. Il manifeste une ouverture à l’autre, à son frère et est contre toute fermeture ou repli sur soi. Il est contre la marchandisation de la rue des Rosiers.

Mercredi après-midi

Sous la présidence d’Hubert Tison, Secrétaire général de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG).

Une rencontre des cultures pendant la Shoah ? L’APHG soutient depuis sa création l’Association Arès et son université d’été. C’est un lieu de recherche, de réflexion critique et de convivialité. Hubert Tison présente Claire Auzias. C’est une historienne du génocide des Roms auxquels elle a consacré plusieurs livres d’histoire.

Claire Auzias se présente comme disciple de Claude Lanzmann. Elle a travaillé sur la communauté des Sintis pour leur reconnaissance au pavillon d’Auschwitz. En 1982, elle invite Simone Veil à Buchenwald : « Nous sommes des persécutés comme nos frères juifs ». Le 3 août, c’est la commémoration à Auschwitz de la liquidation du camp. Simon Wisental, grand chasseur de nazis, Myriam Novicz, femme juive polonaise qui a participé aux maquis soutiennent les représentants des Roms. Les nazis ont installé le village des Roms au sein du camp d’Auschvitz. Car ils se méfiaient de leurs fureurs. Avertis par la Résistance polonaise d’un coup de force des troupes nazies pour les envoyer à la chambre à gaz, les Sintis s’opposent à coup de cailloux et de pioches aux nazis. Mais ceux-ci vont déplacer les valides ailleurs et ne gardent que les faibles qu’ils liquident le 3 août (2 800 personnes). Le mot qui résume le génocide des tziganes est Samudaruen (littéralement : tout tuer).

Combien de morts ? Un recensement dénombre avant la Seconde Guerre mondiale 1 million de Roms. En 1945, la communauté n’en compte plus que 500 000. Tous ne sont pas morts dans les camps, mais ils sont morts de maladies, d’angoisse et de désespoir.

Ursula Meyer-Lapuyade, psychanalyste : La Fraternité entre les langues aura-t-elle été possible ? A quel prix ? Toute Fraternité implique un Vous et un Nous. Exclure le Vous est mortifère. Dans les camps, à quoi bon les poètes ? Au contraire, la littérature a servi de moyen de communication. Primo Levi parle de La Divine Comédie de Dante, Jorge Semprun de Goethe et de Baudelaire. Cela crée une fraternité de langage.

Isabelle Sentis, art-thérapeute. Chocs culturels ou découvertes mutuelles ? Quelles rencontres avec les femmes qui ont aimé des femmes durant la Shoah ? Parler de l’intime dans les camps est difficile. C’est un problème de sources. D’autant que l’histoire de l’homosexualité des hommes en Europe de 1939 à 1945 a fait l’objet d’études. Car l’inversion était interdite en Allemagne depuis 1924. Au contraire des femmes qui présentent des parcours diversifiés. Entre 1939 et 1945, des millions de jeunes filles ont eu des expériences prémaritales. On ne s’intéresse à l’intime que dans les années 1970. Il faut du temps pour construire une histoire sexuelle des femmes. Il faut s’interroger sur le rôle des gardiennes du camp lesbiennes. Là aussi, les témoignages sont rares.

Jeudi 13 juillet

Atelier d’Histoire. Animé par Laurie Corso, professeure de collège. L’utilisation du film au collège. Elle a choisi l’opérette Bundibar de Germaine Tillion, ethnologue avant la guerre, elle a travaillé dans les Aurès.

Germaine Tillion est indignée par les propos de Pétain qui invite le 17 juin 1940 à cesser le combat. Elle entre alors dans le réseau du Musée de l’Homme animé par Boris Vildé. Elle fait de la Résistance. Dénoncée pat un traître, elle est arrêtée à la gare de Lyon et emprisonnée à la prison de la Santé, puis déportée à Ravensbrück au nord de Berlin où elle est classée NN. Sa mère résistante fut aussi déportée dans le même camp où elle mourut le 2 mars 1945. Classée dans la catégorie des Verfügbar (disponible), elle n’est pas affectée à un Kommando de travail, mais aux pires corvées dans le camp. Cachée par ses compagnes dans un baraquement, elle réussit à y échapper. En octobre 1944 elle écrit sur un carnet, soigneusement caché, une opérette Le Verfügbar aux Enfers (jouée pour la première fois au Théâtre du Châtelet en 2007), titre inspiré d’Orphée aux Enfers. On lui a procuré un crayon de papier. C’est une parabole du système concentrationnaire qui décrit le quotidien des femmes déportées. Elle utilise des airs populaires, des chœurs, des chansons, des personnages (Nénette, Dédé de Paris, Lulu de Belleville) et l’humour. Le mot juif ne figure qu’une fois dans le texte. Germaine Tillion témoigne de la culture européenne, supérieure à l’animalité nazie. Elle est transportée au Revier, l’infirmerie du camp, en 1945. En avril 1945, elle est évacuée sur le Danemark, puis part en convalescence en Suisse.

Des films de fiction peuvent être recommandés comme La vie est belle de Roberto Begnini (1998) et Le Pianiste de Roman Polanski (2002).

La Shoah dans les programmes scolaires

La Shoah est étudiée dans les programmes d’Histoire en 3ème et en Première et en Terminale L et ES à travers la question des Mémoires de la Guerre mondiale. Mais le programme ne respecte pas la chronologie. Il est nécessaire pour le professeur de la rétablir pour donner de la cohérence à son propos, car les élèves sont perdus et ont tendance à tout confondre. Il y avait dans l’ancien programme de 3ème des repères chronologiques fort utiles , mais il fallait les apprendre… Laurie Corso définit en classe de 5ème la notion des millénaires, de siècle avant et après Jésus-Christ...

Le choix de l’exercice

On peut consacrer une heure ou deux à la séquence.

  • 1. Plan du camp de Ravensbrück. Repérez la chambre à gaz et les crématoires.
  • 2. Localiser sur une carte les camps de concentration et d’extermination Ravensbrück et Auschwitz. Bien marquer à l’Est les einsatzgruppen (troupes mobiles de la Gestapo chargés de l’extermination des civils et des juifs « la Shoah par balles ».
  • 3. Qui se trouve dans les camps ? Les triangles cousus sur le vêtement des déportés permettent de classer les catégories de déportés. Qui dirige les camps ? Quel travail pour les déportées ? Retracez les étapes de la vie d’une déportée.
  • Conclusion : Quel est le message de l’opéra ? Survivantes, mémoires...
  • Évaluation finale. Construction d’une carte mentale sur les structures du camp. Rédaction indispensable et trace écrite sur les effets de l’opérette, sur sa signification.

Un pot a clos l’université. Ce fut l’occasion pour Renée Bensousan, présidente d’ARES de remercier l’ensemble des participants, des intervenants, des bénévoles qui ont assuré la logistique, l’intendance et l’accueil de cette manifestation et de souhaiter à tous un bel été.

© Les services de la rédaction de la revue Historiens & Géographes, Paris. Le 12 août 2017. Tous droits réservés.

Notes

[1Secrétaire général de l’APHG. Directeur de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes. Compte rendu rédigé le 19 juillet 2017.