La logique du non-consentement [Histoire de la Résistance] Compte-rendu de la rédaction

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Anne VERDET, La logique du non-consentement. Sa genèse, son affirmation sous l’Occupation, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014, 18 €. [1]

Sociologue, amie de l’association, Anne Verdet souhaite montrer dans ces pages que le non-consentement appartient à l’idéal-type de la Résistance. Mais si elle convoque Simmel, Durkheim et Weber, l’auteur fait aussi une large part aux travaux d’historiens, notamment à ceux de Pierre Laborie [2], mais aussi à ceux de Marc Bloch, qui reconnaissait à la sociologie d’avoir permis aux historiens « de penser... à moins bon marché ». Pour étudier le non-consentement, Anne Verdet a choisi l’espace du Lot. Terre du refus - deux villages y sont titulaires de la médaille de la Résistance -, le Lot est aussi un espace familier pour la sociologue, en raison de ses origines et en vertu de travaux précédents.

L’auteur s’attache d’abord à définir ses objets d’étude. Le non-consentement ne se confond pas avec la Résistance, mais y appartient. On ne peut pas l’assimiler non plus avec la « résilience » invoquée par Denis Peschanski, concept emprunté à la psychologie sociale, qui recouvre les réalités multiples des comportements de dissension. Elle ne relève pas non plus d’une attitude contraire à celles de l’accommodation, terme forgé par Philippe Burrin. L’auteur, on le voit, n’ignore pas les enjeux historiographiques de notre discipline et de son objet d’étude. Elle nous présente ensuite le Lot, morceau d’une France paysanne, fortement rural (80% en 1936), avec des populations faiblement politisées, peu ouvertes sur le monde extérieur, dans un territoire compartimenté en pays. Piémont du Massif Central, le Lot a subi la crise du phylloxéra à la fin du XIXe, qui a emporté la moitié des vignes, enrayé le renouveau démographique, provoqué l’exil des plus jeunes. Mais c’est aussi une terre du refus, en 1848, le département fut le plus mauvais payeur de France. Le non-consentement s’inscrit donc dans un terroir et dans une histoire propices.

Enfin, au terme de sa première partie, l’auteur interroge la chronologie. Force est de reconnaître que 1942 est, une fois de plus, la bissectrice de la Seconde Guerre mondiale. À l’été 1942, on observe une vague de démissions de syndics chargés du bon fonctionnement des réquisitions. Les paysans, hier exaltés par Vichy, ne veulent pas être les boucs émissaires d’un régime incapable de nourrir sa population. L’instauration du STO amène de nombreux réfractaires dans les maquis. Plus du tiers des « mobilisés » y ont pris les bois. L’installation des premiers maquis, dont deux dans le Ségala, fait du Lot une terre de résistance. Les sabotages de voies ferrées, le détournement de bétail réquisitionné... provoquent la répression des Allemands, comme à Frayssinet-le-Gélat, où en mai 1944, 15 civils sont assassinés et où les soldats obligent les rescapés à creuser une fosse commune.

La seconde partie de l’ouvrage entend étudier l’univers du non-consentement. Anne Verdet, en bonne sociologue, dresse alors la société du non-consentement, avec ses « acteurs remarquables », comme les instituteurs et curés, les médecins et les paysans. Les gendarmes forment une catégorie ambiguë, avec une large palette de comportements, allant de l’aide ponctuelle à la traque déterminée des participants aux bals clandestins. L’auteur balaie ensuite les deux grandes formes du non-consentement, le passif et l’actif. La première est celle qui permet de restaurer l’estime de soi. Ses modalités sont plurielles : ruses face à la réquisition des denrées, braconnage organisé, bals clandestins... etc. Ces derniers, peu étudiés par les historiens, sont pourtant des exemples idéaltypiques du non-consentement, entendu comme le refus viscéral du régime né en 1940. Ces jeunes hommes et femmes en dansant, sur des musiques diverses, dans des lieux souvent improbables, refusaient la morale de Vichy, soucieux de lutter contre l’esprit de jouissance. Relèvent aussi de cette catégorie le don ponctuel de victuailles et le prêt du four à pain par une famille, faire la lessive pour les maquisards, écouter la radio anglaise. Même l’écoute du seul brouillage donnait à la transgression tout son sens rappelle Léon Werth.

Le non-consentement actif fait franchir à ses adeptes des degrés supplémentaires dans l’échelle du risque rappelle l’auteur. Il recouvre tout autant que le précédent des modalités plurielles : largesses spontanées pour les maquisards, transmission des messages de la Résistance avec un rôle central des institutrices, hébergement de personnes à cacher (dont Elsa Triolet), réception des parachutages, où le bon sens paysan fait merveille avec la transformation des containers en auges... Le risque possède parfois une dimension collective forte. À Labathude, on a caché des armes dans la bascule municipale, dont la découverte aurait exposé le village à des représailles féroces.

En conclusion, cet ouvrage de sociologie peut surprendre l’enseignant d’histoire-géographie, peu habitué à une énonciation à la première personne. Mais le livre d’Anne Verdet donne de la chair à ce non-consentement en rappelant que dans le Lot des femmes et des hommes ont fait ce qu’ils « croyaient devoir faire, ce qu’ils pouvaient, avaient envie de faire aussi, refusant de voir des droits élémentaires bafoués ». Ces témoins, souvent nonagénaires, ont pressé l’auteur d’écrire un livre sur leurs histoires. Cet ouvrage leur rend hommage et fait retentir leurs voix. Anne Verdet ne les a pas trahis. Qu’ils en soient convaincus.

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© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes, tous droits réservés. 29/02/2016.

Notes

[1Note de la rédaction : Sur l’expression "non-consentement" : un colloque à Besançon en 2012 dirigé par F. Marcot et B. Curatolo, http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=2711 et l’expression sous la plume de Pierre Laborie - à qui l’on doit la paternité de ce concept - dans son ouvrage, Le Chagrin et le venin. La France sous l’Occupation, mémoire et idées reçues, Bayard, 2011, 360 p., 21 euros.

[2LABORIE, Pierre, MARC, François (dir.), Les comportements collectifs en France et dans l’Europe allemande. Historiographie, normes, prismes, 1940-1945, Rennes, PUR, 2015.