La laïcité enseignée au Lycée professionnel Journée APHG "Enseigner la laïcité"

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Par Iris Naget-Pointel [1]

A la suite des événements tragiques de janvier 2015, le Conseil de gestion et le Comité national de l’APHG ont décidé de consacrer une journée de formation et d’information sur la contribution de l’Histoire et de la Géographie à la laïcité à l’école, le 28 mars 2015, au Lycée Saint-Louis (Paris). [2]

Nous publions ci-après la contribution remaniée de notre collègue Iris Naget-Pointel, Professeure de Lettres-Histoire-Géographie-EMC en lycée professionnel (Régionale APHG Île-de-France) et Doctorante à l’Université Paris-Ouest Nanterre-La Défense.

Cette intervention a pour but d’exposer les pratiques et les finalités pédagogiques de la notion de laïcité en enseignement professionnel, en s’appuyant sur les BO en vigueur (fév. 2009). Deux axes ont été développés :
 L’interdisciplinarité en Lycée Professionnel
 Les réalités de la question de la laïcité en LP

I-L’Interdisciplinarité en LP :

L’interdisciplinarité est un principe inhérent aux programmes de Baccalauréat professionnel et de CAP, du fait de la bivalence disciplinaire de l’enseignant en lycée professionnel : ce-dernier est en effet formé à enseigner à la fois le Français et l’Histoire-Géographie. Cette bivalence permet une approche globale, particulièrement pertinente face aux enjeux pédagogiques relatifs aux attentes du programme.

Elle permet de confronter à la fois les enjeux de l’exercice de contextualisation et celui de l’interprétation textuelle : les programmes sont aménagés de manière à favoriser les rapprochements entre thématiques, courants intellectuels et historiques en Français et en Histoire-Géographie.

On peut donc mettre en situation des études de cas autour de notions-clefs, telles que la liberté d’expression, la laïcité ou la tolérance, en les confrontant aux attentes du programme d’Education civique en vigueur jusqu’en 2015.

Par exemple, le programme de seconde en Français comporte un objet d’étude traitant du rôle des médias dans la société, « construction de l’information » : il interroge le traitement de la source par les médias et la construction d’une information, la question de l’objectivité de la presse et la définition de liberté d’expression. Cet objet d’étude pouvait être mis en relation avec un sujet d’étude du programme d’Education civique en vigueur à l’époque, « le citoyen et les médias » et le rôle actif du citoyen quant à la réception d’une information, notamment par la vérification des sources et par l’exercice d’un esprit critique.

Cette démarche peut s’accompagner d’un travail commun avec le CDI, le CPE et la vie scolaire : un travail de recherche en CDI, une intervention du CPE sur la question du règlement du lycée ou l’accompagnement d’un surveillant face à des interrogations du lycéen sont essentiels à la mise en œuvre d’une démarche pédagogique concrète.

Enfin, l’interdisciplinarité permet de faciliter la démarche de projets pluridisciplinaires avec des enseignements connexes tels que les langues ou les arts appliqués. La lecture méthodique d’image en Histoire des Arts est largement sollicitée et permet de développer les capacités d’analyse et de raisonnement de l’élève.

II-Les réalités de la question en LP :

Les programmes de Français et d’Histoire-Géographie prennent en compte à de nombreuses reprises les notions de laïcité et de tolérance au sens large.

Ainsi, en première, un des objets d’étude de Français est consacré au courant des Lumières : « Les philosophes des Lumières et le combat contre l’injustice ». Cet objet d’étude, centré sur les capacités de l’argumentation délibérative, évoque notamment les notions de tolérance et de concorde religieuse. Les élèves étudient ainsi la forme de l’apologue, les enjeux de l’élaboration de l’Encyclopédie et les procédés de l’ironie.
En terminale, toujours en Français, un objet d’étude intitulé : « Identité et diversité » insiste, à travers le développement des capacités argumentatives, sur les notions de respect et d’appréhension de l’Autre au sens large : l’incarnation des valeurs collectives à travers les œuvres littéraires du XXème siècle.

En Histoire, le programme de première est axé sur « Etat et Société en France de 1830 à nos jours » et comporte un sujet d’étude consacré à « La République et le fait religieux depuis 1880 ». La situation intitulée « Briand et la loi de séparation des églises et de l’Etat » porte sur la loi de 1905 et insiste ainsi sur la définition de la notion de laïcité. Ce sujet permet de revenir sur la distinction entre la sphère privée et la sphère publique, déterminée ici-même par la loi de 1905, mais aussi sur la naissance des mouvances anticléricalistes traditionnelles. L’enjeu est aussi de définir les problématiques sociétales liées aux interactions entre l’individu, la communauté et l’Etat.

Les 30 minutes d’Education civique par mois, intégrées dans les séquences de Français ou d’Histoire-Géographie ont laissé place à l’aménagement de 10h à 14h par an pour l’Enseignement Moral et Civique (EMC), devenue matière à part entière.

La question de la laïcité a une acuité toute particulière pour les publics de lycée professionnel. Cette notion interroge les élèves, fait l’objet de multiples contre-sens et d’interprétations hasardeuses de leur part. Les polémiques sont fréquentes et les dérives nombreuses, comme en atteste les réactions suscitées par les attentats de janvier et par les nombreuses thèses complotistes véhiculées par les réseaux sociaux. Néanmoins, ce constat est-il une réalité propre aux élèves fréquentant la voie professionnelle ou est-il plutôt lié à un marquage socio-spatial, creusant le fossé des représentations entre élèves.

Car en effet le lycée reste alors le lieu privilégié pour proposer des débats à des élèves qui arrivent au terme de leur cursus scolaire et d’éducation à la citoyenneté. Le personnel de l’établissement est à même de répondre au quotidien aux interrogations des élèves.

Le phénomène d’isolat culturel, géographique et intellectuel doit être au cœur des préoccupations de l’éducation nationale. La formation des enseignants sur les questions de laïcité doit impérativement être renforcée et ne pas uniquement concerner un enseignant référent de Lettres-Histoire par établissement. De même, les problématiques citoyennes ne peuvent pas être du seul ressort du professeur d’Histoire-Géo. L’ensemble de la communauté éducative est concernée. Les outils et les ressources disponibles sont encore bien insuffisants comme on a pu le constater après les attentats de janvier dernier. La résurgence de thèses complotistes et la multiplication des canaux d’informations doivent amener à redoubler le travail d’analyse critique et d’appréhension de l’histoire contemporaine. Les réseaux sociaux, qui ont pris une place prépondérante dans la vie des lycéens et bouleversé l’appréhension des réalités chez les jeunes élèves, doivent nous amener à une vigilance toute particulière.

© Iris Naget-Pointel

© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 30/03/2016.

Illustration "en une" : La marche du 11 janvier 2015 - © Romain Vignest.