Les deux directeurs de cette vaste synthèse ont réuni 44 historiens dont une dizaine d’historiennes, français (plusieurs appartiennent à l’IRICE, une unité de recherche de la Sorbonne) mais aussi britanniques, allemands, autrichiens, italiens, canadiens pour dresser un panorama de la période de la Seconde Guerre mondiale entendue comme la séquence allant de la fin des années 1930 (« les prologues fascistes à la guerre » et « la guerre commence en Asie ») à la « paix des Nations unies » et aux débuts de la guerre froide. D’emblée, les concepteurs affirment que l’étude de cette histoire reste « un vaste chantier » de recherche. Le titre et l’introduction des deux volumes de « La guerre-monde » en donnent bien toute l’ambition en renvoyant explicitement au concept « d’économie-monde » de Fernand Braudel.
L’ouvrage est construit en 54 chapitres distribués en quatre parties, la dernière « les héritages » étant la plus courte (quatre chapitres, 157 p.) dans la mesure où les mémoires des guerres ont été volontairement laissées de côté. Chaque chapitre est accompagné d’une large bibliographie qui fait appel aux travaux consacrés aux différentes zones et pays concernés. Ainsi l’historien allemand qui traite « les batailles d’Allemagne » en 1945 se réfère à des travaux en allemand souvent non traduits et peu connus en France. L’atlas de vingt cartes permet d’avoir une vision géostratégique mondiale et par continent du conflit ainsi que de quelques batailles importantes. Comme l’écrivent Alya Aglan et Robert Frank : « Faire le récit de la guerre-monde conduit à le construire comme une structure feuilletée où se mêlent ces différents niveaux de perception des événements, d’appréhension de leur sens profond, d’intelligence du mouvement général » en jouant sur « les échelles d’approche ».
La première partie « Faire la guerre » (19 chapitres) examine les différentes phases diplomatiques et militaires du conflit, chronologiquement et dans des études par continents et par théâtres d’opération, depuis les guerres d’Éthiopie, d’Espagne, d’Asie (en Chine) jusqu’à la difficile victoire sur l’ Allemagne en 1944-1945, la fin de la guerre en Asie-Pacifique et les début de l’ère nucléaire en passant par les principales grandes batailles (les premiers Blitzkriege de l’Allemagne nazie en 1940, la défaite française, les batailles d’Angleterre, l’invasion de l’URSS, la quatrième guerre balkanique…). Des études spécifiques portent sur les débats stratégiques entre les Alliés en 1942-1943, la guerre pour la maîtrise des mers et la guerre du désert. Mais à côté des ces approches classiques, on trouve des travaux plus neufs sur les Africains dans la guerre et on s’interroge sur les zones en marge du conflit : les Amériques latines et les États neutres en Europe ou non belligérants. La focale très large dépasse l’histoire militaire pour restituer tous les enjeux de la guerre.
La deuxième partie « Faire et inventer la guerre » (18 chapitres) s’intéresse aux formes inédites de cette guerre idéologico-militaire avec une ouverture sur les conceptions, les objectifs, les références historiques et les perceptions du temps d’Hitler et des nazis. Elle traite aussi bien de l’importance du renseignement que des motivations et des mécanismes d’une guerre totale qui met en œuvre des violences de masse (sur le front russe), le génocide et la « solution finale » dont les méthodes d’extermination évoluent tout au long du conflit. On peut aussi suivre la guerre vécue en relation avec les choix stratégiques et leurs mises en œuvre (les débarquements en Europe, les fronts japonais, les phases de l’écrasement de l’Allemagne). De même, les réactions à l’expansion impérialiste des puissances de l’Axe sont traitées : aussi bien la collaboration et le collaborationnisme des partisans de « l’Europe allemande » que les résistances dans l’Europe occupée qui mettent à l’épreuve les États-nations, les résistances de nature différente en Asie sans oublier le poids des empires coloniaux comme enjeux vitaux pour les Japonais ou comme base d’appui pour les Alliés. Sept chapitres mesurent les mobilisations des sociétés et des économies de guerre des principaux belligérants (Grande-Bretagne, Etats-Unis, URSS, Allemagne, Japon) et soulignent l’importance de la science et des recherches technologiques dans cette « guerre totale ». L’ouvrage présente aussi les grandes organisations économiques et financières qui réorganisent les relations internationales en 1944-1945 sous la houlette des vainqueurs.
La troisième partie « Vivre la guerre », plus disparate mais qui apporte souvent des éclairages nouveaux, balaie largement la manière dont les institutions, les acteurs (les occupants) et les sociétés (les occupés) ont imposé ou subi ces années terribles avec des éclairages sur la vie culturelle. On y trouve une étude des « Églises en guerre mondiale », du système d’occupation, de répression et de travail forcé allemand en Europe, des occupations nipponnes faites de pillage, de travail et de prostitution forcés, de massacres et de violences sans limites, de déshumanisation des captifs, ce qui pose la question de « l’énigme de la brutalité japonaise ». On y trouve des études sur les sauvetages dans l’Europe allemande, les femmes et les jeunes en guerre. Un chapitre sur la nuit côtoie une géographie culturelle et deux études sur les musiques de guerre et sur « Cinéma en guerre, guerre au cinéma ».
En forme de bilan, la quatrième partie présente les réfugiés de la guerre-monde, utile retour sur ces déplacements massifs de population qui pourrait sans doute aider à relativiser les mouvements migratoires actuels, les questions de ce conflit comme matrice du Welfare State, les mutations du nationalisme dans les sociétés coloniales d’Asie du Sud-Est ou encore, à partir des grands procès des criminels de guerre (Nuremberg, Tokyo), celle de la restauration d’un État de droit mondial.
On l’aura compris, cette somme actualise et renouvelle nos connaissances sur un tournant majeur de l’histoire contemporaine.
On pourrait bien sûr pointer des chapitres à la bibliographie un peu ancienne (les débuts de la guerre en Chine et en Asie) ou un peu rapides (les Allemands en France 1940-1948). Soulignons que sa publication directement en collection de poche met cette « guerre-monde » à la portée de tous. Dans le flot d’ouvrages et d’encyclopédies parus à l’occasion du 70e anniversaire de la fin du conflit, cet ouvrage collectif fera date car il est nourri le plus souvent des travaux historiques les plus récents et doté de précieux index.
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© Christian Bougeard pour les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 22/08/2017. Tous droits réservés.